Marc Messier brosse ce dimanche le portrait de "l'ange blanc" des soldats canadiens lors du débarquement avorté de Dieppe, pendant la seconde guerre mondiale.
L’écume de la mer rougie par le sang. Sur les galets, des tonnes d’acier tordues et de corps disloqués. Partout, l’air qui empeste le brûlé et la mort. 19 août 1942, il est midi, la marée est basse : la plage de Dieppe est un gigantesque cimetière. Quelques heures plus tôt, la première tentative des alliés de débarquer en Normandie a tourné au fiasco. Les 8.000 soldats canadiens et anglais, engagés dans l’opération "Jubilee", se sont cassés les dents sur le mur de l’Atlantique construit par les nazis. Un raid insuffisamment préparé. Les mitrailleuses allemandes n’ont laissé que des miettes d’hommes sur la plage de Dieppe.
Au milieu des cadavres, l’agitation des brancardiers qui se déplacent à l’oreille, selon le niveau sonore des cris et des pleurs de ceux qui ne sont pas morts. Les râles des moribonds. Les gémissements de ceux qu’on peut encore sauver. Les soldats allemands d’abord. Les ennemis ensuite. Parfois un coup de pistolet qui éclate comme un coup de grâce, étouffé par les sirènes des ambulances de la Wehrmacht. L’hôpital de Rouen est à trois heures de route. Tous les blessés ne verront pas l’Hôtel Dieu, où les médecins allemands vont opérer et amputer pendant des jours et des nuits. Pour les assister, une poignée d’infirmières françaises, des religieuses, des Augustines de la Miséricorde de Jésus qui sont attachées à l’hôpital.
L’Histoire retiendra l’une d’entre elle en particulier : Sœur Sainte Marguerite-Marie, son nom de religieuse, Agnès Cécile Marie-Madeleine Valois pour l’état civil. Une jeune femme de 28 ans, qui va sauver des dizaines de vie pendant ces quelques jours d’août 1942. Les rescapés canadiens du Raid de Dieppe la surnommeront l'Ange Blanc jusqu’à la fin de sa vie. Sa Grâce au milieu de la boucherie. Sa Douceur malgré la rudesse des allemands.
Agnès-Marie Valois, une jeune fille de bonne famille, née le 30 juin 1914 à Rouen, le spectre de la guerre déjà au-dessus de son berceau. Elle ne sait pas encore lire qu’elle veut devenir infirmière. La vocation, le sacerdoce, la blouse et l’habit. La Bible et la Croix Rouge. La dévotion envers Dieu, le dévouement aux Hommes. Comme une vie tracée d’avance, sans une seconde d’hésitation. Le Mystère de la Foi. L’évidence ce 19 aout 1942, lorsque les allemands font le tri entre les blessés à l’Hôtel Dieu. Les soldats du Reich sont immédiatement pris en charge. Les autres, les ennemis peuvent toujours crever. On les laisse, de côté, sur leurs civières, à la merci de la mort qui guette les hommes les plus esquintés. Ils sont des dizaines et des dizaines de canadiens, principalement, à souffrir le martyre, en attendant la camarde, sans que personne ne bouge le petit doigt.
Insupportable pour Sœur Agnès-Marie Valois. N’écoutant que son humanité, la jeune Augustine va braver les nazis, leurs coups de crosses et leurs menaces et soigner ces hommes vénus de l’autre bout du monde pour tenter de libérer la France. Elle en sauvera des dizaines. Ceux-là, raconteront, tous la même chose plus tard : Son habit tout blanc, devenu tout rouge. Ce petit bout de femme extraordinaire avec son sourire plein de lumière dans la nuit nazie. Sa voix infiniment douce dans le vacarme de la guerre. Toute sa vie Sœur Agnès se souviendra de ce jeune soldat du Québec qui lui demanda, avant de mourir, de bien vouloir l’embrasser comme sa maman l’aurait fait. Elle l’enveloppa dans ses bras, le serra très fort contre elle. Le jeune homme esquissa un tout petit sourire et ferma les yeux pour toujours. L’un des plus tendres souvenirs de sa très longue vie racontait Sœur Agnès. Un souvenir qui s’est envolé avec elle, la semaine dernière. "L'Ange Blanc", comme l’appelaient les canadiens, rejoindre le paradis Bleu.