Tous les samedis dans l'émission Mediapolis, Claire Hazan revient sur l'actualité et la politique par le prisme des réseaux sociaux.
Nouveau format lancé par la plateforme vidéo américaine Youtube en Europe cette semaine. Le principe : un homme politique est interviewé en direct et en vidéo par plusieurs jeunes youtubeurs. Le premier invité, c’était Jean-Claude Juncker le président de la Commission Européenne. Et ça ne s’est pas vraiment passé comme prévu…
Le format est importé des Etats-Unis, où Barack Obama s’est déjà prêté à l’exercice. Le but c’est comme toujours, de donner un coup de jeune à la communication politique.
Le coup de jeune pour cette première édition européenne, doit venir de 3 intervieweurs triés sur le volet par Youtube. Dont 1 française : Laetitia Nadji, 80 000 abonnés sur sa chaîne où elle dispense des conseils ecolo-girly. Elle le dit elle-même elle ne s’y connaît pas vraiment en politique et c’est sûrement pour ça qu’elle a été choisie. Pour poser des questions… mignonnes.
Sauf qu’elle voit les choses autrement. Elle n’imagine pas interroger JC Juncker sur son rituel beauté du matin. Donc à l’aide de sa communauté Youtube, elle prépare 5 questions sur des sujets un peu plus « astringents »: perturbateurs endocriniens, pression des lobbies à Bruxelles, évasion fiscale etc….
Le problème c’est que ces questions sorties du chapeau ne plaisent pas du tout à Youtube, qui va l’inciter à les changer juste avant l’interview. Un proche filme la discussion en douce. Attention il faut tendre un petit peu l’oreille, mais vous allez voir c’est « sans pression aucune » :
SON - « C’est déjà une question hyper difficile pour M. Juncker, tu parles du lobby des sociétés. Tu ne vas pas non plus te mettre à dos la Commission européenne et YouTube, et tous les gens qui croient en toi. Enfin, sauf si tu ne comptes pas faire long feu sur YouTube. »
Relance : Et alors…suspense… que fait-elle, elle y va ?
Elle y va, elle pose ses questions (Juncker n’est pas plus perturbé que ça, Youtube ne bronche pas). Mais elle ne compte pas s’arrêter là, elle publie les images volées sur sa chaîne Youtube, en criant à la censure. En quelques jours elle devient l’héroïne du web. Celle qui a défendu les questions du peuple d’Internet contre le grand méchant Youtube. Youtube justement, pas très à l’aise avec l’épisode, lui propose le lendemain un contrat d’ambassadrice d’un an (selon eux, c’était déjà en cours avant). Elle refuse, elle y voit un nouveau moyen de pression et peut-être aussi une façon de surfer sur l’histoire pour accroitre sa notoriété.
Relance : Un David contre Goliath moderne… mais peut-être pas aussi simpliste que ça en a l’air ?
Surtout que chacun livre sa version des faits…
Mais cet épisode pointe surtout les frontières encore très floues, voire dangereuses, de ce couple récent, politique et réseaux sociaux.
Pour les politiques, on voit bien que ça reste encore un pur exercice de style. Ils ont beau dire qu’ils se tournent vers les RS pour des échanges plus directs, plus authentiques avec la jeunesse, tout ça demeure très encadré. A l’ancienne en fait.
Pour Youtube… bah… c’est encore cette question brûlante des plateformes qui se revendiquent neutres, se défendent d’être des médias, mais qui tentent d’influencer les contenus diffusés dans leurs tuyaux. Pensez à toutes les critiques faites récemment à l’algorithme de Facebook.
Cette même semaine, Youtube a aussi bloqué la diffusion d’une conférence du Dalaï Lama en visite à Strasbourg. Sans aucune explication.
Dans le cas de « la youtubeuse contre Youtube », un article du Monde rappelle justement que la Commission Européenne a trois enquêtes en cours contre Google (la maison mère de Youtube) pour abus de position dominante.
C’est vrai que ça aurait été dommage de contrarier son Président avec quelques fâcheuses questions venues des internets….