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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce lundi, il s'intéresse aux éléments de langage de Gérald Darmanin pour échapper au "Club des invisibles" des ministres peu visibles médiatiquement.

Tous les jours, Bruno Donnet décortique la mécanique médiatique. Ce matin, il a choisi de s'arrêter sur le Journal Du Dimanche d’hier, dont on a beaucoup commenté la Une mais pas suffisamment, selon lui, la page 6.

Car pour bien comprendre la Une retentissante du JDD d’hier, sur laquelle Gérald Darmanin dénonçait « le terrorisme intellectuel » de l’extrême gauche, il fallait en fait aller lire un petit indiscret qui figure à la page 6 du même journal.

Pourquoi ? Et bien parce qu’on y découvrait la confidence, très inattendue, du ministre de la Santé, François Braun, qui raconte que parce qu’il en a ras le bonnet de se faire moquer de lui par certains de ses collègues qui le trouvent « totalement transparent », il vient de fonder un club, « le club des invisibles » et d’y inviter « à boire du whisky » ses camarades ministres Pape N’Diaye et Christophe Béchu, très transparents eux-aussi, comprenez peu visibles médiatiquement !

Car oui, quand on est ministre, pour exister politiquement, il faut être vu, dans les médias, et donc savoir se faire entendre.

Voilà pourquoi, hier, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin a décidé d’utiliser un mot qui claque : « terrorisme » dans l’interview qu’il a accordé au Journal Du Dimanche.

Succès immédiat, la formule a été reprise par toutes les chaînes info, CNews l’a commentée dans son édition matinale: « Gérald Darmanin, il est brut de décoffrage ce matin, Gérald Darmanin qui donne une interview au JDD (…) et s’en prend au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche. »

BFM-TV a fait la même chose : « Gérald Darmanin réplique ce matin dans le JDD, il balaye les critiques de la police, fustige, je cite, le terrorisme intellectuel de l’extrême gauche. »

Et, ici même, sur Europe 1, dès 10 heures, Sonia Mabrouk, dont Gérald Darmanin était l’invité du Grand rendez-vous, n’a pas manqué de lui poser sa toute première question précisément sur cette formule : « Gérald Darmanin, ce sont des propos qui font d’ores et déjà beaucoup réagir, dans le JDD ce matin, vous accusez l’extrême gauche de terrorisme intellectuel. En quoi n’êtes-vous pas dans la surenchère des mots ? »

Voilà, toutefois pour exister médiatiquement, pour échapper au fameux « club des invisibles » de François Braun, il faut savoir utiliser les bons leviers de la communication politique, or, il se trouve que l’emploi du mot « terrorisme », avec toute la charge dramatique qu’il contient, constitue une excellente ficelle.

Une ficelle, tellement efficace, que Gérarld Darmanin tire dessus, très allègrement, depuis maintenant des lustres !

Au commencement, il a utilisé le mot dans son sens propre pour condamner les attentats : « L’ouverture de ce procès est l’occasion pour nous de rappeler que la lutte contre le terrorisme islamiste est une grande priorité du gouvernement. »

Il parlait donc de « terrorisme islamiste » mais très vite, le ministre de l’intérieur a choisi de filer la métaphore et d’user la ficelle… jusqu’à la corde. D’abord, il a accolé « gauche » et « islamiste » pour former une formule explosive : « l’islamogauchisme » et la lancer, en pleine assemblée nationale, au député Insoumis Alexis Corbières : « Qu’un parti comme le votre (…) en soit désormais lié avec un islamogauchisme qui détruit la république, voilà la réalité Monsieur Corbières. »

Et puis ? Et puis après le terrorisme « islamiste », après le terrorisme « islamogauchiste », Gérald Darmanin a inventé le terrorisme… vert : « Il y a une grande partie des manifestants violents, encore une fois, qui s’en prenaient physiquement aux gendarmes (…) et je veux redire que cela relève de l’écoterrorisme ».

L’écoterrorisme !

Hier donc, avec le « terrorisme intellectuel » de l’extrême gauche, Gérald Darmanin s’est tout simplement contenté de surfer sur l’emploi d’un mot, dont il sait que la connotation hautement dramatique suffira à retenir l’attention des médias.

Alors la manœuvre n’est pas neuve, au début des années 90, l’un de ses prédécesseurs au ministère de l’intérieur, un certain Charles Pasqua, avait déjà utilisé la ficelle, dans une formule restée célèbre : « J’avais dit : nous allons terroriser les terroristes ! »

Aujourd’hui, Gérald Darmanin met donc du terrorisme partout, il l’accommode à toutes les sauces, y compris « intellectuelle ».

Ou la démonstration que pour échapper au club des buveurs de whisky de François Braun, il faut savoir distiller distiller les éléments de langage.