Chaque jour, Vincent Hervouët traite d’un sujet international.
Mai 68 en Arménie; Les manifestants ont chassé Serge Sarkissian du pouvoir…
Il était au pouvoir depuis dix ans, deux mandats présidentiels. La constitution ne l’autorisait pas en faire de troisième. C’est bête mais quand l’Arménie s’est évadée de l’Union Soviétique, elle a importé le modèle américain. Deux mandats et au suivant ! Ce n’est pas une garantie de démocratie mais c’est un début d’alternance, celle des générations. Serge Sarkissian avait envie de rempiler. 63 ans, c’est jeune pour la retraite, sauf à la SNCF. Ses partisans le disaient irremplaçable, surtout les oligarques occupés à se remplir les poches. Il a trouvé un stratagème… Il n’est pas allé le chercher bien loin. Moscou a longtemps été la terre promise de tous les apparatchiks. Le Président Sarkissian s’est pris pour Vladimir Poutine.
C’est-à-dire ?
Opération en trois temps. D’abord, la réforme de la constitution, en transférant les pouvoirs au Premier ministre. Ensuite, l’élection d’un successeur, un inconnu pour inaugurer les chrysanthèmes. Il a le bon goût de s’appeler lui aussi Sarkissian… Le prénom, c’est encore mieux, Armen Sarkissian, il est tellement docile qu’on l’appelle Amen… Enfin, les députés ont élu comme un seul homme Serge Sarkissian, Premier ministre. Un fric-frac constitutionnel. Le bonheur, c’est simple comme un coup… d’Etat. C’était mardi dernier.
Il n’aura pas tenu huit jours !
Des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue, un raz de marée à l’échelle d’Erevan. Ils ont joué à Mai 68, dix ans ca suffit ! Avant-hier, la police a arrêté les meneurs, notamment le chef de l’opposition… Hier, les manifestations ont redoublé. Surtout, des centaines de militaires en uniforme ont rejoint le cortège. Serge Sarkissian a compris. Il a jeté l’éponge. En plus de sa démission, il a présenté des excuses : « je me suis trompé »…
Qu’est-ce qu’il a compris ?
Il a été à la tête des services, puis ministre de la Défense et de l’Intérieur. Cela apprend à respecter un rapport de forces.
Les Russes ont deux bases sur place mais l’ont lâché. Il ne suffit pas d’être autoritaire et démago pour être un leader populiste. Il faut aussi le soutien de l’opinion. Or les Arméniens reprochent à Serge Sarkissian la pauvreté qui s’aggrave, la corruption galopante.
Et puis le Caucase est à la porte de l’Europe, ce n’est pas l’Asie centrale où les dinosaures communistes s’accrochent au pouvoir comme un cheminot à son statut.
Au contraire, l’Arménie est le pays de toutes les résiliences. Il est amputé, enclavé, encerclé d’ennemis. Les Arméniens ont souffert un génocide, qu’on commémore aujourd’hui même… et comme les Turcs n’ont pas été vaincus, contrairement aux Japonais ou aux Allemands, ils continuent de le nier.
Mais les Arméniens persistent à exister comme nation. Pourquoi ? Parce que leur religion leur a permis de sauver leur identité.
Dans cent ans, nul ne sait à quoi ressemblera l’Europe. Mais il y a aura toujours une Arménie, arménienne. Et peut-être même qu’un Sarkissian sera à sa tête.