Chaque jour, Didier François traite d’un sujet international.
Les réactions sont très mitigées au lendemain de l’accord passé entre la Turquie et les États-Unis pour établir, en commun, une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie. Le gouvernement de Damas dénonce évidement cette agression contre sa souveraineté et les Kurdes se montrent également très prudents.
Et ils ont raison de l’être ! La Turquie menaçait encore de lancer une vaste offensive militaire au début de la semaine. Elle a d’ailleurs massé un nombre de troupes considérable aux abords des territoires kurdes de Syrie, qui n’ont pas été remisées dans leurs casernes. Mais en vérité, tous les commandants des milices kurdes de Syrie sont extrêmement soulagés par cette subite volte-face du président turc, Reccep Erdogan. Ils sont bien conscients d’être vraiment passés à deux doigts d’une confrontation majeure qu’ils n’avaient aucune chance de remporter. Et c’est l’extrême fermeté américaine à l’égard de la Turquie qui les a sauvés du désastre. Les États-Unis ont très clairement fait savoir leur opposition absolue à cette offensive au président Erdogan qui visait principalement quatre localités (Manbij, Tal Abyad, Ras al-Aïn et Kobane, symbole de la résistance kurde à l’État islamique) et surtout, la bataille fondatrice de l’alliance entre les forces kurdes d’autodéfense et de la coalition internationale contre les djihadistes. Car il ne faut jamais oublier que si la Turquie considère les Kurdes comme des terroristes en raison de leur aspiration à l’indépendance, ces miliciens sont les seuls à combattre aujourd’hui encore au côté des unités de forces spéciales occidentales engagées dans le nord-est de la Syrie. C’est sur leur territoire que sont détenus les djihadistes capturés au cours des cinq dernières années et on parle en dizaines de milliers.
Mais est-ce que le risque pour les Kurdes ce n’est pas d’être lâchés par les Occidentaux au nom d’une normalisation des relations avec un État aussi important que la Turquie ?
Évidemment qu’il y a un risque ! Et on peut penser que l’attitude très offensive du président Erdogan avait été encouragée par la décision surprise de Donald Trump, au début de l’année, d’annoncer le retrait de toutes les troupes américaines de Syrie. Alors il est revenu sur sa décision mais la Turquie a pu se dire que finalement le soutien aux Kurdes n’était pas si stratégique que ça et qu’en poussant un peu il serait possible de passer en force. Mais là, le président américain n’a pas flanché. Il a fait monter au créneau son nouveau ministre de la Défense (Mark Esper) pour marteler un message sans ambiguïté "Nous n'avons aucune intention d’abandonner les Kurdes et toute incursion unilatérale de la Turquie serait inacceptable". Ce qui voulait dire en clair "toute offensive mettrait en danger nos soldats déployés sur le terrain aux côtés des kurdes et entrainera une riposte de notre aviation pour les protéger". Partant de là, il a fallu trois jours de négociations pour trouver un compromis qui permettent la désescalade sans humilier personne. Ce sera une bande de sécurité en territoire syrien courant le long de la frontière turque où Américains et Turcs mèneront des patrouilles communes contrôlées par un poste de commandement conjoint. Tout cela reste assez vague parce qu’évidemment les Occidentaux n’ont pas suffisamment de forces déployées en Syrie pour patrouiller une frontière et que leur priorité reste, de toutes façons, la lutte anti-terroriste.