Pierre Ier rejoint Inès de Castro dans la mort en janvier 1367, à l’âge de 47 ans. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte comment l'aîné de leurs enfants illégitimes, Jean, est parvenu à monter sur le trône et a fondé une dynastie qui a fait du Portugal "l’empire des mers".
Malgré leur bâtardise, les descendants d’Inès de Castro et de Pierre Ier ont fini par régner sur le Portugal. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte comment les héritiers de cette histoire d’amour tragique ont révolutionné leur pays en se tournant notamment vers la mer.
A la mort de Pierre 1er, c’est son fils légitime, Ferdinand 1er, qui lui succède. Il tente de faire valoir ses prétentions sur le trône de Castille, voulant récupérer l’héritage de sa mère, Constance. Mais malgré trois guerres menées avec l’appui des Anglais il n’obtient aucun résultat tangible. Il s’éteint en 1383. Et sa mort ouvre une grave crise dynastique. Son seul enfant, une fille, Béatrice, est mariée à Jean 1er de Castille, allié de la France. On peut alors craindre que la Castille ne récupère le Portugal. Si la noblesse est favorable à la candidature castillane, la bourgeoisie se regroupe autour d’un prince "national", Jean le fils aîné de Pierre 1er et d’Inès de Castro.
Celui-ci est alors Grand Maître de l’Ordre d’Aviz. C’est le premier ordre de chevalerie portugais, fondé en 1145 par Alphonse 1er pour lutter contre les Maures. L’Ordre d’Aviz obéit à la règle cistercienne. Sous la pression populaire, Jean est proclamé "Gouverneur et Défenseur du Royaume". Grâce au soutien des marchands de Lisbonne, il parvient à lever une armée et à vaincre les troupes de Castille qui avaient envahi le Portugal à la bataille d’Aljubarrota, le 14 août 1385.
C’est une grande victoire qui établit définitivement l’indépendance portugaise. Peu après, grâce à l’intervention du pape Urbain VI, il est élu par les Cortès roi du Portugal sous le nom de Jean 1er. Le pape a dû intervenir car certains hésitaient à couronner un bâtard... Le fils de Pierre et d’Inès fonde donc une nouvelle dynastie portugaise qui portera le nom d’Aviz. Son arrivée sur le trône du Portugal est donc due à une sorte d’accident de l’histoire. Mais il donne une prolongation à l’immense amour de ses parents. La dynastie d’Aviz règnera en effet sur le Portugal de 1383 à 1580, et accompagnera les grandes conquêtes maritimes du royaume, l’élevant au rang de grande puissance.
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Comme les Anglais l’ont aidé à vaincre la Castille, le premier grand acte politique de Jean 1er est de signer avec eux, en 1386, le Traité de Windsor qui sera renouvelé en 1899 et est encore, jusqu’à nos jours, la base de la politique étrangère du Portugal. A cette période, on est dans les prémisses de la Guerre de Cent Ans. La France soutient la Castille dans son désir d’absorber le Portugal tandis que l’Angleterre protège le Portugal indépendant.
Cette alliance, au départ éminemment politique, aura aussi des retombées économiques extrêmement favorables au Portugal : à partir du XVIIIème siècle, la Grande Bretagne, qui apprécie le vin de Porto, devient le principal importateur de ce nectar. L’année suivante, en 1387, Jean 1er renforce encore cette alliance en épousant une fille du duc de Lancastre. C’est pendant son règne que le Portugal va commencer sa grande aventure maritime et coloniale.
L’expansion vers l’Afrique n’est d’abord qu’un prolongement de la Reconquête et, dès 1415, les Portugais, avec une flotte de 200 vaisseaux, s’emparent du port marocain de Ceuta en une seule journée. La victoire est aisée et le butin abondant mais le pays ne tire aucun avantage financier ou militaire durable de cette conquête. C’est le fils aîné de Jean 1er qui va lui succéder sous le nom d’Edouard 1er mais c’est grâce à son quatrième fils, Henri, dit Henri le Navigateur, que le Portugal va devenir une grande puissance maritime.
Henri le Navigateur, petit-fils de Pierre et d’Inès
Henri le Navigateur est passionné par la géographie et l’art de la navigation. Autour de lui, il réunit les marins et les voyageurs les plus célèbres de son temps. Il fonde à Sagres, au sud-est du Cap Saint-Vincent, un arsenal, un observatoire ainsi qu’une école cartographique et nautique. Ces bâtiments existent toujours. On peut les visiter. L’élément le plus spectaculaire est une immense rose des vents, grande construction de pierres en plein air, matérialisant, face à l’océan, toutes les possibilités de la navigation.
Henri utilise les premières cartes du ciel et les connaissances mathématiques des astrologues juifs. Cela lui permet de faire progresser considérablement l’art de la navigation astronomique. Il intègre les instruments inventés par les Arabes : le sextant, l’astrolabe et le compas, importés dans la péninsule ibérique par les Maures lorsqu’ils occupaient l’Espagne.
Il va encore innover en inventant un nouveau type de navire, la caravelle, plus adaptée à la navigation en haute mer grâce à sa grande voilure, latine et triangulaire. Mais pourquoi Henri le Navigateur, après la prise de Ceuta, a-t-il voulu organiser des expéditions vers l’Afrique ? Pour mettre fin à la domination arabe sur les deux denrées les plus chères et les plus prisées du monde : l’or et les épices.
Au début du XVe siècle, le manque d’or en Europe fait grimper la valeur du métal précieux jusqu’à la multiplier par dix. Les Portugais, comme la plupart des Européens, ne savent alors pas d’où il vient. On suppose simplement que des mines sont quelque part en Afrique, puisque le métal est transporté à Tombouctou et les commerçants arabes le ramènent à leur tour dans leurs pays.
Quant aux épices, elles viennent des Indes Orientales et arrivent au port d’Alexandrie. Ce sont les Vénitiens qui les achètent et disposent du monopole de la vente sur les marchés européens. Henri le Navigateur espère briser la suprématie vénitienne en découvrant une autre route maritime vers les Indes. Il envisage de contourner l’Afrique mais celle-ci reste un grand mystère car on ignore la taille et même la forme de ce continent…
On ne dispose que de cartes établies au IIème siècle de l’ère chrétienne par le géographe Ptolémée, qui sont très inexactes. Henri décide donc, à partir de 1416, au départ de Sagres, de lancer de nombreuses et audacieuses expéditions. Il faut préciser que lui-même ne prend part à aucun de ces voyages, mais il n’en est pas moins l’inspirateur et l’organisateur des grandes découvertes portugaises au XVème siècle.
Et elles se succèdent : les Portugais reconnaissent et atteignent Madère en 1418, puis les Açores en 1432. Au large de l’actuelle Mauritanie, les caravelles portugaises doublent le cap Bojador en 1434, abordent le Rio de Oro et parviennent aux îles du Cap Vert en 1444, et en Guinée deux ans plus tard. Les navires portugais réalisent une percée décisive et commencent à rapporter les premiers chargements d’or et d’esclaves en provenance d’Afrique.
Un comptoir portugais est installé en 1445 sur l'île d'Arguin, à plusieurs centaines de milles au sud du Cap Bojador. Désormais, le commerce de l’or est si fructueux pour la Couronne portugaise qu’en 1457, tandis qu’il avait cessé d’être utilisé dans les échanges depuis trois quarts de siècle, le roi Alphonse V, surnommé l’Africain, frappe une nouvelle monnaie d’or, le cruzado, symbole des ambitions commerciales du Portugal.
Lorsque Henri le Navigateur meurt en 1460, la côte africaine a été explorée et en partie cartographiée sur près de trois mille kilomètres. L'île de Madère et l’archipel des Açores sont devenus des colonies prospères et l’obstacle du cap Bojador, si longtemps redouté, est désormais largement dépassé. Cette expansion va connaître une pause avant de reprendre de plus belle avec l’arrivée d’un nouveau souverain de la dynastie Aviz, Jean II, surnommé "le parfait".
A partir de 1481, c’est ce roi qui joue une rôle décisif pour l’expansion portugaise. Le grand poète Luis de Camoens résume l’audace et la nouveauté scientifique que représentent ces navigateurs :"Eux dont le courage patient établit un nouvel empire sous un Ciel inconnu et sous d’autres étoiles…" C’est donc bien aux héritiers directs de Pierre 1er et d’Inès, et à leur tragique histoire d’amour, que le Portugal doit son extraordinaire fortune.
Jean II ouvre la Route maritime des Indes
Jean II consacre son règne à la poursuite des expéditions maritimes. Diego Can découvre l’embouchure du Congo en 1484, Barthélémy Diaz parvient, en 1490, à la pointe sud de l’Afrique qu’il appelle le Cap des Tempêtes. Le roi préfèrera lui donner le nom de Cap de Bonne Espérance. En 1495, Christophe Colomb, auquel il avait refusé des vaisseaux, et qui navigue donc pour la Couronne espagnole, annonce qu’il a atteint l’Inde par l’ouest.
Jean II est sceptique. Il prépare une nouvelle expédition vers l’Inde par le Cap de Bonne Espérance mais c’est son successeur Manoel 1er qui verra partir les bateaux confiés à un homme issu de la noblesse portugaise, Vasco de Gama, en juillet 1497. Pour la première fois, cet Européen va contourner le Cap de Bonne Espérance, longer la côte africaine de l’Océan Indien puis cingler franchement vers l’est et atteindre Calicut, en Inde, en 1498. C’est l’un des plus grands exploits des explorateurs européens à l’aube de la Renaissance. La route des Indes est ouverte. Les vaisseaux portugais reviendront désormais chargés d’aromates depuis ces terres fabuleuses. Après l’or, le Portugal maîtrise désormais la route des épices.
Le traité de Tordesillas partage l’Atlantique entre les Espagnols et les Portugais
Dès cette époque, Espagnols et Portugais rivalisent pour obtenir la maîtrise absolue de la mer. En 1454, le Portugal avait obtenu une sorte de monopole de la navigation le long des côtes occidentales de l’Afrique par une Bulle du pape Calixte III. En 1493, les rois Catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, dont le mariage a unifié l’Espagne, demandent au pape Borgia Alexandre VI de tracer au milieu de l’Atlantique une ligne de démarcation située à 100 lieues à l’ouest des îles du Cap Vert.
Cette ligne est appelée le méridien Alexandre VI. A l’ouest, l’Atlantique appartient à l’Espagne, à l’est, au Portugal. Ce traité de Tordesillas mécontente les Portugais qui demandent un déplacement de la ligne vers l’ouest, à 370 lieues des îles du Cap Vert. Cet élargissement de la zone portugaise va permettre au pays de prendre, en 1500, possession du Brésil, qui vient d’être découvert par Cabral.
Les Portugais ont maintenant un véritable empire colonial, ils installent des comptoirs en Inde à Cochin puis à Goa. Ils sont en compétition avec les flottes vénitienne et arabe. La dynastie Aviz a permis au Portugal de devenir une grande puissance économique et coloniale. Ses représentants resteront au pouvoir jusqu’à la disparition des deux derniers, le roi Sébastien puis le cardinal Henri Aviz. A la mort de celui-ci, une douzaine de prétendants se présentent. Le roi d’Espagne, Philippe II, en profite pour charger le duc d’Albe d’occuper le pays. Il faut attendre 1640 pour qu’une nouvelle dynastie s’installe sur le trône du Portugal : les Bragance.
La macabre cérémonie du couronnement posthume d’Inès de Castro a inspiré, au XIXe siècle, la peinture d’histoire avec le fameux tableau du français Pierre-Charles Comte au milieu du XIXe siècle. Au XXe siècle, une étonnante pièce de l’écrivain français et futur académicien Henry de Montherlant "La Reine morte" sera créée à la Comédie-Française, le 8 décembre 1942. La pièce, mise en scène par Pierre Dux et interprétée par Madeleine Renaud et Jean Yonnel, obtient un triomphe mérité. Pour une large partie du public, la vérité et la force de cette impressionnante et hallucinante tragédie amoureuse sont une découverte. On ignorait souvent les incroyables rebondissements de cette passion au-delà de la mort d’Inès. De nombreux spectateurs diront, dans cette époque de la France occupée, qu’il y avait longtemps que la plus prestigieuse scène dramatique française n’avait été aussi bien inspirée…
Ressources bibliographiques :
Philippe Jullian, Les reines mortes du Portugal (Robert Laffont, collection "L’Amour et la Couronne", 1964)
Le Portugal, empire des mers (Traduit de l’italien, version française de Gilles Ortlieb, Robert Laffont, 1982)
Jean des Cars, Des couples tragiques de l’histoire (Perrin, 2020)