Le 4 mai 1897, un incendie dévastateur détruit le Bazar de la Charité, une vente de bienfaisance à laquelle participait la duchesse d'Alençon. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte la fin tragique de Sophie-Charlotte, épouse du duc d'Alençonet figure mythique des "Orléans".
C'est une catastrophe qui a marqué l'histoire de Paris. Une série diffusée en 2019 revenait d'ailleurs sur ce brasier dévastateur. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars raconte la terrible mort de la duchesse d'Alençon dans l'incendie du Bazar de la charité.
Après leur union rondement menée par la mère de Sophie-Charlotte et la tante de Ferdinand, Clémentine Saxe-Cobourg (fiançailles en huit jours et mariage trois mois plus tard !), les jeunes mariés commencent leur nouvelle vie en s’installant à Bushy House. C’est une grande et belle maison entourée d’un parc magnifique. Mais le maître des lieux n’est pas Ferdinand, c’est son père, le duc de Nemours. Celui-ci est cependant plein de bonne volonté et a décoré avec beaucoup de goût l’appartement destiné au couple. Sophie-Charlotte lui en est reconnaissante. Il y a encore deux autres personnes dans la maison, les deux sœurs de Ferdinand, Marguerite, 22 ans, charmante, avec qui la mariée s’entend très bien, et la plus jeune, Blanche, 11 ans, avec qui c’est... plus difficile ! Il faut dire qu’elle a du mal à marcher, ce qui la rend peu aimable.
Les trois autres frères du duc de Nemours, Joinville, Aumale et Montpensier sont aussi exilés en Angleterre. Ils se rencontrent souvent, les Orléans sont très "famille". Ils sont souvent conviés par la reine Victoria à Windsor. Chaque semaine, Ferdinand et Sophie-Charlotte se rendent donc à Londres pour faire des courses, aller au théâtre ou à l’opéra. Ils passent la nuit dans la résidence londonienne du duc d’Aumale, le plus riche des quatre frères car il a hérité de l’immense fortune des Condé.
Le reste du temps se passe à la campagne. Sophie-Charlotte aime la nature, cela lui convient. Mais surtout, elle est amoureuse de son mari. Elle est très vite enceinte et accouche le 9 juillet 1869 d’une petite Louise, hommage délicat à sa mère Ludovica. Mais sa santé se révèle fragile. Elle se remet mal de ses couches et tousse beaucoup. Les médecins conseillent le soleil. Le couple et la petite fille vont donc partir en décembre 1869 d’abord pour Munich, pour voir la famille et le médecin de la Cour qui, lui aussi, prescrit le soleil et la chaleur. Le trio poursuit donc son voyage vers l’Italie, avec une halte à Rome, au palais Farnèse. Ils résident chez la sœur de Sophie-Charlotte, la reine de Naples, qui vient elle aussi de donner naissance à une fille mais cette-fois de son mari, avec qui elle s’est réconciliée entre-temps ! Elle y retrouve aussi sa sœur Mathilde, comtesse Trani. Un bonheur pour les trois femmes.
Le couple Alençon et sa petite fille gagnent alors la Sicile où leur oncle Aumale a mis à leur disposition sa résidence à Palerme, le Palais Orléans, une maison magnifique au cœur d’un parc de 40 hectares. Ils y passent quatre mois, très bénéfiques pour Sophie-Charlotte. Au mois de mai 1870, ils se rendent en Bavière où toute la famille s’est donné rendez-vous près de Possenhofen, à Feldafing, avec Sissi, Mathilde et Marie. Il faut rappeler que ces migrations permanentes sont très habituelles dans les familles royales ou princières.
Vous voulez écouter les autres épisodes de ce podcast ?
>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr et sur Apple Podcasts, Google podcasts, Deezer, Dailymotion, YouTube, ou vos plateformes habituelles d’écoute.
>> Retrouvez ici le mode d'emploi pour écouter tous les podcasts d'Europe 1
Mais à partir de juillet, pour Ferdinand, c’est plus compliqué car c’est le début de la guerre franco-prussienne de 1870... Le duc d’Alençon est mal à l’aise. Il ne peut pas rester dans un pays, la Bavière, allié de la Prusse et qui va se battre contre la France. Sissi le comprend très bien et les invite à gagner Vienne avec elle. François-Joseph les accueille chaleureusement et ils vont passer l’été à Schönbrunn. Ils passent l’hiver suivant à Meran, en Haute Autriche. Ferdinand est alors rappelé par son père en Angleterre. Il laisse donc Sophie-Charlotte et leur fille seules à Meran, avec leur suite, pendant plusieurs mois. Il n’a pas pu se battre dans les armées françaises en raison de la loi d’exil qui interdit, entre autres, aux princes de combattre pour leur pays.
Lorsqu’il rejoint sa femme au printemps 1871, il la retrouve tendue, dépressive, elle n’a pas supporté sa solitude. C’est à ce moment-là qu’il réalise sa fragilité. Toute contrariété l’atteint physiquement. Mais ils s’aiment et Sophie-Charlotte est très vite à nouveau enceinte. Elle refuse de retourner en Angleterre. Sans doute ne supporte-elle pas l’autorité de son beau-père. Le couple va donc s’installer à nouveau à Schönbrunn.
C’est là qu’ils apprennent, le 17 juin 1871, l’abrogation de la loi d’exil frappant les Orléans. Les descendants de Louis-Philippe peuvent rentrer en France. Ferdinand part aussitôt pour l’Angleterre afin d’organiser le retour de son père et de ses oncles dans leur patrie. C’est Sissi, une fois de plus, qui avec gentillesse et générosité prend en charge sa sœur enceinte et sa petite nièce. Elle et François-Joseph les accueillent tout l’été à la Kaiservilla, à Bad Ischl.
En septembre, Ferdinand revient installer sa femme et sa fille à Méran mais il doit les quitter rapidement car il a été, enfin, réintégré dans l’armée française, avec le grade de capitaine dans un régiment basé à Vincennes. Sophie-Charlotte est heureuse que la vie de son époux reprenne un sens. Mais ils vont à nouveau être séparés. Elle accouche donc seule à Méran, le 18 janvier 1872, d’un garçon, prénommé Emmanuel. Il est titré duc de Vendôme.
Sophie-Charlotte s’installe à Paris
Au printemps 1872, la duchesse d’Alençon rejoint son époux à Paris avec ses deux enfants. Ils emménagent au 45 avenue de Marigny. Dès son installation, Sophie-Charlotte, qui a bien des points communs avec sa sœur Sissi, ne supporte plus l’ingérence de son beau-père, le duc de Nemours, dans son existence. Elle refuse qu’il se mêle de sa vie quotidienne, veut être libre de ses mouvements et ne tolère pas d’être accompagnée d’une dame d’honneur chaque fois qu’elle sort.
Le conflit s'apaise lorsqu’elle obtient de choisir son chaperon : Melle de Saint-Aubin, choisie par son beau-père, est remplacée par la baronne de Fernbach qui avait été sa dame d’honneur avant son mariage. Pour Sophie-Charlotte, l’époque est très difficile. Ses deux grossesses l’ont épuisée. Les changements constants de résidence et son conflit avec son beau-père l’ont complètement déstabilisée. Elle se réfugie dans la religion. Elle tente de trouver un équilibre entre ses tortures morales, la foi, la famille et la vie mondaine qu’elle doit mener.
Pour son mari, ce n’est pas plus simple. Le républicain Jules Ferry décide, brutalement, d’exclure de l’armée le duc d’Aumale, le duc de Chartres et le duc d’Alençon, les trois princes d’Orléans engagés sous les drapeaux. Ferdinand est à nouveau privé d’activités. Là-dessus, deux drames familiaux les accablent. Le 8 juin 1886, le comte Trani, époux de sa soeur Mathilde, se suicide en se tirant une balle dans la tête. A peine est-il enterré qu’on apprend la mort mystérieuse du roi Louis II de Bavière dans le lac de Starnberg, le 13 juin 1886. Le 22 juin, une nouvelle loi d’exil est votée. Elle ne concerne que les chefs des Maisons Orléans et Bonaparte, mais par solidarité, tous les Orléans décident de regagner l’Angleterre.
Les errances de la duchesse d’Alençon
La duchesse d’Alençon se rend en Bavière pour assister aux funérailles de son éphémère et étrange fiancé, le roi Louis II. Le 29 juin, elle tombe malade. C’est une forte scarlatine. Son mari, rentré d’Angleterre, s’installe avec ses enfants à Possenhofen, chez Ludovica. Sophie-Charlotte y est confinée. La maladie est longue. Une cure est recommandée.
Tandis que le duc accompagne son fils en Angleterre où il sera pensionnaire, Sophie et sa fille séjournent à Tegernsee puis à Munich. La famille est coupée en deux. Théoriquement, ils devraient se retrouver à Nice en mars 1887. Mais tout d’un coup, la duchesse cesse d’écrire. Le docteur Glaser, un gynécologue munichois, prévient son mari qu’elle souffre de troubles féminins aigus et doit garder le lit. Elle ne pourra venir sur la côte d’Azur. Mais la véritable raison est beaucoup plus simple : Sophie-Charlotte a une liaison avec son médecin ! Le secret est bien gardé mais pas pour une partie de la famille. En, l’apprenant, Sissi écrit un terrible poème vengeur : "Envers ton bon mari, Tu as renoncé à la fidélité, Tu lui percé le cœur ; Oui, tu as gravement pêché"
Le duc d’Alençon vient récupérer sa femme (et leur fille) à Munich alors qu’elle allait s’enfuir en Suisse avec son amant, le docteur Glaser. Très curieusement, on ne parle pas d’adultère. La duchesse est malade, son comportement est étrange et il faut la soigner. On la confie donc à un célèbre aliéniste qui possède une clinique sur les hauteurs de Graz, dans le sud de l’Autriche. On n’en parle pas, mais ce praticien est habitué "à traiter les femmes adultères"...
L’internement de la duchesse d’Alençon fait grand bruit. Pour le journal Morning Post, Sophie Charlotte a été gravement bouleversée par la mort de Louis II et son état mental est devenu si alarmant qu’il faut la soumettre à un traitement adapté. Ouf ! Pas de scandale, juste un petit "dérangement mental"... Pour ce qui est des soins prodigués, nul n’en sait rien. On sait seulement qu’elle est internée dans une clinique de luxe spécialisée. Elle y reste jusqu’au début de l’hiver 1887.
Pour Ferdinand, son monde s’écroule. Son épouse devient sa préoccupation permanente. Il guette chacun de ses mouvements d’humeur. Sa fébrilité quand le courrier arrive... Il tente de la rassurer mais en même temps, il la surveille. Sa violente passion pour son médecin, lui-même marié et père de famille, peut renaître à tout instant. Ferdinand doit aussi s’occuper des enfants. leur fils Emmanuel, 16 ans, n’a été témoin de rien. Il passe d’un collège anglais à une pension autrichienne. En revanche, Louise qui était avec sa mère à Munich, a assisté à la passion de Sophie-Charlotte. Elle a été traumatisée par sa violence. Comme Sissi, elle écrira un terrible poème. Son père l’installe en France, à l’Institution du Sacré-Cœur et sa tante Marie, la reine de Naples désormais à Paris, prend soin d’elle.
Le couple Alençon emménage à Vienne. L’empereur et l’impératrice ont un œil bienveillant sur eux. Ils les invitent le soir de Noël à la Hofburg avec leur fils Rodolphe et son épouse Stéphanie. C’est la dernière fois qu’ils verront l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie. Un mois plus tard, il mourra mystérieusement à Mayerling. Un choc de plus pour la famille, et pour la fragile Sophie-Charlotte…
La vie du duc et de la duchesse d’Alençon suit son cours. En 1891, leur fille Louise se marie avec Alphonse de Bavière. Encore un mariage entre cousins ! Et Sophie-Charlotte a un regain de passion pour le docteur Glaser ! Le duc prend contact avec le médecin et amant de sa femme : ce dernier s’engage à ne plus revoir son illustre patiente ! Pour son épouse, Ferdinand est d’un amour et d’une patience exemplaires. Le couple se réinstalle à Paris, avenue de Friedland. En 1896, leur fils Emmanuel épouse la princesse Henriette de Belgique. Les Alençons semblent avoir retrouvé leur équilibre.
L’incendie du Bazar de la Charité
En avril 1897, Sissi vient à Paris et rend visite à Sophie-Charlotte. Elle veut s’excuser de n’avoir pu se rendre au mariage de son fils, deux mois plus tôt. On sait combien l’impératrice d’Autriche s’est occupée de sa sœur chaque fois qu’elle en avait besoin. Mais on sait aussi combien elle a été dure avec elle lors de sa liaison avec le docteur Glaser. Un peu médium, Elizabeth a-t-elle voulu se mettre en paix avec sa cadette avant l’inéluctable ? De son côté, la duchesse d’Alençon a-t-elle eu des pressentiments ? Elle vient de rédiger son testament, précisant qu’elle désire être enterrée dans son habit de religieuse du Tiers Ordre de la Pénitence. Elle précise aussi que si son mari décédait avant elle, on devait se conformer à sa volonté : "Je veux être placée tout à côté de mon mari, l’ange gardien de ma vie".
Dans tous les désordres de son existence, Sophie-Charlotte a toujours pu compter sur Ferdinand. Il a sans cesse été là et ne lui a jamais rien reproché. La duchesse d’Alençon est prête pour le dernier acte de sa vie. Chaque année, elle tient un comptoir au Bazar de la Charité, au profit de l'œuvre des Dominicains. La plus grande vente charitable de l’année est une véritable institution. Cette année-là, l’organisateur, le baron de Mackau, a vu plus grand que d’habitude. De la rue de La Boétie, on l’a transféré au 15-17 de la rue Jean Goujon, sur un immense terrain offert par M. Heine. On y a transporté un décor pittoresque admiré à la récente exposition sur le théâtre au Palais de l’Industrie. Il figure une vieille rue de l’ancien Paris, longue de 80 mètres et large de 10. Elle comprend des reproductions de maisons et 22 boutiques munies d’enseignes. Le tout réalisé en carton pâte et toile peinte.
La duchesse d’Alençon est là dès le premier jour, le lundi 3 mai. Elle a beaucoup vendu. Le lendemain, elle s’y rend à nouveau l’après-midi. Très élégante dans sa robe noire et son petit chapeau garni de plumes de héron. Elle est encore en deuil de son beau-père, le duc de Nemours, décédé un an plus tôt. Son comptoir, au numéro 45, est près des portes d’entrée, très bien placé. De nombreux visiteurs s’empressent pour acheter des objets. Le duc d’Alençon arrive un peu plus tard. Il va de comptoir en comptoir et achète à son épouse un petit pot à lait. La grande attraction, cette année, est le cinématographe, dans une salle improvisée, derrière le décor.
Brusquement, vers 4 heures de l’après-midi, une langue de feu s’élève au-dessus du décor et du cinématographe. Personne ne comprend ce qui se passe. On l’a su après : en raison du succès des projections, on n’a pas pris le temps de laisser suffisamment refroidir l’appareil entre deux séances. La pellicule s’est enflammée au contact de la lampe beaucoup trop chaude. Les flammes atteignent vite le décor, lui-même très inflammable. Le duc d’Alençon, qui était à l’intérieur, fera un récit terrifiant de la catastrophe. Il se trouve alors au centre de la rue, entre l’entrée et le buffet. Il se précipite vers le comptoir de sa femme pour lui porter secours. Il n’a pas le temps de se retourner qu’un torrent humain le bouscule : tout le monde se précipite vers les portes. Les gens sont bloqués car elles ne s’ouvrent pas de l’intérieur. On estime qu’il y a 600 personnes à l’intérieur du Bazar. Le duc est alors persuadé que son épouse, dont le comptoir est tout près de la porte, a réussi à sortir. Il remarque quelques personnes qui vont en sens contraire vers une petite porte ouverte sur le terrain vague attenant. Il sera l’un des derniers à sortir par cette issue avant que tout ne s’embrase à l’intérieur.
Les témoins, qui étaient auprès de la duchesse d’Alençon quand l’incendie s’est déclaré, diront qu’elle était très calme. Elle savait que tout était fini. Elle s’était résignée. Elle a dit : "Sortez, Mesdames, je sortirai la dernière". Elle aurait ainsi sauvé des jeunes filles. Ferdinand, qui croyait sa femme hors de danger, commence à douter et ne s’aperçoit même pas qu’il est brûlé à la tête. La période qui suit l’incendie est insoutenable. Les secours doivent d’abord s’occuper des rescapés vivants, brûlés ou blessés puis dégager, un à un, les corps carbonisés ou ce qu’il en reste. Ceux-ci sont transportés au Palais de l’Industrie. Il s’agit maintenant d’identifier les morts et de trouver les restes de la duchesse. C’est le dentiste de Sophie-Charlotte qui reconnaîtra sa mâchoire, au milieu d’une centaine de victimes.
Le 5 mai, le corps de Sophie-Charlotte est transporté vers un caveau à Saint-Philippe du Roule, sa paroisse. Ses obsèques ont lieu le 14, le temps que le duc d’Alençon se remette de ses blessures. Une foule se presse dans l’église. Tous les Orléans sont là, quelques têtes couronnées, des ambassadeurs, un Tout-Paris traumatisé. Cette horrible fin va élever la duchesse au rang de mythe. A-t-elle considéré, au dernier moment, que cette mort par le feu correspondait à son profond désir de rédemption, une façon de se dépasser en expiant ses fautes, comme l’écrit sa biographe Dominique Paoli ? Nul ne le saura jamais... La duchesse d’Alençon repose désormais à Dreux, dans la nécropole des Orléans. Son mari ne la rejoindra qu’en 1910, treize ans plus tard.