En avril 1917, les Etats-Unis s'engagent dans la Première Guerre mondiale. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au coeur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte pourquoi et comment, après deux ans de débats et d’hésitations, les Etats-Unis, qui s’étaient déclarés neutres, ont fini par entrer en guerre contre l’Allemagne.
Le 6 avril 1917, après de virulents débats, le Sénat et la Chambre des Représentants américains votent la déclaration de guerre à l’Allemagne à une écrasante majorité. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars détaille les événements qui ont précédé la tardive entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale aux côtés des Alliés.
Une tragique énigme
Le 7 mai 1915, le paquebot britannique Lusitania, de la compagnie Cunard, part de New-York à destination de Liverpool. Au large de l'Irlande, il est torpillé, sans sommation, par un sous-marin allemand U20. Il coule en 18 minutes. 1 198 passagers périssent, dont 128 citoyens américains. Cet acte de guerre contre un navire civil, et d’un pays neutre, provoque indignation et émotion aux Etats-Unis.
La nouvelle a été connue très tôt sur la côte est. Les radios locales ont interrompu leurs programmes pour diffuser des marches funèbres. La tragédie prend les proportions d’une affaire d’Etat. L’ancien président Théodore Roosevelt, qui avait plaidé pour une intervention des Etats-Unis aux côtés des alliés, considère l'événement comme un acte de piraterie et une violation du droit maritime international.
Le gouvernement allemand assure, d’une part, que le Lusitania transportait des munitions destinées aux Alliés et que, d’autre part, il naviguait dans une zone de guerre déclarée et que son commandant en avait été averti. La polémique enfle entre Washington et Berlin. Il faut rappeler, même si cela n’a rien à voir, que l’opinion internationale reste traumatisée par le naufrage, accidentel et spectaculaire, du Titanic trois ans plus tôt, catastrophe dans laquelle avaient péri de nombreux américains.
Les Américains s’interrogent : quelle sera l’attitude du Président Wilson ? Dès le début des hostilités, il avait averti que la marine de guerre allemande serait mise sous surveillance si elle causait des dommages à des navires de pays neutres. En imposant la guerre sous-marine, le Kaiser Guillaume II cherche à étrangler le commerce britannique, au mépris de la vie des civils.
Selon les experts, le torpillage du paquebot a été prémédité. On en veut pour preuve la mise en garde adressée par les autorités de Berlin aux passagers américains de ne pas emprunter des navires étrangers naviguant pour le compte d’un pays en guerre contre l'Allemagne. Le Président Wilson ordonne à son secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, William Jennings Bryan, d’adresser à l’empereur Guillaume II une lettre de protestation véhémente.
L’opinion américaine estime que les Etats-Unis ne peuvent en rester à cette initiative diplomatique et les condoléances de l’ambassadeur du Kaiser Johann von Bernstorff ne sont guère convaincantes. Un mois plus tard, le 9 juin, le secrétaire d’Etat Bryan démissionne : il est hostile à la guerre et n’a pas apprécié que le Président Wilson lui ait ordonné d’adresser à Guillaume II une deuxième note de protestation.
Entre le torpillage du "Lusitania" et l’entrée en guerre des Etats-Unis, il va s’écouler près de deux ans. Les soupçons, d’un côté, comme de l’autre, se heurtaient à des réponses impossibles. Le paquebot avait-il été torpillé par erreur ? Ou bien était-il devenu un navire armé ou transportant du matériel militaire sous couvert de marchandises commerciales ? Mais pour les Américains, le drame du "Lusitania" avait été vécu comme une attaque inadmissible.
Il faudra attendre cinquante-sept ans, c’est à dire l’année 1972, pour que les archives de Washington, de l’Amirauté britannique et de la Cunard Line révèlent enfin la vérité : non seulement, ce paquebot civil contenait 4 200 caisses de munitions transportées en contrebande par les Anglais sous le nom de "cartouches de chasse", et des tonnes de matériel militaire, mais le paquebot avait été discrètement armé de douze canons et inscrit, tout aussi discrètement, sur les rôles de la Royal Navy britannique, sous la dénomination de "croiseur auxiliaire armé".
Le président Wilson contraint de déclarer la guerre
Les semaines passent et la menace allemande se précise. Le 17 novembre 1915, c’est un navire marchand italien, l’Acona, qui est coulé. Vingt-sept passagers américains étaient à bord. Trois attaques par des sous-marins prouvent qu’il s’agit bien d’une guerre navale non officielle.
La facile réélection du Président Wilson le 7 novembre 1916 s’explique parce que ce démocrate a su, jusqu’ici, éviter aux Etats-Unis d'entrer en guerre. C’en est presque devenu un efficace slogan de campagne…
Au début de 1917, la naïveté du locataire de la maison Blanche ne rassure plus les Américains. Le 3 février, un U-Boot allemand coule un paquebot américain au large de la Sicile. Les relations diplomatiques sont alors rompues entre Washington et Berlin. Les services de renseignements américains, informés par leurs homologues britanniques, savent que l’Allemagne va intensifier sa guerre sous-marine.
On comptabilise 120 sous-marins allemands d’attaque, dont les deux-tiers sont constamment opérationnels. Les Anglais avaient intercepté et décrypté un message codé adressé à l’ambassadeur d'Allemagne à Mexico. Selon cette dépêche, dite de "Zimmermann", il s’agissait non seulement de la guerre sous-marine mais aussi d’un projet d’alliance allemande avec le Mexique. Elle serait susceptible de gêner les Américains s’ils décidaient d’intervenir en Europe.
Le 6 avril 1917, les convictions pacifistes du Président Wilson et de ses concitoyens cèdent devant l’hostilité croissante de l’Allemagne. A 13h18, le Sénat vote la déclaration de guerre à l’Allemagne par 90 voix contre 6, et la Chambre des Représentants en fait autant par 373 voix contre 50, après treize heures de virulents débats. Dans son discours, le président américain déclare : "Le monde doit être assaini en vue de la victoire de la démocratie. C‘est une chose terrible de conduire un peuple pacifique à participer à la plus horrible des guerres. Mais la défense du droit est encore plus précieuse que la paix. Nous devons combattre pour sauver ce que nous avons toujours porté au plus profond de notre coeur : la démocratie, la liberté des petites nations, le règne universel du droit dans le concert des peuples de façon à ramener la paix entre les nations et la liberté dans le monde entier."
Depuis le torpillage du Lusitania, l’intensification de la guerre sous-marine et la menace d’alliance de l'Allemagne avec le Mexique ont fini par convaincre le gouvernement de Washington. Il faut aussi remarquer que malgré leur protestation de neutralité, les Etats-Unis étaient devenus, pour ainsi dire, les principaux fournisseurs des Alliés en nourriture, en matières premières et en munitions.
Le Président Wilson a autorisé les banques américaines à prêter 2 milliards de dollars à l'Angleterre et à la France pour financer leur effort de guerre. En même temps, le chef d’Etat américain a rejeté la demande de ses très nombreux concitoyens d’origine germanique d’imposer un embargo sur les livraisons d’armes aux Alliés. La neutralité des Etats-Unis devenait de pure forme. Le Premier ministre britannique, David Lloyd George, salue l’entrée en guerre des Etats-Unis en déclarant : "L’Amérique vient de faire un grand pas vers l’accession au rang de puissance mondiale."
Le 18 mai, le Congrès ordonne la conscription de tous les Américains de sexe masculin âgés de 21 à 30 ans. Ils seront dix millions d’hommes à être ainsi recensés. Rapidement, les emprunts de guerre font recette. En six mois, ils rapporteront 4,6 milliards de dollars. Pour assurer une bonne promotion de ces emprunts, le secrétaire au Trésor William McAdoo demande l’aide de célébrités. Des artistes aussi populaires que Mary Pickford et Douglas Fairbanks apportent leur contribution sous le crépitement des flashes des photographes.
Pershing vs. MacArthur : deux méthodes pour l’armée américaine en guerre
Un mois après l’entrée en guerre des Etats-Unis, le président Wilson annonce que le général Pershing commandera le corps expéditionnaire américain en Europe. Il a 57 ans. Ce francophone est officier de cavalerie et il est devenu général de brigade à seulement 41 ans. Il a participé à plusieurs engagements contre les Indiens (notamment contre le chef Geronimo), il a servi à Cuba pendant la guerre hispano-américaine et aux Philippines. Puis, il est devenu Attaché militaire à l’ambassade américaine au Japon au moment de la guerre de 1905 contre la Russie.
En 1915, il a participé au raid contre le révolutionnaire mexicain Pancho Villa. Sa nomination à la tête des troupes américaines sur le front français est un défi. Il n’avait participé qu’à des opérations ponctuelles de contre-guerilla ou de pacification. Pershing va être obligé de prendre part à un conflit dont l’ampleur est sans précédent.
Les chefs militaires européens les plus expérimentés ont déjà dû remettre en cause tout ce qu’ils croyaient savoir de la guerre. Le général américain devra créer de toute pièce une armée de masse capable d’affronter les conditions d’un conflit total et d’une dimension inédite.
Il sait qu’il va devoir compter avec les lenteurs administratives. Il lui sera impossible d’engager les forces américaines rapidement et de manière significative. Mais il est bien décidé à prendre le temps nécessaire pour bâtir l’armée qu’il veut, capable de tenir son rôle autonome au sein de la coalition alliée.
En même temps que Pershing prépare ses troupes, un jeune commandant de 36 ans, Douglas MacArthur est appelé à organiser la campagne nationale en faveur de la conscription. MacArthur est sorti major de West-Point. Il a, lui aussi, été envoyé en mission au Mexique en 1915 avant d’être affecté à l’état-major de l’US Army. Contrairement à Pershing, il pense que l’armée en cours de constitution devrait être aussi composée de divisions de la Garde Nationale, c’est à dire les troupes de réserve. Après avoir convaincu le président Wilson, il obtient de réunir les effectifs des gardes de plusieurs Etats en une seule unité. 26 Etats sont mis à contribution. Macarthur s’en explique : "La participation s’étendra donc sur tout le pays comme un arc en ciel."
Il est promu colonel et commandant en chef en second de cette division, baptisée Rainbow, "Arc en ciel" en français. Il va entraîner ses hommes et n’arrivera en France que quatre mois après les troupes de Pershing.
"La Fayette, nous voilà !"
Pour la première fois de leur histoire, les Américains interviennent militairement en Europe. Le 13 juin 1917, Pershing débarque à Boulogne-sur-mer avec un Corps Expéditionnaire modeste de 177 hommes. Parmi eux, le futur général Patton. Pour les accueillir, les rues de Paris sont si encombrées que les Américains fraîchement débarqués ont du mal à avancer. La foule crie "Vive l'Amérique !" et leur lance des roses. Le major général de l’armée américaine qui accompagne Pershing dira : "Puissé-je vivre un millier d’années, jamais je n‘oublierai cette heure de liesse au milieu de la foule."
Le 4 juillet, jour de la Fête Nationale américaine, les Américains se font conduire au cimetière de Picpus, dans le XIIe arrondissement, où se trouve la tombe de La Fayette. Pershing et ses troupes viennent rendre hommage au premier français ayant soutenu les Insurgents révoltés dans les colonies américaines d’Angleterre, sous le règne de Louis XVI. Laissons lui la parole : "Au cimetière de Picpus, on m’avait demandé de prononcer une allocution ; mais j’avais désigné, pour parler à ma place, le colonel Stanton, de mon état-major, un vieux compagnon d’armes qui était quelque peu orateur… C’est à cette occasion, et devant ce tombeau, que furent prononcés les mot mémorables qu’on ne pouvait trouver que sous le coup d’une profonde émotion, des mots qui vivront longtemps dans l’Histoire : "La Fayette, nous voilà !" C’est à moi que beaucoup ont attribué cette phrase lapidaire, et j’ai souvent regretté de n’en avoir pas la paternité…"
Ressources bibliographiques :
Jean-Christophe Buisson, 1917, l’année qui a changé le monde (Perrin, 2016)
Sous la direction de Jean-Pierre Turbergue, La Fayette nous voilà ! (Italiques, 2008)
André Baeyens, La damnation de Woodrow Wilson (Xenia, 2014)
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