Le 12 avril 1861, une attaque des forces Confédérées contre une installation militaire de l'Union à Fort Sumter déclenche la guerre de Sécession. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte le déroulement et les conséquences de la guerre civile qui a déchiré le nord et le sud des Etats-Unis durant quatre ans.
La guerre de Sécession prend fin le 9 avril 1865, à l'issue d'une dernière bataille à Petersburg. Elle laisse place à un bilan humain catastrophique et à un paysage politique bouleversé. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars fait le bilan de cette opposition tragique, l'une des premières guerres "modernes", dont les conséquences sont encore palpables au sein de la société américaine.
Tout au long du conflit, l’armée nordiste va disposer de 900 000 hommes, renouvelés par appel à la conscription. L’armée sudiste peut compter sur 850 000 hommes. Les forces sont donc à peu près équivalentes. Le général en chef des Confédérés va devenir une sorte de légende.
Le général Lee a 54 ans au début des hostilités. Il est issu d’une famille de colons anglais établis en Virginie. A sa sortie de l’Académie militaire de West Point, il commande brillamment les troupes américaines contre celles du Mexique. Ensuite, il dirige West Point de 1852 à 1855. Nommé commandant de l’armée sudiste de Virginie du Nord, il repousse les nordistes qui menacent Richmond lors d’une grande bataille qui va durer sept jours, du 26 juin au 2 juillet 1862. Il remporte d’autres victoires, à Fredericksburg le 13 décembre 1862 et à Chancellorsville en mai 1863.
Mais surtout, en juin 1863, il fait peser une grave menace sur Washington. Il va alors livrer une bataille qui commence le 3 juillet à Gettysburg, en Pennsylvanie. Trois journées d’une effroyable tuerie : 20 000 morts chez les sudistes, 23 000 chez les nordistes ! Elle s’achève par la victoire de l’armée nordiste du Potomac sur les sudistes commandés par le général Lee. A partir de ce moment là, les armées du nord passent à l’offensive.
Quand le nord envahit le sud
La guerre n’est pas que terrestre. L’importante flotte nordiste bloque les côtes du sud, ce qui paralyse le ravitaillement et le commerce sudistes. Le 28 avril 1862, l’amiral nordiste Farragut s’empare de la Nouvelle Orléans après une bataille navale qui a vu l’apparition de navires cuirassés. Le sud possède le premier sous-marin. Il parviendra à torpiller un bâtiment nordiste. Désormais, les navires de guerre ne seront plus en bois. On a changé d’époque ! la flotte de guerre nordiste aura aussi fort à faire avec les "briseurs de barrages" qui réussissent à les contourner et à approvisionner le sud.
En octobre 1863, le général Grant est nommé commandant en chef des forces nordistes de l’ouest, après sa victoire de Chattanooga. Il a déjà pris Nashville et Memphis. Désormais, le Tennessee est aux mains des nordistes. Je vous ai raconté la prise d'Atlanta et sa destruction par le général Sherman le 2 septembre 1864.
Sherman atteint la côte à Savannah en décembre et il s’empare de Charleston en février 1865. Après cette campagne victorieuse du nord, les armées de Lee sont aux abois. La dernière bataille sera livrée en avril 1865 à Petersburg. Elle durera quatre jours. Lee est contraint de capituler le 9 avril 1865. Il se rend à son adversaire Grant au village d’Appomattox, en Virginie. Le bilan humain du conflit est épouvantable ! On estime qu’il y a 359 000 victimes dans les rangs nordistes et 258 000 chez les Confédérés !
Cette terrible guerre a été une des premières guerres modernes après celle de Crimée dix ans plus tôt, préfigurant celles du XXe siècle. La présence, sur tous les terrains, de reporters photographes a permis au public d’être témoin des opérations grâce aux journaux.
L’assassinat de Lincoln
Le Président Lincoln a vécu toute cette guerre avec un sentiment de très grande tristesse. Il a tremblé lorsque les troupes du général Lee se sont approchées de Washington. Un an après le carnage de Gettysburg, qui avait sauvé la capitale fédérale, il inaugure, le 20 novembre 1863, un cimetière militaire à l’emplacement même de la bataille. Il y prononce un discours teinté de mélancolie : "Quand je songe à toutes les vies qu’il faudra encore sacrifier pour terminer cette guerre, mon cœur se serre, et j’ai l’impression de vivre dans une profonde obscurité."
Le 1er janvier de cette même année 1863, il a annoncé que tous les esclaves noirs des Etats-Unis en rébellion seraient désormais libres. Il avait hésité à prendre cette décision car il savait que les conséquences seraient difficiles à gérer. Il fallait motiver moralement l'Union par cette annonce spectaculaire. C’était d’autant plus nécessaire que la guerre n’est pas vraiment populaire dans le nord.
En juillet 1863, des émeutes éclatent à New-York. Il faut faire appel à cinq régiments d’infanterie pour les réprimer. Le bilan de cette semaine sanglante est lourd : 1 000 morts, des centaines de maisons détruites, des magasins pillés et même des journaux favorables à la guerre ont été attaqués.
Tout a commencé le lundi 13 juillet par une manifestation de 4 000 hommes contre la conscription. Les émeutiers ont pour slogan : "Guerre de riches, combats de pauvres". Ces manifestants, en grande partie des travailleurs irlandais, sont furieux d’une clause de la loi sur la conscription. Les jeunes gens des classes aisées pouvaient payer des remplaçants pour échapper au service militaire ! Très vite, les émeutiers s’en prennent aussi aux Noirs libérés qu’ils accusent de leur prendre leur travail. Pendant quatre jours, 7 000 d’entre eux font régner la terreur à New-York, avant l’arrivée de la troupe. Ces émeutes sont une cause supplémentaire de tourments pour Lincoln.
Il est réélu en novembre 1864 mais on peut dire que c’est une demi-élection puisque seul le nord vote... Lincoln ne cesse de proclamer son désir d’une paix sans vengeance. Malheureusement, il n’aura pas l’occasion de gérer sagement cet après-guerre.
Le 15 avril 1865, il se rend, avec son épouse et un jeune couple ami, au Théâtre Ford, à Washington. On y joue une pièce comique intitulée "Notre cousin d'Amérique". Un acteur shakespearien de 26 ans, John Booth, réussit à déjouer la protection de Lincoln. Ce sudiste fanatique s’introduit dans la loge présidentielle, sort de sa poche un petit pistolet et tire en visant la tête du Président. Abraham Lincoln s’effondre, le visage en sang. Il est tué à bout portant. Il avait 56 ans. L’assassin saute ensuite sur la scène en s’écriant : "Ainsi meurent les tyrans ! Le sud est vengé !"
John Booth parvient à s’échapper avec un complice. Il se suicidera avant que la police n’investisse la ferme où ils s’étaient réfugiés.
La dépouille du Président est exposée à la Maison Blanche puis au Capitole où une foule immense rend hommage à celui qui incarnait l’unité américaine. Pour le transfert de son cercueil au Kentucky, sa terre natale, il n’y a qu’une solution : le train, en utilisant un matériel révolutionnaire. C’est une voiture-salon imaginée par un homme qui allait symboliser la révolution des trains de luxe : George Mortimer Pullman. Il a construit une voiture-salon somptueuse, la Pionnière, mais si grande qu’elle ne peut rouler sur les voies ferrées ! Alors, en un temps record, des équipes travaillent jour et nuit pour adapter la voie au gabarit hors-norme de cette voiture. Du jamais vu ! On atténue les courbes, on repousse les quais, on consolide les ponts et on élargit les passages encaissés !
Le cercueil du Président Lincoln est placé au centre de la voiture-salon. Le voyage aller est empreint de recueillement et de tristesse : le long de la voie, les foules saluent le passage du convoi tiré par une locomotive dotée d’une énorme cheminée. En revanche, le voyage du retour attire des curieux.
Pullman en reçoit une publicité imprévue : il fait visiter la voiture aux notables et convoque la presse afin que chacun puisse découvrir le confort et le luxe du décor. D’une manière incroyable, l’inventeur devient célèbre : tout le monde voudra voyager dans son matériel. Grâce à Lincoln, le nom de Pullman sera connu dans le monde entier !
Juste après l’armistice qui avait mis fin à la Guerre de Sécession, l’assassinat de Lincoln est un traumatisme pour les Etats-Unis, soi disant à nouveau réunis. Mais comment la réconciliation est-elle possible ?
La difficile reconstruction
Les quatre années de guerre se sont principalement déroulées sur le territoire du sud. Tout est à reconstruire, les villes mais aussi l’économie, qui doit prendre en compte l’abolition de l’esclavage, bras principal de la culture du coton.
A Washington, le gouvernement a deux tâches difficiles : réunifier la nation et faire des anciens esclaves des citoyens américains à part entière. Pour cela, trois amendements sont ajoutés à la Constitution : Le treizième qui abolit l’esclavage en 1865, le quatorzième qui proclame l’égalité des droits civiques en 1868 et le quinzième qui donne le droit de vote aux Noirs en 1870. Les principes sont bons mais l’application est délicate d’autant plus que le successeur de Lincoln, son vice-président, Andrew Johnson, est accusé d’être trop indulgent à l’égard des sudistes. En fait, le nouveau président est dans la continuité de son prédécesseur. Lincoln ne voulait pas punir le sud mais Johnson n’a ni son prestige ni son autorité. Il va même faire l’objet d’une procédure (toujours d’actualité aujourd’hui..), celle de l'impeachment. Il ne sera pas destitué, mais son gouvernement en restera affaibli.
Son successeur est le général Grant, le vainqueur des sudistes. Cet officier talentueux n’est pas un politique. Il est profondément honnête mais, sans le savoir, il s’entoure de politiciens et de financiers corrompus. Il renforce son parti, les Républicains, en distribuant les places à ses favoris par le système des dépouilles, le "spoil system". En clair, quand on change de président, on renouvelle en même temps l’Administration. Le résultat sera catastrophique : Grant va livrer le sud à des prédateurs. Les sudistes se remettent mal de leur défaite. Ils cherchent à recréer l’esclavage sous une nouvelle forme qualifiée "d’institution particulière". Evidemment, le nord s’y oppose. La première conséquence de la frustration du sud est la création du Ku Klux Klan…
Il est fondé dès décembre 1865 à Pulasky, dans le Tennessee, par d’anciens soldats de l’armée confédérée. Le mouvement est définitivement organisé en avril 1867. Son but essentiel est d’empêcher les Noirs de prendre part aux élections : c’est pourquoi le "Klan" adopte des cagoules blanches, des rites mystérieux, nocturnes et effrayants pour terroriser les Noirs. Il se présente comme "l’Empire invisible du sud". Son chef suprême se fait appeler le "Grand Sorcier" et il a sous ses ordres de "Grands Dragons", de "Grands Titans" et de "Grand Cyclopes". Outre les cérémonies spectaculaires, ils se livrent à des enlèvements et à des assassinats de Noirs. A tel point que sa direction a le sentiment d’être dépassée par les extrémistes locaux.
Son premier président, le général sudiste Forrest, décide alors sa dissolution en 1869. Mais les cellules locales vont subsister et beaucoup s’activer car le sud est en proie à un autre fléau : les "carpet baggers". Ce mot signifie "ceux dont la fortune tient dans un sac de voyage". C’est le surnom, méprisant donné par la population du sud à des aventuriers nordistes venus s’établir chez eux après la guerre. Avec l’approbation des autorités et particulièrement sous la présidence gangrénée du général Grant, ils se livrent à des trafics et à des exactions de toutes sortes. Ils rachètent à bas prix les terres des propriétaires ruinés, ils dressent les Noirs contre les Blancs et s’arrogent la distribution des postes administratifs.
La rancœur du sud est immense. Grant va néanmoins s’efforcer de rétablir l’union avec un quatorzième amendement en 1868 : il prévoit un contrôle par Washington de toutes les élections fédérales, il condamne tout groupe d’au moins deux personnes violant la Constitution : c’est le Ku Klux Klan Act qui tente d’interdire ce mouvement.
Tout ceci a pour but de recentrer le pouvoir à Washington pour consolider la cohésion des Etats-Unis. Désormais, comme le remarque François Durpaire, on n’écrira plus les "Etats-Unis sont" mais "les Etats-Unis est". L’expression est intraduisible en français mais en anglais, cela veut dire que c’est bien un seul pays : "The USA are" est remplacé par "The USA is". Un verbe singulier à la place d’un pluriel.
On ne peut fermer la page de la guerre de Sécession sans parler de deux livres consacrés à cette période. Ils ont connu un immense succès. "Les Quatre Filles du Docteur March" de Louisa May Alcott, publié en 1868, raconte la vie pendant la guerre d’une famille du nord dont le père a été mobilisé comme médecin des armées de l’Union. La mère et ses quatre filles vont souffrir du froid, de la pénurie, de l’angoisse mais surmonteront courageusement leurs peurs et leur détresse grâce à l’énergie et à la solidarité de leurs amis. Le deuxième titre paraîtra près de soixante-dix ans après la fin de la guerre civile, en 1936. C’est le monumental "Autant en emporte le vent" de Margaret Mitchell. Il raconte, à travers une famille de planteurs, le sud d’avant, de pendant et d’après la guerre de Sécession. Le roman est un triomphe. On en vend 50 000 exemplaires par jour en 1937 quand il obtient le prestigieux Prix Pulitzer.
"Les Quatre filles du Docteur March" sera adapté plusieurs fois au cinéma avec succès, mais il n’y aura qu’une seule adaptation de "Autant en emporte le vent", en 1939. Un succès mondial que l’Europe ne découvrira qu’après la guerre. On sait qu’actuellement le livre et le film sont boycottés. Si les Etats-Unis ont réussi à se réconcilier après la guerre civile, certaines tensions subsistent encore 155 ans après qu’elle se soit terminée…
Références bibliographiques :
Chronique de l'Amérique (Editions Chronique, Paris 1989)
André Kaspi, Les Américains (Le Seuil, 2002)
Frédéric Martel, De la culture en Amérique (Gallimard, 2006)
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Karelle Villais