Médecin originaire de Provence, Michel de Notre-Dame, s'est fait connaitre à la cour de Catherine de Médicis et dans le monde sous le nom de Nostradamus. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment cet esprit brillant et pragmatique en est venu à prédire le futur…
De sa Provence natale à la cour d'Henri II et de Catherine de Médicis, Nostradamus a gravi les échelons jusqu'au sommet du pouvoir. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur la trajectoire d'un homme "surdoué" qui a suscité la fascination et la crainte.
Tournoi tragique rue Saint-Antoine
Paris, le 30 juin 1559. La France et l’Espagne, épuisées par une interminable guerre, ont conclu brusquement la surprenante paix de Cateau-Cambrésis.
Elle est chèrement payée par la France. Pour compenser ce qui est une défaite, deux magnifiques mariages ont été négociés : Elisabeth, la fille aînée d’Henri II et Catherine de Médicis, épouse le roi d’Espagne, Philippe II, veuf de Marie Tudor. Plus pittoresque, la sœur du roi, Marguerite, se marie avec le duc de Savoie. C’est un miracle tant pour elle que pour lui. A 36 ans, elle a en effet un âge exceptionnellement avancé pour se marier à l'époque. Quant au duc, de manière plus prosaïque, cette union a l’intérêt de lui rendre le Piémont et la Savoie !
Henri II veut donner du faste à ces deux mariages qui adoucissent la défaite. Il décide donc d’organiser des tournois comme on le faisait au Moyen Âge. Il raffole de ces affrontements violents et spectaculaires. Ces joutes ont lieu rue Saint-Antoine, alors la plus vaste de Paris (150 mètres de long sur 30 de large).
On la dépave, on la sable et on élève de part et d’autre des tribunes richement ornées. Il y a aussi, bien entendu, une lice afin d’éviter un choc frontal entre les cavaliers.
Les premier tournois ont lieu le 28. Le dernier jour, le 30, le roi de France, Henri II, fils de François 1er et marié à Catherine de Médicis, s’apprête à participer à son tour. Il a revêtu une somptueuse armure et sa tête est protégée par un heaume rehaussé d’or. Il est empanaché de plumes noires et blanches, tout comme son cheval. Le souverain porte toujours les couleurs de Diane de Poitiers, sa maîtresse… Il affronte d’abord son beau-frère le duc de Savoie. C’est un match nul.
Il fait très chaud. Catherine de Médicis le supplie d’arrêter là. Mais Henri II veut encore une fois affronter son capitaine de la Garde Écossaise, Gabriel de Montgomery, qui refuse. Inutile de protester, c’est un ordre. Dans sa hâte, le roi ajuste mal sa visière. Il reçoit la lance brisée de son adversaire dans l’œil. Il hurle quand on lui retire les énormes échardes de bois qui griffent son visage.
D’urgence, on fait venir le chirurgien Ambroise Paré car la plaie s’est infectée et gangrène le cerveau. Paré est chirurgien ordinaire de la cour depuis 1552. Hélas, si ce Huguenot libéral qui a appris son métier à l’Hôtel Dieu de Paris est considéré comme le père de la chirurgie moderne, il ne peut rien faire sinon extraire le tronçon de lance. Mais les dégâts causés au cerveau sont irréparables. Le choc a été effroyable, Henri II souffre abominablement. Après une atroce agonie de dix jours, il expire dans les bras de la reine Catherine, le 19 juillet. Il avait 40 ans.
Une tragédie pourtant annoncée quatre ans plus tôt, en 1555, dans un texte étrange. Un quatrain rimé, compliqué à comprendre, publié dans le français poétique de l’époque :
"Le lion jeune le vieux surmontera
En champ bellique en singulier duelle
Dans cage d’or les yeux lui crèvera
Deux classes une, pour mourir, mort cruelle"
Effectivement, à ce tournoi tragique, Henri II portait un casque doré et son meurtrier involontaire avait un lion dans ses armes…
Comment et pourquoi les circonstances de ce drame ont-elles pu être annoncées et si longtemps à l’avance ? L’auteur de cette prédiction est l’un des personnages les plus énigmatiques et sans doute des plus malins et influents de cette époque trouble et passionnante que fut le règne des Valois.
A la cour de Catherine de Médicis, dont le véritable règne va commencer avec le décès de son époux, on fait grand cas des mages et des astrologues. Ils s’emparent souvent de l’esprit superstitieux d’une souveraine née dans un pays où l’on attribue une influence aux astres. Chez les Médicis, on tient compte du pouvoir de l’ombre.
L’auteur de ce quatrain prédisant les conditions de la mort d’Henri II s’appelait Michel de Notre-Dame. Nous le connaissons sous le nom latinisé, une habitude fréquente au XVIe siècle, de Nostradamus. Il est devenu célèbre par ses prophéties, souvent obscures, souvent vérifiées et aussi souvent contestées, appelées les "Centuries". Elles lui vaudront beaucoup d’adeptes et beaucoup d’ennemis. Aujourd’hui encore, elles intriguent et fascinent…
Un étudiant aux dons spectaculaires
L’homme est aussi mystérieux que ses présages. Né le 15 décembre 1503 à Saint-Rémy de Provence, il descendait, selon certains, d’une ancienne famille juive provençale de médecins, convertie sous le règne de François 1er. Selon d’autres sources, il n’y aurait aucun médecin dans sa lignée mais des notaires et ce qu’on appelait des clavaires, c’est à dire des percepteurs royaux. En revanche, il n’y a aucun doute sur ses dons exceptionnels, son sens de l’observation, sa mémoire et sa curiosité pour la médecine de la Renaissance.
Très tôt, il apprend le latin, le grec, l’hébreu, se passionne pour les étoiles, si lumineuses dans le ciel de Provence. On parle de ses dons de guérisseur : il a 12 ans lorsqu’il intervient auprès d’un vieux voisin qui se tord de douleur. A la surprise de son entourage, le jeune Michel ordonne une médication qui guérit le malade. Ce résultat étant inexplicable, l’adolescent se fait des ennemis. Il en aura beaucoup.
Prudent et refusant de se brouiller avec les gens établis, il quitte Saint-Rémy en 1521 pour Avignon où il est reçu "maître ès arts", l’équivalent de bachelier en médecine. Il a 18 ans. Il se rend ensuite à Montpellier, où on ne le connaît pas. La Faculté de médecine y est célèbre dans toute la chrétienté. Il se plonge d’abord dans des études théoriques mais rapidement, il préfère assister les apothicaires au chevet des malades. Servi par une mémoire prodigieuse et une grande intelligence, il accumule les expériences. Il recueille des recettes, qu’on dirait "de grand mère" et en consigne les bienfaits et les inconvénients, démarche rare au XVIe siècle.
En 1526, une épidémie de peste (il y en a très souvent) ravage la Guyenne et le Languedoc. A Narbonne, à Toulouse et à Bordeaux, sans peur ni dégoût, le jeune étudiant visite, réconforte et soigne en veillant à purifier l’air par des compositions balsamiques. Non seulement, il n’est pas contaminé par le fléau mais il guérit ceux qui en sont atteints. On l’acclame comme un sauveur mais on se demande aussi comment il a échappé à l’épidémie… Michel de Notre-Dame intrigue encore, et il dérange déjà.
Le mal ayant disparu, le jeune homme est reçu à ses examens avec félicitations, à la Faculté de Montpellier. Lors de la cérémonie, on le coiffe d’un bonnet carré, on lui passe au doigt une bague d’or puis on noue une ceinture dorée autour de sa toge noire. Le voici officiellement médecin, ayant prêté le serment d’Hippocrate.
Il voyage beaucoup dans des régions marquées par des révolutions spirituelles et scientifiques. Il entretient des relations suivies avec des astrologues et des alchimistes. Installé à Agen, il épouse une jeune fille qui lui donne deux beaux enfants en vingt mois. Il a une clientèle importante. Hélas, en 1539, il perd en quelques jours sa femme et ses deux fils. Il reprend ses voyages, ne se fixe nulle part et soigne les malades d’une épidémie à l’autre, sans jamais être atteint lui-même.
Nostradamus prédit le futur
En 1546, hôte d’une famille noble du Dauphiné retirée et sans éclat, il établit l’horoscope d’un nouveau-né. Il prédit que ce poupon deviendra l’un des personnages les plus importants du royaume. La prédiction sera avérée : l’enfant sera le duc et Connétable de Lesdiguières, maréchal de France, que Henri IV lui-même qualifiera de "rusé comme un renard".
Franchissant les Alpes, notre médecin-devin, croise un humble moine et se jette à ses pieds. Il assure les passants que ce franciscain est un futur pape ! On se moque de ce voyageur qui raconte n’importe quoi. On a tort, car en 1568, le moine Felice Peretti est élu 225ème successeur de Saint-Pierre sous le nom de Sixte-Quint. Et quel pape ! Il appuiera Henri III et les ligueurs catholiques et excommuniera Henri de Navarre, le futur Henri IV.
Après de nombreux voyages en Lorraine, en Suisse, en Germanie, où il guérit et annonce des prédictions surprenantes, il se fixe à Salon-de-Crau, aujourd’hui Salon-de-Provence. Il se remarie en 1547 avec une jeune veuve fortunée et sans enfant, Anne Ponsard. Cette union est paisible, heureuse. Ils auront trois fils et trois filles.
Michel de Notre-Dame a 44 ans, la médecine commence à le lasser. Dans sa cave, où il est seul à pouvoir entrer, dans le silence et le secret, il déchiffre des grimoires, étudie la Kabbale, cette loi orale et secrète transmise à Moïse sur le Mont Sinaï. A l’aide de lunettes, il consigne ses observations astrologiques. Désormais, il ne soigne pas les malades sans avoir d’abord établi leur horoscope. A cette époque, cela n’a rien d’exceptionnel.
Peu avant 1550, il commence à publier des sortes d’almanachs avec des présages "calculés et expliqués par M. Michel Nostradamus, docteur en médecine, astrophile de Salon de Crau, en Provence". Il publie aussi un "Traité des Fards", c’est à dire des crèmes pour le visage, des conserves alimentaires et des philtres magiques. Toutes ces recettes mystérieuses doivent être complétées par des instructions secrètes. Aujourd’hui, on pourrait dire que Nostradamus avait un étonnant sens commercial de l’édition, chacun de ses ouvrages renvoyant à un autre !
Des prophéties dérangeantes
C’est le 4 mai 1555 que Nostradamus bouleverse et intrigue ses contemporains. Le livre qu’il publie à Lyon sous son nom, avec le titre de "Prophéties", suscite tellement de commentaires que plus de quatre siècles et demi plus tard, il conserve toujours ses admirateurs passionnés et ses détracteurs acharnés.
La première édition comprend 353 quatrains de vers de dix syllabes où l’auteur donne, affirme-t-il, des lumières sur des évènements à venir. Pour réaliser ses prophéties, Nostradamus observe le ciel et "ces nocturnes et célestes lumières que sont naturelles" vont être conjuguées à une inspiration divine.
En revanche, il rejette nettement la magie, "l’exécrable magie, réprouvée jadis par les sacrées Écritures et les divins Canons". Ses prophéties sont donc inspirées par la contemplation du ciel et par l’inspiration de Dieu. L’homme livre au lecteur un message. Il veut l’avertir, le rendre captif de son verbe. Pour cela, il utilise la poésie. Les prophéties sont toutes des quatrains, sur le modèle des poètes du XVIe siècle. Mais son inspiration n’est pas poétique, elle est bien prophétique.
La curiosité entraîne un immense succès, remarquable à une époque où beaucoup de gens ne savent pas lire. D’année en année, le nombre de quatrains augmente. Il y en aura jusqu’à mille.
La renommée de ces prophéties est telle qu’on en parle à la cour. Catherine de Médicis, férue de magie, d’astrologie, d’alchimie, et peut-être de sorcellerie, est passionnée. En guise de préface, Nostradamus écrit au roi. Henri II répond à ce voyant en lui demandant de venir à Paris.
Bien que souffrant de la goutte pendant une quinzaine de jours, Nostradamus est magnifiquement reçu au Louvre. Courtisans, nobles dames et gentilshommes sont curieux de l’approcher ; un homme, venu de loin, qui a voyagé et qui dit l’avenir, ne peut qu’avoir du succès. On se presse autour de lui. Le couple royal lui remet 400 écus d’or, une fortune, équivalent aujourd’hui à plusieurs milliers d’euros.
Inquiète de l’horoscope sinistre que cet hôte troublant a établi pour ses sept enfants, Catherine de Médicis l’interroge. Elle veut en savoir plus. Pour les filles, Nostradamus est prudent, il reste évasif. En revanche, pour les enfants mâles, il est affirmatif. Il annonce : "Trois d’entre eux règneront, un quatrième ne portera pas le sceptre."
Malgré cet accueil, Nostradamus sent bien qu’il dérange, trouble et peut faire peur. Soucieux de ne pas irriter de grands personnages et prétextant sa santé, il regagne sa Provence. A Salon, il est auréolé du prestige de celui qui a vécu dans l’intimité du roi et de la reine. Une proximité qui ne fait que commencer, et qui va donner lieu à l’un des épisodes les plus étranges de l’Histoire de France…
Références bibliographiques :
Bruno Petey Girard, Nostradamus, Prophéties, présentation, chronologie, bibliographie et notes (Flammarion, 2019)
Jean Orieux, Catherine de Médicis (Flammarion, 1986)
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio