81 ans avant Meghan Markle, une autre américaine divorcée a épousé un prince du Royaume-Uni… Mais à l'époque, l'affaire fit scandale ! Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment le mariage de Wallis Simpson et du roi Edouard VIII a provoqué l’abdication du souverain britannique à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Le 10 décembre 1936, le roi Edouard VIII abdique pour épouser la femme qu’il aime, Wallis Simpson, contre l'avis de la famille royale et du cabinet du Premier ministre. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte comment les "Windsor" ont continué à susciter la polémique après ce mariage, notamment durant la Seconde Guerre mondiale…
L’abdication
Le directeur du Morning Post avertit que son journal ne sera plus silencieux sur le sujet de Mrs. Simpson. Le Chancelier de l'Échiquier, l’équivalent de notre ministre des Finances, annonce que, si le roi ne met pas un terme à sa liaison, le cabinet démissionnera. Edouard VIII pense qu’un complot a été fomenté contre lui par le Premier ministre avec la complicité de l’archevêque de Canterbury. Le gouvernement de Baldwin poursuit ses mises en garde : tout mariage du souverain doit avoir l’approbation du cabinet. Il rappelle que l’épouse du roi devient la reine. Par conséquent, la voix du peuple doit être entendue et le peuple ne veut pas de Wallis Simpson !
Fin novembre, une nouvelle audience, décisive, a lieu entre le roi et son Premier ministre. Edouard VIII a réfléchi : il a examiné le problème sous tous ses aspects. Il va abdiquer pour pouvoir épouser Wallis. Le chef du gouvernement lui répond que c’est une très grave décision et qu’il en est lui-même très affecté. Les deux hommes se serrent la main et se quittent. En fait, Baldwin n’est pas si touché, il serait même plutôt soulagé. Les dérives du couple Edouard VIII-Wallis étaient devenues ingérables.
Pendant ce temps, Wallis Simpson s’est enfuie en France, chez ses amis Rogers, près de Cannes, pour échapper à ses détracteurs. Le choc que va ressentir le Royaume-Uni et le monde britannique est difficile à imaginer. Le lendemain de l’annonce qu’il a faite au Premier ministre, Edouard VIII réunit ses trois frères. L’aîné, le duc d’York, qui va lui succéder, est tellement abasourdi qu’il n’arrive pas à prononcer un mot - on sait qu’il a des difficultés d’élocution… Les deux autres frères, les ducs de Gloucester et de Kent, sont consternés. Quant à la reine Mary, mère du roi, elle est très énervée ! Elle a honte de son fils. C’est un égoïste et qui n’a pas pensé au désarroi dans lequel va tomber son peuple. Deux ans plus tard, dans une lettre qu’elle lui adresse pour lui expliquer sa position, la reine écrit à son fils : "Vous n’avez pensé qu’à vous ! Je ne crois pas que vous ayez pris conscience du choc que votre attitude a causé à votre famille et à toute la nation. Il était inconcevable, pour ceux qui avaient fait tant de sacrifices pendant la guerre, que vous, leur roi, ait refusé un sacrifice moindre… Mes sentiments pour vous en tant que mère demeurent les mêmes… Après tout, toute ma vie, j’ai mis mon pays avant toute autre chose et je ne puis, simplement, changer maintenant".
Le matin du 10 décembre 1936, à Fort Belvédère, en présence de ses trois frères, le roi signe son acte d’abdication qui fait de son cadet, le duc d’York, le nouveau souverain. Bien que son prénom soit Albert et que ses proches continueront à l’appeler Bertie, il prend le nom de George VI, en hommage à son père. Il y a ensuite un dîner d’adieu au Royal Lodge, dans le parc de Windsor, avec la mère, la sœur et les frères d’Edouard. Puis, il gagne le château. Dans un salon de Windsor aménagé en studio, l’ex-roi prononcera un discours à la Nation, diffusé en direct par la BBC. Il va dire, notamment :
"Je veux que vous compreniez qu’en prenant ma décision, je n’ai oublié ni le pays, ni l'Empire que je me suis attaché à servir pendant vingt-cinq ans comme prince de Galles puis récemment comme roi. Mais vous devez me croire quand je vous dis qu’il m’est apparu impossible de supporter le lourd fardeau des responsabilités et de remplir les obligations qui m’incombent en tant que roi, comme j’aurais aimé le faire, sans l’aide et le soutien de la femme que j’aime."
Depuis la villa Lou Viei, près de Cannes, où elle est chez ses amis Rogers, Wallis écoute ce discours sans précédent. Elle n’aura qu’un seul commentaire : "Quel idiot !"
Tout est dit… Wallis est, certes, ambitieuse et manipulatrice mais elle s’était très bien accommodée de son statut de maîtresse royale. Elle serait volontiers devenue reine mais ce qui l’attend maintenant ne la satisfait pas. Si Édouard est fou d’elle, on peut dire, aujourd’hui, qu’elle ne l’aime pas et ne l’a jamais aimé. Désormais, elle va vivre avec un homme dont le seul intérêt pour elle avait été qu’il fut l’héritier du trône, puis roi. Il a tout perdu, elle aussi.
Les rapports du couple sont ambigus : Wallis est dominatrice et cela satisfait Edouard. Elle le traite souvent mal en public. Un couple dominante-dominé, qui met parfois mal à l’aise ceux qui les fréquentent…
Après son discours, l’ex-monarque Edouard VIII, désormais titré duc de Windsor, embarque à Portsmouth sur un destroyer de la Royal Navy, le HMS Fury, à destination de Boulogne. Il va passer les prochains mois en Autriche, dans un château appartenant aux Rothschild. Puis, il rejoindra Wallis en Touraine, à Candé, pour leur mariage, au printemps suivant.
Les étranges voyages des Windsor
Le nouveau statut du duc de Windsor va être l’objet de négociations et de récriminations permanentes de l’ex-roi avec son frère George VI. Les principaux sujets sont l’argent, la possibilité d’un retour en Grande-Bretagne et le statut de Wallis.
Pour l’argent, le couple n’en aura jamais assez ! Le gouvernement refusera de payer et c’est le roi George VI qui devra le faire sur sa cassette personnelle.
Pour le moment, le duc de Windsor s’est engagé à quitter le territoire britannique pour au moins deux ans. On verra qu’à l’exception de quelques brefs séjours, l’exil sera définitif. Le comportement du couple en sera la cause.
Quant au statut de Wallis, elle porte le titre de duchesse de Windsor mais ne sera jamais altesse royale, à son grand désespoir. Dès lors, le couple va vouloir continuer à exister et à faire parler de lui. Après leur voyage de noces, ils vont lancer leur première provocation à l’encontre des autorités britanniques en acceptant de se rendre en Allemagne, au début d’octobre 1937. Officiellement c’est une visite privée mais elle est, en réalité, spectaculaire et soigneusement mise en scène.
Pendant trois semaines, le duc et la duchesse sont reçus par tous les dirigeants du Reich et les patrons de l’industrie allemande. Le pouvoir nazi connaît le point faible de Wallis : il veille à lui donner le titre d’ altesse royale…
Le point d’orgue du voyage est un entretien avec Hitler, dans son nid d’aigle de Berchtesgaden. Plusieurs photos en attestent : on voit Hitler baisant respectueusement la main de la duchesse. Après leur départ, il déclare : "C’est dommage… Elle aurait fait une bonne reine".
Tout cela n’est pas anodin. On est à la veille de la guerre. Lorsqu’il s’attaquera à l'Angleterre, le Führer, certain de son succès, aura dans l’idée de remettre sur le trône le roi déchu et son épouse, dévoués à sa cause…
Durant la période 1939-1940, la "drôle de guerre", le couple est installé à Paris. La duchesse s’active à la Croix-Rouge pour faire des colis envoyés aux soldats. Le duc a été nommé officier de liaison entre les états-majors français et britannique.
Lors de l’invasion allemande de juin 1940, le duc et la duchesse sont sur la Côte d'Azur. Ils vont quitter la France, s’installant d’abord à Madrid puis gagnent le Portugal. Leur présence à Lisbonne pose un sérieux problème à George VI et à son Premier ministre, Churchill. Celui-ci, qui avait soutenu Edouard et Wallis juste avant l’abdication, a réalisé qu’il avait fait une faute politique. Le couple est encombrant, il y a beaucoup d’activités autour du duc et de la duchesse à Lisbonne. Ils sont contactés par les services secrets allemands.
Le retour des Windsor sur le territoire britannique est inenvisageable, désastreux pour le moral des troupes du Royaume-Uni et humiliant pour la famille royale. Churchill tranche : il faut les éloigner ! Il envoie un télégramme à l’ex-roi, lui annonçant qu’il est nommé gouverneur et commandant en chef des Bahamas. C’est effectivement très loin de l'Angleterre et des combats en Europe. Le duc et la duchesse sont obligés d’accepter ce nouvel exil. Furieuse, Wallis compare les Bahamas à l’île d’Elbe !
L’archipel des Bahamas est proche de la Floride, donc des Etats-Unis. Edgar J.Hoover, le patron du FBI, va surveiller de près les activités et les relations du couple. Il a raison : entre ennui et mondanités futiles, les Windsor rencontrent des personnages douteux. Ils vont vivre leur exil de quatre ans comme un calvaire. Pourtant, ils sont bien loin de l’épreuve réelle des bombardements sur Londres, des sacrifices imposés aux Britanniques, des horreurs et des tragédies qui ravagent l’Europe.
A la fin de la guerre, le problème se pose de nouveau au roi George VI et au gouvernement : que va-t-on faire des époux "bannis" ?
Ils rentrent à Paris et en octobre 1945, Edouard obtient de venir à Londres, sans son épouse, pour voir son frère George VI et discuter de son statut. Le duc séjourne chez sa mère, la reine Mary, à Marlborough House. L’entrevue avec le roi est glaciale. L’ex-souverain ne peut s’installer en Angleterre. Son comportement et les ambiguïtés pro-nazies, depuis la "drôle de guerre" jusqu’aux Bahamas font des Windsor des parias.
Évidemment, une chape de plomb est mise sur ces vérités. Le peuple britannique ne doit pas connaître les turpitudes de son ancien souverain. Edouard et Wallis, ne pouvant s’installer au Royaume-Uni, resteront en France. Ils auront les moyens de mener une vie confortable et frivole.
De 1945 à 1953, ils vivront dans un hôtel particulier du XVIe arrondissement de Paris, rue de la faisanderie, grâce à la générosité de Paul-Louis Weiller. Puis, ils emménageront dans un élégante résidence dans le Bois de Boulogne. C’est une existence creuse, seulement remplie de mondanités et de somptueux voyages. Les Windsor sont partout : une fête à Monte-Carlo, un bal à Venise, ils sont devenus une sorte d’attraction, une curiosité.
En 1952, à la mort du roi George VI, le duc de Windsor est autorisé à assister, seul, aux funérailles de son frère. Il espère que sa nièce, la nouvelle reine Elizabeth II, montrera moins d’intransigeance à l’égard de Wallis. C’est bien mal connaître la jeune souveraine, très affectée par la mort de son père qu’elle chérissait. Elle ne pouvait ignorer combien le duc et la duchesse avaient constitué pour le roi courageux un cauchemar permanent.
Pourtant, en 1972, apprenant que le duc est au plus mal, la reine, en visite officielle en France, viendra au chevet de son oncle et rencontrera Wallis. Elle est accompagnée du duc d’Edimbourg et du prince Charles. Elizabeth II aura un entretien avec le prédécesseur de son père, qu’on peut imaginer de réconciliation et de pardon. Il était temps : l’ex-roi Edouard VIII s’éteint quelques jours plus tard.
Ses obsèques ont lieu le 5 juin 1972. Pour la première fois depuis 1936, Wallis réside à Buckingham. La cérémonie a lieu dans la chapelle Saint-George de Windsor. Edouard est inhumé dans le cimetière royal de Frogmore.
Wallis lui survivra quatorze ans. Ses dernières années sont terribles. Elle ne quitte plus son lit et se trouve dans un état de semi-inconscience. Elle meurt en avril 1986, et a droit au même traitement que son époux : elle est inhumée aux côtés de celui qui, pour elle, avait renoncé à tout. Une abdication sans précédent dans l’histoire de la monarchie britannique.
Références bibliographiques :
Martin Allen, Le roi qui a trahi (Traduction de l’anglais de Jean Rosenthal, Plon, 2000)
Jean des Cars, La saga des Windsor (Perrin, 2011) et La saga des favorites (Perrin, 2013)
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio