81 ans avant Meghan Markle, une autre américaine divorcée a épousé un prince du Royaume-Uni… Mais à l'époque, l'affaire fit scandale ! Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment la sulfureuse Wallis Simpson a conquis le futur roi Edouard VIII, et fait vaciller la couronne d'Angleterre.
Le 3 juin 1937 marque un tournant dans l'histoire de la monarchie britannique. Ce jour là, Wallis Simpson, une américaine deux fois divorcée, épouse l'ex-roi Edouard VIII qui a dû renoncer à la couronne pour convoler en justes noces avec la femme de sa vie. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte comment est née l'idylle qui a fait chanceler le trône d'Angleterre.
Drôle de mariage en Touraine
Le 3 juin 1937, il fait un soleil radieux en Touraine. La lumière inonde la pierre blanche du château de Candé où l’ex-roi Edouard VIII, désormais duc de Windsor, s’apprête à épouser la femme de sa vie, Wallis Simpson, du nom de son second mari. Elle est arrivée un mois plus tôt, avec ses dix-sept malles, dans cette délicieuse demeure Renaissance. Le propriétaire, Charles Bedeau, un industriel américain d’origine française, l’a obligeamment mise à la disposition du couple pour ce mariage qui provoque la curiosité du monde entier.
C’est la première fois que le duc de Windsor retrouve sa future femme depuis qu’elle a quitté Londres et qu’il a abdiqué. Il leur a fallu attendre près d’un an et demi que le divorce de Wallis soit prononcé. Pourtant, ce jour tant attendu n’est pas tout à fait celui que les mariés avaient souhaité… L’Eglise d’Angleterre est alors opposée à une cérémonie religieuse pour les divorcés dont le ou les ex-conjoints sont encore vivants, ce qui est le cas des deux ex-maris de Wallis. Il a donc fallu trouver un prêtre qui accepte de bénir cette union. C’est finalement le révérend Jardine qui s’acquitte de la tâche. Quant aux invités, ils ne sont pas nombreux : à peine vingt personnes ! Le nouveau roi, George VI, frère d’Edouard, a interdit à tous les membres de la famille royale d’assister au mariage, même le duc de Kent, son jeune frère si proche d’Edouard et le cousin Louis Mountbatten, qui aurait dû être garçon d’honneur.
En revanche, une horde de journalistes et de photographes de presse se bouscule aux grilles du château. Ils en seront pour leurs frais : le seul photographe officiel admis est le déjà célèbre Cecil Beaton : il réussit le tour de force d’être ami de la mariée tout en continuant à être le photographe préféré de George VI et de son épouse Elizabeth, la plus farouche ennemie de Wallis. Grâce à Beaton, on peut admirer le sourire un peu crispé de la duchesse, ce jour là. Elle porte un élégant ensemble de crêpe "bleu Wallis" et un étrange chapeau que même Cecil Beaton a jugé horrible !
Le marié, sublimement élégant dans sa jaquette avec œillet blanc à la boutonnière, arbore quant à lui un air inquiet. Visiblement, ce mariage n’est pas très joyeux. Le couple exilé et honni de son royaume va devoir imaginer une drôle de vie. Mais comment Wallis Simpson a-t-elle subjugué Edouard alors qu’il était encore prince de Galles, et provoqué une crise d’autant plus grave que la situation internationale est très inquiétante à l’époque ? Un séisme où amour et politique ont été dangereusement mêlés…
Une certaine Mrs. Simpson
Et puis d’abord, qui est cette Wallis ? Wallis Warfield est née le 19 novembre 1896, dans les environs de Baltimore, aux Etats-Unis. Ses parents appartiennent à des familles de vieille souche sudiste, mais particulièrement désargentées. Son père meurt de tuberculose quelques mois après sa naissance. Sa mère a des difficultés à l’élever. Elle est aidée par son riche oncle Sol qui lui verse une pension - quand il y pense…
Cette précarité des premières années de sa vie explique que Wallis sera constamment à la recherche d’une sécurité matérielle. Lorsqu’elle a 16 ans, l’oncle Sol paie sa scolarité dans une école pour jeunes filles de la bonne société. Elle est une élève médiocre mais elle fait quand même un apprentissage mondain.
A 18 ans, en 1914, Wallis hérite de sa grand-mère, et grâce à cet argent, elle rejoint une de ses amies en Floride. Elle y rencontre son premier mari, Earl Spencer, un pilote de l’aéronavale. Elle l’épouse le 8 novembre 1916. Ce mariage lui assure la sécurité mais très vite, elle s’aperçoit que son mari est alcoolique. Leur vie conjugale est un enfer.
En février 1923, Spencer est affecté en Chine. Il patrouille avec sa canonnière au large de Canton. La Chine est alors au bord de la guerre civile. Wallis ne l’a pas accompagné. Elle mène joyeuse vie à Washington, en collectionnant les amants dont l’ambassadeur d’Italie puis un riche et beau secrétaire à l’ambassade d’Argentine. Elle est alors enrôlée par le Département d’Etat. Il est courant, à cette époque, que les épouses d’officiers de marine soient utilisées comme courriers entre l’Europe et l’Extrême-Orient. Elle rejoint son mari en Chine. Celui-ci vient d’être nommé officier de renseignement pour la flotte américaine en Chine du Sud. Le couple se retrouve à Hong-Kong.
C’est là que se situerait un épisode utilisé plus tard par les services de renseignement britanniques, à la demande du Premier ministre Baldwin, pour discréditer Wallis. Selon ce mystérieux dossier chinois, elle aurait été initiée dans des maisons de prostitution. Elle serait devenue experte dans l’art du "fang chun", un massage extrêmement précis et progressif destiné à faire connaître "plaisir et sérénité complète" aux hommes, particulièrement à ceux souffrant de troubles sexuels.
Elle regagne les Etats-Unis en 1927 et obtient son divorce d’avec Earl Spencer. A New-York, elle rencontre son deuxième mari, Ernest Simpson, riche courtier maritime qui a l’intention de se fixer à Londres pour travailler avec son père. Ils se marient le 21 janvier 1928 à Londres, à la Mairie de Chelsea. Pour Wallis, qui a 32 ans, c’est à nouveau la sécurité financière. Elle pense qu’elle aura accès à la bonne société londonienne mais elle n’en connaît ni les usages, ni les codes.
En 1925, le couple s’installe dans un quartier très recherché, près d’Oxford Street. Son bel appartement lui permet de recevoir. Malheureusement, la crise de 1929 va durement toucher le couple Simpson. La société maritime d’Ernest est en difficulté. C’est à ce moment là que les Simpson reçoivent à dîner le premier secrétaire de l’ambassade des Etats-Unis, accompagné de son épouse, Consuelo Vanderbilt. La sœur de Consuelo, Thelma, a épousé un aristocrate anglais, le vicomte Furness. A Londres, tout le monde sait que la vicomtesse est la maîtresse du prince de Galles depuis trois ans…
La rencontre avec le prince de Galles
Edouard, David pour les intimes, est le fils aîné du roi George V et de la reine Mary. Il a alors 35 ans. Il n’est pas grand mais séduisant, blond aux yeux clairs, très élégant et plein de charme. Comme ses trois frères et sa sœur, il a eu une enfance plutôt triste avec des parents très distants, des nurses sévères, autant que les précepteurs qui vont leur succéder. Edouard a fait preuve de bravoure sur les champs de batailles de la guerre de 14-18. Un peu trop d’ailleurs, au point que le ministre de la Guerre, lord Kitchener, va lui rappeler qu’il est prince de Galles, l’héritier du trône, et qu’il ne doit pas s’exposer !
Edouard collectionne les maîtresses ; il les choisit toujours mariées… La première aventure qu’on lui connaisse, juste après 1918, est avec Freda Dudley Ward. La dernière "titulaire de la charge" est Thelma Furness…
Quelque temps après le dîner avec le diplomate américain et son épouse Consuelo, cette dernière invite les Simpson à une chasse donnée, le 10 janvier 1931, en l’honneur du prince de Galles, par sa sœur, lady Furness. Wallis est terriblement excitée à l’idée de rencontrer le futur roi. Elle s’exerce à faire des révérences… même dans le train qui la conduit à la chasse ! Elle est déçue car Edouard s’intéresse peu à elle. Mais ils se revoient à plusieurs reprises, notamment le 10 juin, à Buckingham Palace lors de la soirée où on présente au roi et à la reine un certain nombre de personnalités, généralement triées sur le volet.
Grâce à ses amis Furness, Wallis a réussi a être invitée. Pour sa présentation au roi George V et à la reine Mary, elle porte la tenue obligatoire, une robe de satin blanc prêtée par Consuelo. Quant aux trois plumes d’autruche exigées pour la coiffure, elles ont été prêtées par Thelma. Evidemment, le prince de Galles est là. Ils se retrouvent plus tard dans la soirée chez lady Furness. Cette-fois, l’héritier de la Couronne a remarqué Wallis. Il va même raccompagner le couple Simpson en voiture chez lui.
Petit à petit, les Simpson vont faire partie du cercle intime d’Edouard et Thelma. Dès janvier 1932, le prince vient dîner chez eux. Il apprécie tellement la soirée qu’il ne repart qu’à 4 heures du matin, après avoir invité le couple dans son refuge appelé Fort Belvédère. C’est un genre de château romantique avec un donjon, très Walter Scott, dans le parc de Windsor, qui lui sert de résidence de campagne. Les Simpson y seront souvent invités. Le vent tourne en faveur de Wallis lorsque, en janvier 1934, Thelma Furness déjeune avec elle et lui explique qu’elle doit partir pour les Etats-Unis. Elle la considère comme sa meilleure amie, et lui demande de veiller sur "le petit homme" en son absence. Ce "petit homme" est évidemment le prince de Galles !
Wallis va la prendre au mot… Pendant toute cette période, Edouard devient un visiteur assidu de l’appartement des Simpson. Il y passe à tout instant, soit pour quelques minutes, soit pour toute la soirée s’il n’y a pas d’autres invités. Ernest Simpson s’enferme même dans son bureau pour laisser sa femme seule avec le prince…
A son retour d’Amérique, en mars 1934, Thelma constate un refroidissement de ses relations avec Edouard. Le week-end suivant, à Fort Belvédère, elle se rend compte de la complicité entre Wallis et l’héritier de la couronne : "Je me suis rendue compte que Wallis s’en était occupée excessivement bien. Le regard glacial et provoquant qu’elle me lança me fit comprendre toute l’histoire…"
Une "affair" d'Etat
Exit Thelma ! Wallis est la nouvelle maîtresse du prince de Galles.
L’été suivant, Ernest est aux Etats-Unis. Elle rejoint Edouard à Biarritz. Puis, ils font une croisière le long des côtes d’Espagne et du Portugal avant de gagner Cannes. C’est là qu’elle reçoit son premier bijou : une breloque en émeraude et brillants à accrocher à son bracelet. Ce sera le début d’une longue série de joyaux exceptionnels dont le prince va couvrir sa dulcinée. La presse européenne et américaine publie des photos du couple en voyage, mais pas la presse anglaise, soucieuse de la réputation de la famille royale.
1935 est l’année du jubilé d’argent du roi George V. Le souverain est inquiet de la liaison de son fils avec cette américaine divorcée. Il refuse qu’elle soit invitée à Buckingham pour le bal du jubilé. Peine perdue : Edouard contourne l’ordre paternel ! Au début de l’année 1936, l’état de santé de George V se dégrade. Il meurt le 20 janvier. Le prince devient le nouveau roi sous le nom d’Edouard VIII.
Le monarque n’est pas très assidu à sa tâche. Il a la fibre sociale, il s’intéresse au sort des ouvriers, ce qui le rend assez populaire, mais il est incapable de se concentrer sur les documents d’Etat. Ce "travail du bureau" l’ennuie. Wallis se mêle de tout, lit les dépêches confidentielles réservées au roi, elle donne des conseils. Et alors que l’heure est aux économies, Edouard VIII offre à sa maîtresse un collier de diamants et rubis de Van Cleef & Arpels d’une valeur de 16 000 Livres sterling (environ 500 000 euros actuels).
D’autre part, le roi manifeste sa sympathie à l’égard de l’Allemagne. Hitler est au pouvoir depuis 1933 et Edouard VIII estime qu’il a fait du bon travail. Il n’est pas le seul au Royaume-Uni à être de cet avis. Il y a un parti fasciste puissant, animé par Oswald Mosley, et certains grands noms de l’aristocratie britannique ne sont pas hostiles au IIIe Reich. Néanmoins, au Royaume-Uni, c’est le gouvernement qui décide et le roi ne doit pas manifester publiquement ses opinions. Le Premier ministre Stanley Baldwin est très inquiet. Et cette Wallis qui s'immisce dans les affaires de l’Etat ne fait qu’aggraver ses préoccupations. C’est à ce moment là que ses services font surgir le "dossier chinois" de Mrs Simpson…
L’été suivant, le roi s’affiche avec sa maîtresse lors d’une croisière à bord d’un yacht en Méditerranée. Là encore, la presse mondiale couvre l’évènement mais pas la presse britannique. Wallis devient trop présente. Le frère du roi, le duc d’York, futur George VI, ne la supporte plus. Elle se moque des rondeurs de la duchesse et des boucles de la petite Elizabeth, la future Elizabeth II. Pire : elle envisage de divorcer et d’épouser Edouard VIII. Ce dernier supplie même Wallis de hâter la procédure pour qu’elle puisse être sa femme avant son couronnement, prévu le 12 mai 1937. Il pourra ainsi la faire couronner reine…
A la mi-octobre le roi reçoit son Premier ministre pour discuter de ce qui est devenu une affaire d’Etat. Baldwin lui montre des lettres de protestations contre le comportement outrancier de Wallis. Edouard n’en démord pas : il l’épousera. Le Secrétaire Général de la puissante Union des Syndicats, Ernest Bevin, déclare alors : "Nos gens ne permettront pas que Mrs Simpson, même divorcée, devienne notre reine. Le peuple n’aime pas qu’il n’y ait pas de vie de famille à la cour."
Un bras de fer est engagé entre le roi et son Premier ministre. Lequel des deux va l’emporter ?
Références bibliographiques :
Martin Allen, Le roi qui a trahi (Traduction de l’anglais de Jean Rosenthal, Plon, 2000)
Jean des Cars, La saga des Windsor (Perrin, 2011) et La saga des favorites (Perrin, 2013).
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio