Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Vous avez aimé le bras de fer entamé par l’Élysée avec la haute-administration…
Oui, c’est une petite musique qu’on a entendue toute la semaine lorsqu’on a commencé à comprendre que les mesures annoncées par Emmanuel Macron pour sortir de la crise des "Gilets jaunes" ne seraient appliquées qu’en partie. C’est par exemple le cas du Smic : tous les smicards devaient voir leur pouvoir d’achat augmenter de 100 euros par mois dès janvier, et on a appris ensuite que seuls ceux qui n’ont que le Smic pour vivre, ceux qui n’ont pas d’autre source de revenus, pas de conjoint qui gagne mieux sa vie, seuls ceux-là seraient concernés. Et c’est la même chose avec la prime de 1.000 euros que les entreprises qui le veulent peuvent distribuer : cette prime ne sera déductible des impôts que pour les salariés qui gagnent moins de 3.600 euros.
Alors, la faute à qui ? A l’administration, à Bercy en particulier ?
Oui, c’est ce qui se murmure à l’Élysée. En fait, ces dysfonctionnements, ces couacs (pour dire les choses clairement) ont deux origines. D’abord la complexité folle de la réglementation et de la législation françaises. Je reprends l’exemple du Smic. Pour l’augmenter sans que ça pèse sur les comptes des entreprises, il faut baisser des charges sociales ou augmenter des aides. Or, toutes les aides ont des critères d’attribution, elles sont fléchées, comme on dit, vers telle ou telle population. Quand on touche à ces aides, ça ne profite pas à tout le monde.
Idem pour les baisses de charges des entreprises qui sont très souvent conditionnelles (quelle taille, quels effectifs, par exemple). Et donc, on comprend qu’une mesure promise à tous ne peut pas être rapidement mise en place. Et, pire encore, que pour appliquer une mesure simple il faut créer des exceptions aux exceptions, des nouvelles règles qui, au nom de la simplification, vont créer de nouvelles complications. C’est fou…
Vous disiez que les couacs pouvaient avoir deux causes…
Oui, la deuxième, c’est effectivement les réticences ou l’immobilisme de la haute administration, et des ministères en général. L’exemple le plus frappant est celui de l’annulation des mesures "Gilets jaunes", les premières, celles qui avaient été annoncées par le Premier ministe lui-même à la veille des premières manifestations.
Oui, le chèque énergie, la prime kilométrique, les dispositions pour le remplacement des chaudières à fioul…
Exactement. Lundi dernier, Matignon a annoncé l’annulation de ces promesses avant d’annuler cette annulation. Couac majeur. Qui est typique de la mainmise de l’administration sur la politique. Bercy a considéré que les mesures Macron, plus favorables, permettaient d’annuler les mesures Philippe, moins avantageuses. Et Matignon s’est rangé à cet avis, avant de comprendre (sous la pression des députés) que c’était complètement déconnecté de la réalité.
Bon, mais il y a quand même une responsabilité du politique, qui aurait dû voir ce que cette annulation avait de risqué ?
Absolument, et c’est vrai que, accuser l’administration, c’est aussi une façon de se dédouaner de sa responsabilité politique. Mais il y a incontestablement en France un double problème : le politique a de moins en moins la main sur la conduite du pays (et c’est un aveu de faiblesse de sa part). Quant à l’administration, qui n’est que très peu renouvelée, elle considère qu’elle détient le pouvoir, qu’elle sait mieux que le politique ce qui est bon pour le pays, et qu’elle a le temps pour elle. Un certain candidat Macron à la présidentielle avait promis de bousculer ça. Tout reste à faire…