Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce vendredi, il revient sur l'opposition de Bruno Le Maire au rapprochement entre le Canadien Couche Tard et Carrefour. Le ministre de l'Économie estime qu'il faut protéger la souveraineté alimentaire du pays, qui serait menacée par cette opération avec un groupe étranger.
Le cours de bourse de Carrefour a brutalement chuté ce jeudi, conséquence des déclarations de Bruno Le Maire qui s’est dit hostile à un rapprochement avec le groupe canadien Couche Tard.
Pour essayer de comprendre l’attitude de Bruno Le Maire, il faut se plonger dans son dernier livre "L’Ange et la Bête", dans lequel il dit "L’économie était devenue la politique ; avec la crise, la politique doit se réapproprier l’économie". Voilà, c’est clair : le blocage de l’opération Carrefour-Couche Tard est une décision purement politique, pas économique.
Bon, mais est-ce que c’est un problème ?
Oui, un vrai problème même. Appliquer une grille d’analyse politique à un sujet purement économique, c’est l’assurance de faire des dégâts, c’est le risque de flirter avec le populisme. L’argument de Bruno Le Maire, c’est qu’il faut protéger la souveraineté alimentaire du pays, qui serait menacée par cette opération avec un groupe étranger. Ça alors : un supermarché, ce n’est quand même pas une usine d’armement, ou de médicaments, c’est au contraire une activité neutre stratégiquement, soumise à une concurrence interne implacable, impossible à délocaliser. Au nom de quelle rationalité économique le propriétaire d’une chaîne d’hyper marchés prendrait la décision politique de retirer tel ou tel produit de ses rayons ?
L’argument de la souveraineté est une fiction. De même, traiter le Canada comme si c’était la Chine, alors que les business français et canadiens passent leur temps à faire des deals et du commerce, c’est presque insultant pour ce pays libre et ouvert. Nicolas Beytout ajoute que l’offre de rapprochement avec Carrefour provient d’un groupe familial, pas d’un horrible fonds de pension, la bête noire des politiques français.
Et quels dégâts faudrait-il craindre ?
Ils sont importants. D’abord sur le plan international. La France passe son temps à faire des courbettes aux investisseurs internationaux : "Venez, venez investir dans notre beau pays". Emmanuel Macron organise même des conférences comme "Chose France", qui rassemblent le gotha du capitalisme mondial. Bon, ce sommet vient d’être annulé pour cause de Covid mais ses participants ont aussi reçu le message : "Vous n’êtes plus vraiment tous bienvenus en France".
Autres dégâts, sur le plan intérieur, cette fois. On ne peut pas se plaindre que les Français soient hostiles à la mondialisation et envoyer un signal danger chaque fois qu’un groupe étranger amical est candidat en France. C’est vraiment, de la part du ministre des Finances, très contre-productif.
Est-ce que les positions peuvent évoluer ?
Les actionnaires concernés s’y emploient sûrement. Mais cette affaire est d’autant plus incroyable que l’État n’est pas actionnaire de Carrefour. Économiquement, il n’a donc pas son mot à dire, sauf si on rêve d’un pays totalement administré. Il reste peut-être une solution : que Bruno Le Maire relise son livre. Il tombera peut-être sur cette phrase : "La protection est la forme la moins claire des interventions de l’État. Rien ne nuit davantage à la puissance publique que sa dispersion". On ne saurait mieux dire.