L’État a dit non au rachat de Carrefour par un groupe québécois. Bruno Le Maire a rappelé le rôle de Carrefour pendant cette année de pandémie, la mobilisation de son personnel et son engagement auprès de la filière agroalimentaire. Nicolas Barré fait le point sur une question d'actualité économique.
L’État a dit non au rachat de Carrefour par un groupe québécois. Il fallait s’y attendre ?
Ce n’est pas étonnant, ne serait-ce que parce que Carrefour est le premier employeur privé français, présent sur tout le territoire, c’est donc un symbole. Et Bruno Le Maire, qui est monté au créneau hier soir contre ce rachat, a aussi rappelé le rôle de Carrefour pendant cette année de pandémie, la mobilisation de son personnel, son engagement auprès de la filière agroalimentaire. Donc, oui, il fallait s’attendre à cette réaction.
Mais est-elle légitime ?
C’est la bonne question. Et là on peut vraiment s’interroger. D’abord, il y a d’autres distributeurs en France comme Lidl qui sont à capitaux étrangers, allemands en l’occurrence, et ça ne dérange personne. Ils ont été tout autant mobilisés pendant la pandémie que les employés de Carrefour, Auchan ou Casino. Et ce n’est pas la nationalité d’un distributeur qui va mettre en péril la souveraineté alimentaire des Français. Pendant la crise du Covid, des millions de Français ont aussi beaucoup acheté sur Amazon, qui, comme on sait, est Américain. Bref, qu’un distributeur soit détenu par des capitaux français ou étrangers ne change pas le service qu’il rend. Que les actionnaires de Carrefour soient français ou québécois ne change rien non plus au fait que ses activités, de toutes façons, ne sont pas délocalisables : le Québécois qui aurait racheté Carrefour n’aurait pas déménagé ses magasins au Québec.
La nationalité d’une entreprise n’est tout de même pas neutre, surtout si les centres de décision s’en vont à des milliers de kilomètres.
Dans un monde ouvert, il faut choisir ses combats. Carrefour ne fabrique pas des sous-marins nucléaires. Il y a un distingo à faire entre les industries de souveraineté et le reste. D’autre part, l’intérêt de nos entreprises est aussi de pouvoir acheter des concurrents étrangers : Alstom a racheté tout récemment la division transports -les locomotives- du québécois Bombardier et Airbus a acquis une partie de ses activités aéronautiques, pour ne citer que ces exemples. Chaque année, le gouvernement invite à Versailles les dirigeants des plus grands groupes étrangers pour qu’ils investissent en France. En clair, l’intervention de l’Etat dans de type de dossier peut très vite se révéler à double tranchant, et renvoyer une image négative. Celle d’un pays fermé, protectionniste, avec à sa tête un Etat dirigiste qui s’immisce dans la vie des affaires, même lorsqu’il n’est pas actionnaire comme chez Carrefour.