Malgré les troubles et les délits majeurs commis par Dieudonné et avérés par la justice, l'humoriste n'a "jamais réglé le montant de ses amendes".
Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux
Ses principales déclarations :
Le tribunal administratif de Nantes va se prononcer sur le recours en référé de Dieudonné. Que choisir entre interdit, liberté, censure ?
"Le tribunal va vous donner une réponse avant la fin de la matinée, ce n'est pas le moment pour nous d'anticiper sur sa décision. Ce qui est essentiel à marquer, c'est que c'est le tribunal qui va dire s'il y a lieu ou non à interdire préventivement la représentation de Dieudonné. C'est vraiment l'Etat de droit !"
Les magistrats de Nantes ont-ils assez d'arguments pour ne pas se déclarer incompétents ?
"Encore une fois, à une heure de la décision, j'ai pour principe de ne jamais intervenir. Nous ne sommes pas avocats dans cette affaire pour défendre l'un ou l'autre des points de vue."
Le Zénith a vendu 6.000 places à 43 euros la place...
"Ca fait une forte somme ! Belle recette !"
Qu'est-ce que ce phénomène révèle de la France d'aujourd'hui ?
"Un, je comprends très bien que les maires s'interrogent et prennent leur décision, c'était l'objet de la circulaire de le leur rappeler. Deux, ça se passe sous le contrôle de la Justice, il faut toujours le dire ! Trois, il se passe qu'il y a un succès évident fait aux provocations, aux propos racistes, antisémites de M. Dieudonné, c'est ça toute l'histoire ! On peut dire : "Ah, c'est épouvantable, on est là, 70 ans après la Shoah..." On peut aussi hausser les épaules en disant que la provocation poussée à l'extrême est une façon comme une autre, jusqu'à des propos que je considère comme infâmes... Voilà, c'est ça la situation."
Comment comprendre qu'un personnage plusieurs fois condamné n'a pas vu sa peine appliquée ?
"C'est vrai qu'il a souvent été condamné, pour des motifs très graves. Injure à caractère raciste, provocation à la haine raciale, ce sont des troubles et délits majeurs ! Il y a des condamnations : la loi est appliquée. Ce qui n'est pas mis en œuvre, bizarrement, c'est l'exécution jusqu'à présent des condamnations : on explique qu'il a créé les conditions d'une insolvabilité... Si c'est avéré, c'est un délit. Je vois simplement ceci : jusqu'à présent, il n'a jamais réglé le montant de ses amendes."
Comment expliquez-vous que ce dossier n'a pas été considéré comme prioritaire ?
"La garde des Sceaux a récemment tenu à marquer qu'on ne pouvait pas considérer que ce type de propos, ces condamnations, n'appelaient pas une vigilance particulière ; et c'est ce que, pour ma part, je pense absolument. Je considère que, maintenant, l'attention du Parquet va être mobilisée sur l'effectivité de la poursuite de ces condamnations."
Il y a eu négligence ou pas ?
"Je ne suis pas procureur de telle ou telle Cour d'appel ! Disons-le : très souvent, il y a un retard dans l'exécution des décisions. Mais ici, il s'agit de voir l'importance de la décision. A quoi bon condamner Dieudonné s'il en fait ensuite une farce supplémentaire parce que les décisions ne sont pas exécutées ?"
Christiane Taubira a jusqu'ici refusé de donner des instructions au Parquet. En pareil cas, ne faut-il pas en appeler aux magistrats, les activer ?
"Ce que la Garde des Sceaux rappelle, c'est qu'il ne lui appartient pas de donner des instructions dans tel ou tel dossier. Les instructions générales à tous les Parquets, s'agissant de ce type d'affaires, injures, provocations à la haine raciale, qui sont d'une gravité exceptionnelle, elle peut dire : "J'attire votre attention sur l'importance de l'exécution". Ce qu'elle a fait d'ailleurs !"
Tardivement ? Pas assez nettement ? Vous la protégez ?
"Je dis les choses telles qu'elles sont ! Encore une fois, nous sommes en présence d'infractions à nos yeux très graves. En appeler à la haine raciale, tenir les propos qu'il tient concernant la Shoah, tout ça appelle l'exécution des décisions ! Les magistrats ont des piles de dossiers devant eux : il faut dégager des priorités."
Bercy et le Trésor Public ne bougent pas...
"Demandez-le au ministre de l'Economie ! Là encore, je dis : c'est intolérable ! Moi simple citoyen, je dis : c'est insupportable ! Voilà un homme condamné six fois à des amendes importantes, et rien ne se passe. S'il a créé les conditions d'une insolvabilité, c'est un délit ; il est vrai que Bercy est habitué à traiter ce genre de dossiers. Je pense que maintenant, conscience est prise de la gravité des propos."
Qu'est-ce qui vous choque, ce matin ?
"Mais ce qui me choque et me révolte, c'est les propos de Dieudonné ! Pas de savoir pourquoi on n'a pas fait passer l'exécution des condamnations sur le haut de la pile des dossiers... Ce qui est révoltant, ce sont les propos de Dieudonné ! Les insultes inouïes à la mémoire des morts de la Shoah. La dérision dans laquelle il s'inscrit vis à vis de ce qui constitue des crimes majeurs de l'humanité. Le racisme, ça se combat partout et toujours : le racisme anti-noirs, l'antisémitisme... C'est toujours un combat prioritaire ! Dans le cas de Dieudonné, il faut en prendre conscience et ne pas en rire mais le combattre durement."
Vous dites qu'il est un multirécidiviste...
"Ah oui, ça il l'est ! Long casier judiciaire !"
Est-il dangereux ?
"Le problème n'est pas la dangerosité : c'est le caractère insupportable, outrageant ! On ne peut pas rêver, penser à de pires sacrilèges vis à vis des victimes de la Shoah !"
Faut-il sanctionner Dieudonné et ses complices qui ne cachent plus leur antisémitisme ?
"Vous avez à cet égard des textes, des lois. Je dis toujours : les choses doivent être claires, la loi, toute la loi, rien que la loi !"
Donc pas besoin de circulaire ?
"Vous avez cet impératif qui est inscrit dans la loi. La provocation, l'appel à la haine raciale : c'est une des plus graves infractions, un des plus grands troubles à l'ordre public."
Vous avez emmené avec vous une assignation...
"Une assignation, une farce juridique, judiciaire faite à la requête de Dieudonné, délivrée à la LICRA, pour insultes à caractère, etc. Grotesque ! Mais ce qui est important : c'est délivré à la requête de Dieudonné et ses associés, ses partenaires. On y retrouve Robert Faurisson, le meneur intellectuel de toute la campagne révisionniste, tellement admiré en Iran, et surtout Youssouf Fofana, celui a enlevé, torturé, tué..."
Vous dénoncez cette association de Dieudonné...
"Elle s'inscrit ici, dans ce texte qui est un texte judiciaire !"
Que faire pour que la République s'en tire et sache combattre ce racisme ?
"Je l'ai dit : la République repose sur le respect de la loi républicaine. Ici les choses sont claires : vous avez de la commission d'infractions, les unes après les autres... Il faut agir, dans le respect de l'Etat de droit : il ne doit pas y avoir une diffamation, une injure, une atteinte dite par Dieudonné, une provocation à la haine raciale sans que ce soit constaté par un huissier commis par le Président du tribunal, et ensuite action, action, action, condamnation, condamnation et exécution de ces condamnations ! C'est ça l'Etat de droit, c'est le fondement-même de la République."
Pas de levée de l'immunité parlementaire de Serge Dassault. C'est une entrave au travail de la Justice selon vous ?
"C'est dans la Constitution, c'est leur pouvoir ! C'est un choix qu'ils ont fait : à eux de vous répondre, à moi de le constater. Le citoyen Badinter a l'habitude de ne jamais se prononcer sur des dossiers qu'il ne connait pas, qu'il n'a pas étudié lui-même."