Mercosur, l’arbre qui cache la forêt : son rejet par les agriculteurs est le reflet de nos propres boulets

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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

Des manifestations d’agriculteurs dans toute la France. Ils disent non au Mercosur, le traité de libre échange que l’Union européenne veut signer avec cinq pays sud-américains, dont le Brésil. Est-ce qu’ils ont raison de s’inquiéter ?

Oui, pour certains secteurs. Viande bovine, volaille, sucre, maïs vont être soumis à une concurrence tout sauf loyale, puisque les pays sud américains ont accès à des méthodes de production interdites de longue date ici. Hormones et antibiotiques de croissance pour l’élevage, des pesticides dont certains sont prohibés sur nos cultures depuis des décennies. Certains secteurs comme le vin, les produits laitiers, pourraient en profiter, mais cela ne compensera pas les potentielles destructions. La France, premier producteur agricole européen est en première ligne.

Est-ce qu’il y a un moyen d’empêcher ça ?

Il y a une solution évidente, refuser le Mercosur. C’est celle qui est mise en avant par l’intégralité de notre classe politique. Et pour cause, c’est sa façon de se rattraper aux branches. Parce qu’il il y en avait une autre solution pour éviter que le Mercosur ne soit vécu comme un drame agricole. Et cette même classe politique a refusé de l’envisager, depuis des décennies et malgré les alertes. Le Mercosur, c’est un paravent commode.

C’était quoi, la solution?

D’abord, soigner la compétitivité de l’agriculture française, massacrée, à coups de bureaucratie délirante, contradictoire, de fiscalité écrasante sur toute la chaîne de production agroalimentaire. Ca l’a empêchée de se moderniser, de gagner en productivité. Le coût de notre travail est prohibitif, alors que c’est crucial. Le prix d’un fruit est composé ente 50 et 60% du coût de la main d’oeuvre. Les surcoûts de notre travail agricole se chiffrent à plus de 22 % par rapport à l’Allemagne. Avec l’Espagne, le différentiel est proche de 35 %, et de 45 % avec les Pays-Bas. On ne parle pas de pays du Mercosur, on parle de nos voisins. Il aurait fallu s’en préoccuper. Mais personne n’a voulu faire les économies qui doivent aller avec les allégements de charge.

Même avec ces voisins, l’agriculture française ne joue pas à armes égales.

La France surinterprète les règles environnementales européennes, qui sont déjà les plus rigoureuses du monde. Que ce soit pour la gestion des zones humides, pour le fatras administratif qui entoure les installations d’élevage, ou pour les phytosanitaires. Je vous ai raconté ici comment la France a saboté sa filière noisettes en interdisant un produit insecticide autorisé partout en Europe. Ce sabotage est aussi à l’oeuvre sur les salades, les pommes, les betteraves, les pommes de terre, j’en oublie. La France lave tellement plus blanc que blanc, que son agriculture est devenue transparente. On a flingué, en 30 ans, notre plus beau secteur.

Résultat, notre déficit commercial agricole se creuse.

Ca aurait dû alerte les Gouvernements successifs. Notre pays est passé de la seconde à la sixième place mondiale des exportations agricoles en 15 ans. Il importe maintenant 60% de ses volailles, 40 à 60% de ses fruits et légumes, plus de 20% de son boeuf. Et ces importations se font de chez nos voisins, avant de venir du bout du monde. Autant dire que le Mercosur, c’est le dernier clou d’un cercueil que la France a cloué elle-même, depuis des décennies. Sans les punitions auto-infligées, notre agriculture réagirait offensivement et elle pourrait tout à fait faire face.

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