Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Voyage dans le bocage, aujourd’hui. On parle de haies. Replanter des haies : c’est une ambition politique et écologique en France et pourtant... On n’y arrive pas. Tout le monde est pourtant d’accord sur les bénéfices !
Les haies entre les champs, c’est consensuel : ce sont des réserves de biodiversité, des remparts contre l'érosion des sols. Elles ont des bénéfices agronomiques : elles coupent le vent, limitent les attaques de ravageurs. Elles permettent de garder l’eau dans le sol, elles offrent de l’ombre pour le bétail. Et elles sont aussi une façon de stocker du carbone. Bref, tout le monde aime les haies, y compris les agriculteurs . Il y en a 750.000 kilomètres en France
On s’est rendu compte que les détruire a été une erreur.
Depuis 1950, 70% des haies ont disparu des bocages français, soit 1 .4 million de kilomètres, selon le ministère de l'Agriculture. Je précise bien du bocage: il y a des régions de grandes cultures céréalières où il n’y en a jamais eu. Cette disparition a d’abord été due au remembrement et de la mécanisation. Mais on en perd encore 23.500 kilomètres linéaires par an : ce n’est plus une question de remembrement agricole, c’est dû à l’artificialisation des sols et à la modification des paysages. Donc, on essaie d’inverser la tendance. En octobre, le Gouvernement a lancé une politique volontariste de plantation de 50.000 kilomètres de haies d’ici à 2030. 7.000 kilomètres par an, il faut s’y mettre.
On a les moyens ?
Oui : il n’y a pas seulement une volonté éthérée, il y a de l’argent et un plan. Ça se souligne. Le gouvernement a mis 110 millions d’euros sur la table, pour subventionner et développer des cultures de plans adaptés, parce qu’on ne peut pas planter n’importe quoi.
Et pourtant, le Gouvernement est surpris. Ça ne prend pas. Il y a peu de demandes de subventions.
Le diable est dans les détails. La haie en France est régie par des dizaines de textes, de règles, de normes qui relèvent de la protection de la biodiversité, de l’eau, de la Pac, des cadastres, des zones d’intérêt écologique. Inextricable comme une haie d’aubépine. 9a pique. Un exemple : pour déplacer une haie, il faut être géomètre expert. On ne la bouge pas de plus de 5 mètres et on ne bouge jamais plus de 2% du linéaire de l’exploitation chaque année.
Il est interdit d’en tailler le moindre rameau entre mars et août. Un agriculteur qui s’y risque est passible en correctionnelle d’une peine pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende. Et il y a des condamnations. ça peut aussi conduire à des retenues sur les aides de la PAC.
C’est dissuasif !
C’est surtout dissuasif si l’on veut que les agriculteurs replantent des haies. Ils ont beau avoir la meilleure volonté du monde, ils ne vont pas se créer plus d’ennuis qu’ils n’en ont déjà. Se retrouver au tribunal pour une manœuvre mal calibrée avec un engin, merci bien. Se retrouver bloqué au moindre aménagement, merci encore. Ils passent leur tour, malgré les incitations financières ! Le poids de la contrainte tue la bonne volonté politique, la bonne volonté du terrain. Tout un paradoxe. Les agriculteurs aiment les haies, mais les préfèrent loin de leur ferme. On peut résumer ça d’une formule théâtrale tirée du Cid de Corneille. Chimène, éloignant Rodrigue que pourtant elle aime : vas! Je ne te hais point.