Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Emmanuel Macron entame ce soir à Strasbourg un long périple dans l’Est et le Nord de la France à l’occasion de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre…mais le président ne va pas se contenter d’assister à des cérémonies du souvenir. Bonjour Hélène Jouan
Bonjour Bernard, Bonjour à tous,
Un déplacement présidentiel inédit dans sa forme, sa durée, et même dans son appellation…
"Itinérance mémorielle", c’est le libellé officiel du périple. Vous savez qu’Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Elysée n’aime rien tant qu’inventer son propre vocabulaire. On peut railler cette coquetterie, surtout quand elle est mâtinée de formules anglo-saxonnes type "start up nation", mais user de mots nouveaux dit toujours quelque chose ! La sémiologue Elodie Mielzareck explique que l’adjectif mémoriel permet à notre jeune président de se doter immédiatement d’une épaisseur historique qui a priori pourrait lui faire défaut ; quant à "itinérance", le mot renvoie bien sûr à itinéraire, un président toujours En marche, aussi bien qu’il s’applique à un registre plus religieux, celui d’un pasteur qui passe de village en village, pour écouter, guérir et réconforter. Et puis enfin l’itinérance est un voyage, voyage initiatique qui doit aboutir à une transformation personnelle pour celui qui s’y engage…ça tombe bien, c’est exactement à ces trois impératifs que ce déplacement est censé répondre !
C’est-à-dire ?
Le président aurait pu se contenter de se rendre sur les lieux des grandes batailles, voire s’en tenir à la célébration de la victoire. Non, il a choisi de faire un double périple : lieux de blessures d’hier, Morhange, Verdun, les Eparges, souvent accompagné des ennemis d’hier, il sera dès ce soir à Strasbourg avec le président allemand Steinmeier, mais aussi lieux des blessures économiques et sociales d’aujourd’hui. Il se rend dans des villes touchées par la désindustrialisation, des endroits appauvris par la désertification rurale, des quartiers éprouvés par la pauvreté.
Fil tiré donc entre les crises d’hier et aujourd’hui, président pasteur qui va renouer le fil du dialogue avec les élus locaux, qui va visiter des territoires où aucun de ses prédécesseurs n’a jamais mis les pieds. Deux régions, 11 départements, 17 villes, Emmanuel Macron aime toujours jouer au Monsieur Cabdbury, en faire un peu plus que les autres ; enfin, pour répondre au 3ème impératif, un président qui devrait montrer qu’il a entendu ce qu’on attendait de lui. Pas arrogant, pas parisien, qui passe du temps, et qui avec un peu de chance parle bien aux gens ! 6 jours pour changer donc son image…itinérance mémorielle, ça aurait pu s’appeler beaucoup plus simplement "opération reconquête" ! Mais c’eut été tellement banal…
Mais il n’y a pas un mélange des genres, à se servir de l’Histoire à des fins politiques personnelles ?
Si bien sûr, mais l’Histoire n’a jamais servi qu’à cela aux pouvoirs en place ! C’est vrai, Emmanuel Macron entend user aujourd’hui de ce périple pour retrouver du crédit personnel, mais au-delà, ce centenaire va surtout lui permettre de lancer la campagne européenne. En choisissant moins de mettre en scène la guerre que les leçons à tirer de celle-ci, de célébrer la Paix surtout pour pointer les menaces qui planent sur celle-là, de relier les crises entre elles, il se veut lanceur d’alerte face aux périls à venir. Un peu anxiogène, un peu binaire dans son clivage entre populistes et progressistes, un peu dangereux aussi… car alerter des dangers, c’est utile. Mais résoudre les crises, c’est mieux. Et c’est à cette seule aune qu’il sera jugé au regard de l’Histoire. Et cela, ce sont ses successeurs qui l’apprécieront