Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Bonjour Hervé Gattegno. Pour votre édito ce matin, le remaniement revient en deuxième semaine. Est-ce que cette fois, on est vraiment proche du dénouement ? C’est pour quand ?
Essayons d’éviter les pronostics hasardeux mais disons qu’il est hautement vraisemblable que les nominations soient annoncées demain, ou au plus tard mardi. On a bien compris que maintenant, le président s’efforce de nous convaincre qu’il n’a jamais été pressé ; que ce n’est pas parce qu’il n’y arrivait pas qu’il a traîné mais qu’il tenait à prendre son temps. Sur le fond, l’argument se tient : ce n’est pas anormal qu’on veuille réfléchir à deux fois (ou même à trois fois) pour recruter un ministre. Mais quand on se rappelle l’effervescence du week-end dernier, on pense un peu à la phrase de Cocteau : "Ce mystère nous dépasse, feignons d’en être l’organisateur…" Emmanuel Macron aurait sans aucun doute préféré être prêt il y a une semaine. La réalité, c’est qu’il n’a pas pu.
Si c’est à ce point difficile de constituer un gouvernement, est-ce que ce n’est pas parce que la carrière ministérielle n’attire plus autant qu’avant ? Est-ce qu’il n’y pas une crise des vocations ?
C’est probable. D’ailleurs, vous observerez qu’un professionnel de la politique comme Gérard Collomb a préféré quitter le ministère de l’Intérieur pour préparer les municipales dans sa ville, à Lyon – ça montre bien que la fonction de ministre est dévaluée. Donc on peut comprendre que c’est encore bien pire pour ceux qu’on appelle les experts ou les personnalités issues de la "société civile", comme on dit – sans compter que ceux-là, le plus souvent, ils perdent des revenus en entrant au gouvernement. Résultat : il faut chercher des gens plus jeunes, sans expérience ou presque et c’est déjà ce qui fait que les troupes d’Emmanuel Macron ressemblent plus à une compagnie de boy-scouts qu’à un commando d’élite. C’est le prix à payer si on veut que la vie politique se régénère. Moi, je crois que les Français sont prêts à accepter l’inexpérience pour le renouveau. Mais ils ne veulent pas que ça tourne à l’amateurisme.
Dimanche dernier, vous ne souscriviez pas à tout ce qu’on entend sur les tensions qui opposeraient le président et le Premier ministre à propos de la formation du gouvernement. Est-ce que vous avez changé d’avis ?
Pas du tout. Je crois qu’on a absolument tort de vouloir les opposer – je comprends que ça ferait un meilleur spectacle, mais je n’y crois pas une seconde. Et je ne dis pas ça pour les épargner : à deux, et en deux semaines, ils n’ont pas réussi à élaborer une équipe qui tienne la route alors qu’ils sont d’accord sur l’essentiel. Ça veut dire qu’eux aussi, ils manquent d’expérience pour mesurer les bons dosages, les équilibres entre la droite et la gauche, le social et l’autorité, la technocratie et les territoires... Tout ça, c’est de la bonne vieille tambouille politique alors qu’on nous avait promis de la nouvelle cuisine – et ça se mijote à feux doux, en prenant du temps. Donc si vous ajoutez les difficultés de recrutements et les dosages à l’ancienne, vous avez l’explication de ce retard à l’allumage, beaucoup plus que des tensions hypothétiques entre le président et le Premier ministre. Mais plus ça traînera, plus les rumeurs tourneront. Raison de plus pour accélérer. Emmanuel Macron fait semblant de se hâter lentement. Je lui conseillerais plutôt de prendre son temps… mais vite.