Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Bonjour Hervé Gattegno, avec vous on va essayer d’y voir plus clair sur cette affaire Mélenchon, qui tourne à la bataille politique et judiciaire. D’abord, est-ce que, après toutes ces attaques et ces contre-attaques, le leader de la France insoumise vous paraît réellement affaibli ?
Sans présumer du tout de ce qui adviendra sur le plan judiciaire, puisque l’enquête ne fait que commencer, on est obligé de dire que Jean-Luc Mélenchon a perdu des points. D’abord, à cause des soupçons qui ont émergé : il est question d’opérations financières discutables – pour un homme politique, le soupçon ce n’est jamais très bon ; le soupçon sur des affaires d’argent encore moins ; et quand on est un homme de gauche, qui veut parler au nom du peuple, c’est encore pire. Ensuite, il y a eu son attitude, ces images où on le voit vociférer contre des policiers, même pour ceux qui ont de la sympathie pour lui, ça donne un sentiment de malaise. On se dit que cet homme-là a vraiment une violence en lui qui est parfois inquiétante. Dans sa déclaration d’hier, Jean-Luc Mélenchon a dit : "Je n’air de rien ni de personne". Il a tort : il devrait avoir peur de lui-même.
Il annonce des contre-attaques judiciaires – il réclame par exemple le dessaisissement du procureur qui est chargé de l’enquête. D’après vous, est-ce que ça relève de la diversion politique ou est-ce que ça peut aboutir ?
Les deux. En tout cas, il est soupçonné, il a le droit de se défendre – et comme c’est un personnage public, il choisit de la faire publiquement, tout cela est normal. C’est même un grand classique dans les affaires où les partis politiques sont mis en cause. Maintenant, je trouve qu’on aurait tort de balayer tous les arguments de Jean-Luc Mélenchon parce que dans ce vacarme très excessif, disproportionné, il pose des questions qui ne sont pas toutes illégitimes ni inintéressantes. Par exemple : est-ce qu’il est normal que ce soit le parquet, hiérarchiquement subordonné au gouvernement, qui conduise les enquêtes sur les partis politiques ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux que ce soit un juge du siège, indépendant ? Parce qu’un parti, ce n’est pas comme une association ou une entreprise lambda ; le rôle des partis est inscrit dans la constitution, ça ne doit pas en faire des sanctuaires, mais ça peut justifier des garanties particulières. En tout cas ça me paraît une question légitime. Et si Jean-Luc Mélenchon la posait plus calmement, peut-être qu’on l’entendrait mieux.
Toute la semaine, Jean-Luc Mélenchon a accusé Emmanuel Macron d’être à l‘origine de ses tourments judiciaires, il a même parlé d’une "police politique" mobilisée contre lui. Ça aussi, c’est une interpellation que vous trouvez légitime ?
Là, je dois dire qu’il mélange le fantasme complotiste et la rhétorique politicienne. C’est évidemment délirant de voir la main du pouvoir derrière toutes les affaires, en tout cas je ne vois pas ce qui lui permet d’affirmer cela. Pour autant, je crois qu’il y a matière à s’interroger sur l’attitude des policiers pendant la perquisition, notamment quand ils ont voulu lui interdire d’entrer dans ses bureaux – je ne vois pas en vertu de quelle règle. Et puis comme journaliste, je ne vais pas m’offusquer qu’on lise immédiatement dans la presse ce qui a été trouvé dans les perquisitions, mais disons que le parquet ou la police – puisque ça vient forcément d’eux – pourraient montrer un peu moins d’empressement à déballer leurs dossiers. Donc rien de tout ça ne justifie la brutalité des réactions de Jean-Luc Mélenchon, mais tous les torts ne sont pas forcément de son côté. Cela dit, puisqu’il accuse l’Elysée, je ferai observer que c’est lui qui a rendu le plus grand service à Emmanuel Macron : avec toutes ses vociférations, on n’a quasiment pas parlé de l’intervention télévisée du président, qui était pourtant complètement ratée. Pour Jean-Luc Mélenchon, qui veut être son opposant numéro un, c’est peut-être ce qu’il y a de plus cruel dans toute cette affaire.