Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Bonjour Hervé Gattegno. Vous revenez évidemment sur la journée de manifestation des Gilets jaunes, et les graves incidents qui ont eu lieu à Paris. D’après vous, est-ce que ce qui s’est passé hier va porter atteinte au mouvement ?
Je dirais qu’en tout cas, ça rend plus urgente la sortie de crise que le gouvernement doit trouver. Parce que ce qui était à redouter s’est produit : les manifestations ont dégénéré et on a vu des casseurs (dont beaucoup étaient d’extrême-droite) venir vandaliser les Champs-Elysées – au passage, c’est là où Marine Le Pen avait appelé à manifester. C’est déplorable parce que les violences sont toujours injustifiables ; et c’est déplorable aussi pour les "gilets jaunes" parce que, depuis la semaine dernière, on sait bien qu’il y a parmi eux des gens qui sont réellement en difficulté et qui veulent se faire entendre, et que leur message est brouillé par des brutes, des crétins et des racistes. La difficulté, pour le gouvernement, c’est de répondre aux deux parties : aux premiers (ceux qui cassent) par la répression, qui est nécessaire ; aux seconds (ceux qui râlent), par des solutions, ce qui serait salutaire.
Dans l’ensemble, les manifestations d’hier ont mobilisé nettement moins de monde que samedi dernier. Est-ce que ça redonne la main à Emmanuel Macron ?
Oui. Il est en situation plus favorable que la semaine dernière – mais pas pour faire comme s’il ne s’était rien passé, plutôt pour trouver une façon de répondre aux protestations. Ce qui est délicat, c’est qu’un pouvoir qui se heurte à la contestation ne peut pas donner l’impression qu’il ne lâche rien, mais pas non qu’il est en train de céder. Donc pour Emmanuel Macron, il s’agit de bouger sans plier. Concrètement, ça veut dire : ne pas du tout renoncer aux hausses de taxes sur les carburants, mais mieux accompagner, améliorer, compenser, les efforts que nous impose la fameuse transition énergétique. Ça va passer par une grande réflexion avec les syndicats, avec des personnalités écologistes, et aussi par des mesures plus ciblées, par exemple pour permettre aux régions d’améliorer les transports dans les zones rurales. Parce que les Français sont convaincus que l’écologie est une priorité, on le sait ; mais ils sont convaincus aussi qu’il ne faut pas augmenter les impôts et qu’il faut préserver leur pouvoir d’achat. C’est une leçon pour Emmanuel Macron : les Français aussi pratiquent le "et-en-même-temps".
Si on dresse un premier bilan de cette séquence politique, vous diriez que le président de la République en sort affaibli ou renforcé ?
Affaibli, sans aucun doute. Il a dit lui-même à la télévision la semaine dernière qu’il n’a "pas réussi à réconcilier les Français avec leurs dirigeants" ; les gilets jaunes le lui ont bien montré. Et comme les principales critiques qu’il subit depuis des mois portent sur le pouvoir d’achat et sur son style, qui est parfois arrogant, ce qui s’est passé ces derniers jours n’améliore pas sa situation. Il y a même un doute, une contradiction qui est apparue, entre sa volonté de moins taxer le travail et une politique qui aboutit à taxer ceux qui doivent prendre leur voiture pour aller travailler.
Vous me direz : comment le gouvernement n’a-t-il pas compris cela dès le début ? C’est là qu’apparaît un autre enseignement de cette crise. Faire remonter les impressions, les inquiétudes, les doléances de la base, de la France profonde, c’était la vocation de La République en marche, le parti d’Emmanuel Macron. C’est un constat d’échec total : la République en marche, ça ne marche pas. En cela, on peut dire qu’en se révoltant contre le prix des carburants, les gilets jaunes vont obliger Emmanuel Macron à revenir à l’essence du macronisme.