Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Bonjour Hervé Gattegno. Vous revenez évidemment sur le mouvement des "gilets jaunes", qui a défilé et bloqué des routes dans toute la France hier. Est-ce, pour vous, c’est le début d’une contestation qui peut durer ?
C’est difficile à dire mais ce n’est pas l’impression que ça m’a donné. Bien-sûr que la grogne qui a provoqué ces manifestations, elle, ne va pas disparaître en quelques jours – parce qu’elle traduit un malaise profond, un malaise social et géographique. Mais il faut bien dire que les gilets jaunes n’ont pas formé la vague immense, le raz-de-marée auquel certains s’attendaient ; c’était une mobilisation importante, mais pas imposante. Et puis c’est un mouvement qui n’a ni leader, ni structure, ni véritable cohérence. Il y avait dans ces rassemblements des gens qui veulent moins d’impôts (parfois plus d’impôts du tout) et d’autres qui veulent plus de services publics – c’est difficilement compatible. Et puis il y eu des incidents – dont un dramatique, qui a coûté une vie –, et aussi des passants qui ont été molestés, des injures, du racisme. On a dit que c’était la France d’en bas ; on peut dire aussi que ça ne volait pas très haut.
C’est une forme de mouvement complètement inédite et certains manifestants annoncent qu’ils veulent faire durer les blocages. Est-ce que les gilets jaunes peuvent avoir un poids politique ?
Ce qui est inédit, c’est qu’une protestation contre le prix des carburants prenne de telles proportions en quelques jours, grâce à l’effet amplificateur des réseaux sociaux. Et parce que les médias, qui ont toujours peur de sous-estimer un mouvement venu de la France profonde, finissent par lui donner une dimension qu’il n’a pas. Pour ce qui est du poids politique, c’est difficile à envisager parce qu’il n’y a pas de débouché possible à ce type de mouvement. Les partis politiques et les syndicats n’ont pas réussi à s’y greffer et de toute façon, je l’ai dit, leurs revendications sont trop hétéroclites pour pouvoir être satisfaites. Au fond, il y a quelque chose d’intrinsèquement stérile, presque nihiliste dans ce mouvement. Ce sont des gens qui veulent qu’on les écoute, mais ils savent qu’ils ne peuvent pas être entendus.
Le plus préoccupant pour Emmanuel Macron, c’est quoi : le ras-le-bol fiscal, la révolte territoriale, sa propre impopularité ?
C’est le fait que tout cela s’additionne, évidemment. Et c’est aussi le fait que ce qui apparaissait comme la principale promesse du macronisme : recréer une énergie positive qui profite à l’ensemble des Français, cette promesse-là s’est complètement volatilisée. Ça ne veut pas dire qu’E. Macron ne peut plus rien faire. Il est élu pour 5 ans, il a une majorité solide à l’Assemblée nationale, il a les moyens de sa politique. Son pari, c’est que les réponses aux protestations des gilets jaunes sont inscrites dans les mesures qu’il a prises (sur le droit du travail ou sur la fiscalité) et dans les réformes qu’il veut faire (sur la mobilité, la santé, les retraites). Quand il a été élu, on disait que, puisque les partis traditionnels étaient déconsidérés, Emmanuel Macron était condamné à réussir. Maintenant, s’il veut maintenir une politique dans la durée, il est condamné à endurer.