Tous les samedis et dimanches, Vanessa Zhâ et Marion Sauveur nous font découvrir quelques pépites du patrimoine français.
A l’occasion des Journées du Patrimoine, direction l’incontournable Val de Loire, Vanessa.
Une région qui fête les 20 ans de son inscription au Patrimoine de l’humanité. On va pousser ce matin les portes de ces petits châteaux qui sont dans l’ombre des grands. Déjà parce qu'ils valent le détour et parce qu'ils racontent eux aussi la Grande histoire, parfois de manière plus avant-gardiste comme le château de Beauregard avec sa galerie européenne des portraits ! Il faut imaginer 300 portraits sur 150 mètres, les rois français de Philippe VI à Louis XIII a côté de leurs contemporains européens et même asiatiques, aussi bien leurs alliés que leurs rivaux (donc les anglais évidemment). C’est une sorte de cours d’histoire de l’Europe avant l’heure avec des galeries de portraits de familles qu’on retrouve dans beaucoup de châteaux.
Intéressant mais on en prend moins les yeux que Chenonceau ou Chambord ?
Non c’est différent, les intérieurs sont plus fournis, plus riches même quelques fois. Guy de Pavillon nous décrit le sol de la galerie. "Cela représente une armée en marche sous Louis XIII. Il y a 5.600 carreaux de Delft : des arbusiers, des portes-drapeaux, des tambours, des cavaliers... C'est la première fois que l'on fait ça sur le sol. Il s'agit d'une commande de Paul Ardier. Marie Ardier, qui est une contemporaine de Louis XIV, va de son côté faire réaliser le plafond en lapis lazuli. A l'époque, il vaut sept fois le prix de l'or. Mais c'est formidable pour nous d'avoir du lapis lazuli car le pigment fait que la peinture n'a pas bougé. Le plafond n'a pas eu besoin d'être restauré." Le bleu est éclatant, c'est incroyable à voir. Et puis il y a une deuxième galerie : la galerie des chiens. Elle se compose d'une trentaine de portraits. Il y a même Dash, le chien de Stéphane Bern.
Si on veut découvrir d’autres petits bijoux, il y a aussi le château de Villesavin, le plus beau château du Loir-et-Cher pour moi. C’était "la cabane de chantier de Chambord", enfin cabane on se comprend. Et puis, il ne faut pas oublier le château de Talcy. Ses jardins ont pas mal contribué à rendre Ronsard amoureux, et à écrire "Mignonne allons voir si la rose…"
D’ailleurs les jardins sont aussi une bonne porte d’entrée pour découvrir cette région.
Exactement, son patrimoine naturel se compose d'une trentaine de parcs et de jardins remarquables : Villandry, Chaumont-sur-Loire… Et puis il y a les forets domaniales. C’est pile-poil le moment d’aller écouter le brame du cerf : soit à Chambord, soit dans la foret de Cheverny. Le garde forestier, Laurent Clamens, connait en plus sur le bout des doigts ses biches et ses cerfs. Cela fait 28 ans qu’il s’occupe du domaine. Et il vous emmène en pleine foret, à dos d’ânes, pour passer la soirée et la nuit dans un campement que vous allez monter. Avec des enfants, c’est une expérience assez magique. Cela s'appelle "Les ânes de Madame".
Si on n’est pas très bivouac, une autre adresse pour passer la nuit ?
Et écouter aussi le brame du cerf d’ailleurs, dans un package week-end pour les couples. C’est aux sources de Cheverny qui viennent tout juste d’ouvrir en Touraine. On est sur le même concept que sa grande soeur, les sources de Caudalie : oenotourisme, vinothérapie... C'est en pleine foret, tout se fait dans la nature : yoga ,velo, jeûne… Et il y a même un chambre perchée sur pilotis, "Le Baron perché" avec un observatoire.
Marion Sauveur, quelle spécialité nous conseillez-vous de goûter dans le Val de Loire ?
Un plat servi à l’époque à la table des rois : c’est la “carpe à la Chambord”. Il faut imaginer un poisson entier, au centre de la table. C’était l’une des pièces magistrales de banquet, avec de gargantuesques accompagnements : beaucoup de marchandises et beaucoup de bras pour réaliser ce joli plat. La recette a été mise au point au 18e siècle, comme le raconte le chef étoilé Christophe Hay.
"C'est une recette qui a été créée pour le Maréchal de Saxe, à Chambord. A l'époque, cette carpe était farcie entière. Avec des écrevisses, puisqu'on était dans les douves, et dans les douves il y avait des écrevisses et des carpes. Mais aussi du lard paysan, de la truffe. Si on regarde il y a une centaine d'années, on était dans les régions les plus productrices de truffes en France. Ils mangeaient les truffes comme des pommes de terre. Et puis des champignons, puisque historiquement, il y avait beaucoup de caves de champignons dans la région. Le tout était arrosé de cette sauce au vin rouge. C'était toutes les richesses qui étaient autour du château."
A l’époque de la chasse, il y avait même des gibiers à plumes qui intégraient la farce. Et tous ces éléments (les écrevisses, les truffes, le lard, les champignons) étaient aussi installés autour de la carpe. C’était une véritable sculpture que l’on posait sur table. Et c’est cette garniture qui porte le nom “à la Chambord”. Elle a évolué en fonction des époques. Alexandre Dumas dans son Petit dictionnaire de cuisine raconte que la carpe était servie avec “six petits poulets (...), quatre perdreaux farcis (...), douze pigeons (...) et huit belles truffes entières”. Ca devait être impressionnant !
Mais la carpe était un poisson de luxe ?
C’était en tout cas un met royal. Il faut dire qu’à l’époque on mangeait plus facilement les poissons d’eau douce qu’aujourd’hui. Même si en Sologne on a toujours mangé des carpes farcies, jusqu’à il y a peu elles venaient des étangs ou de la Loire. C’était un plat du dimanche au même titre que le poulet ou le rôti. Et pourtant la carpe est un poisson passé de mode. Il a souffert d’une réputation de poisson plein d’arêtes et au goût vaseux, alors qu’il a une chair blanche, bien serrée et très fine.
On peut cuisiner cette carpe à la Chambord à la maison ?
Oui, c’est un vrai plat familial qui prend un peu de temps. Il faut farcir la carpe d’une duxelle de champignons, d’une farce de poisson et d’écrevisses. Et une fois la carpe refermée, direction le four. Le jus de cuisson de la carpe est ensuite mélangé à une réduction de vin rouge et crèmé. Et on arrose la carpe avant de servir. Bien sûr, il y aura des arêtes mais ce sera comme à la table du roi !
Vous avez une adresse pour mettre les pieds sous la table ?
Il n’existe qu’une seule adresse pour déguster cette carpe à la Chambord revisitée : chez Christophe Hay, à la Maison d’à Côté, à Montlivault. C’est son plat signature. La carpe n’est pas dressée sur un plat, entière. On a un morceau de cette carpe rôtie, sans arêtes. On découvre vraiment les saveurs de ce poisson très fin. Elle est recouverte de truffes et d’écrevisses, à côté d'une quenelle de duxelle de champignons et accompagnée d'une sauce au vin rouge bien crémeuse.