Tous les samedis dans l'émission Mediapolis, Claire Hazan revient sur l'actualité et la politique par le prisme des réseaux sociaux.
On entend beaucoup parler des fake news, les fausses informations. Au départ le terme avait un sens précis, il désignait une information trompeuse circulant sur internet. Aujourd’hui, il est utilisé à tout va, pour designer tous types d’informations, et il est même récupéré politiquement. Vous avez repéré un bel exemple d’instrumentalisation du côté de la Russie.
Sur le site officiel du ministère des affaires étrangères russe est apparu cette semaine un nouvel onglet, un onglet « fake news ». Dans ce nouveau « service » offert à ses citoyens, le Ministère se propose de démasquer les articles de la presse occidentale évoquant l’actualité russe en des termes qu’il juge mensongers…
Par exemple si Bloomberg évoque le piratage présumé du site d’Emmanuel Macron par des hackeurs russes ? C’est une fake news !
Le New York Times qui mentionne un déploiement illégal de missiles par la Russie ? C’est encore une fake news !
Les articles en question sont listés, et tamponnés de la mention « fake ». Un gros tampon, bien rouge et bien dramatique, qui singe les codes du fact-checking habituellement pratiqué par les medias. A cette petite différence près : ici aucune contre-explication n’est donnée, aucune tentative de démonstration. C’est faux, un point c’est tout.
Si je résume la situation actuelle: les médias occidentaux accusent les russes de véhiculer de fausses informations en guise de propagande, lesquels russes réfutent cette information comme étant une fausse information…
C’est exactement ça. Le mot « fake news » a complètement été détourné, il perd tout rapport avec la notion de vrai ou de faux, de tromperie ou de transparence. C’est devenu une insulte politique, sur-exploitée par tous et dans tous les sens. Qui sert au choix à éviter une question gênante posée par un journaliste ou à exacerber la défiance à l’égard des medias dans une rhétorique populiste.
C’est par exemple Donald Trump qui en pleine conférence de presse refuse de répondre à un journaliste de CNN, en le traitant de « fake news ». C’est encore Florian Philippot qui sur Twitter la semaine dernière s’en prend dans les même termes à une dépêche de l’AFP.
Bref à l’aide de ce mot fourre-tout, les médias-dénoncent-les-mensonges-des-politiques-qui-eux-mêmes-dénoncent-les-mensonges-des-médias. Au final, tout est faux, rien n’est vrai, on ne sait plus. Internaute, lecteur, électeur… sont pris en otage dans la mêlée. La vérité cesse alors d’être un critère déterminant pour guider leurs choix politiques. Et c’est à ce moment-là que tout devient possible.
Je terminerai sur cette anecdote. Dans le Colorado aux Etats-Unis un sénateur a qualifié un journal local de « fake news ». Pour l’éditeur du journal c’est de la diffamation, il envisage de porter l’affaire devant la justice. Ce sera une première. Une première qui, de façon assez incongrue, demandera « à la justice » de figer une définition commune de ce mot, le plus employé et le plus détourné de l’année.