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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce lundi, il s'intéresse au piège tendu par Vovan et Lexus à François Hollande.

Tous les jours, Bruno Donnet observe les opérations médiatiques. Ce matin, il a choisi de nous parler d’un piège que deux humoristes russes ont tendu à François Hollande.

Ils s’appellent Vovan et Lexus et ils se sont spécialisés dans l’art du canular d’ampleur internationale.

Ils ont déjà piégé le Prince Harry, en Grande Bretagne, mais également le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et, cette fois-ci, ils ont donc jeté leur dévolu sur notre ancien président de la république, à nous, François Hollande.

Alors, que s’est-il passé exactement ?

En utilisant la technique du « deepfake », c’est celle qu’emploie par exemple Nicolas Canteloup, tous les soirs, sur TF1, l’un des amuseurs russes s’est fait passer pour l’ancien président ukrainien, Pétro Porochenko. Il a passé un appel en visio-conférence à François Hollande et il a enregistré la séquence : « Bonjour Monsieur le président, je suis très heureux de te voir cher François. Comment vas-tu mon ami ? »

La mystification était techniquement parfaite. François Hollande ne s’est aperçu de rien et il s’est donc entretenu, pendant près d’un quart d’heure, avec un faux Pétro Porochenko : « Bonjour Pétro, je vais bien. Mieux que, hélas, la situation en Ukraine. »

Bien. Alors cette interview, les farceurs russes l’ont enregistrée le 8 février. Mais ils ne l’ont publiée que jeudi dernier sur le site Dailymotion.

Et ce sont nos confrères de la rubrique Check News, du journal Libération, qui l’ont découverte, découpée et vérifiée, avant-hier, car figurez-vous que cette séquence-là a posé un très sérieux problème.

Car cette « fausse interview » était en fait un vrai chausse-trappe, très intéressé du point de vue politique.

François Hollande n’y a été questionné que sur le conflit ukrainien : « je suis bien sûr tout ce que vous faites sur place et je suis heureux de pouvoir m’entretenir avec toi de la situation. »

Les plaisantins russes, ont voulu faire admettre à l’ancien président que les accords de Minsk avaient en fait été une gigantesque ruse de l’Otan pour militariser, armer, l’Ukraine.

François Hollande n’a absolument pas répondu « oui » à la question, il s’est contenté de rappeler le contexte : « Mais tu as raison, nous nous sommes enlisés après Minsk, c’est la faute hélas de l’absence de pression suffisante du camp européen sur Poutine pour qu’il puisse y avoir le retour à l’intégrité territoriale et la fin du sépartisme. »

Et il a employé un « nous » qui le désignait lui et Angela Merkel et absolument pas l’Otan.

Seulement voilà, la vidéo a été déformée, tronquée, coupée sur les réseaux sociaux, mais également récupérée par plusieurs médias d’états russes qui se sont servis d’un petit morceau de phrase, pour accréditer l’idée selon laquelle, oui, l’Otan avait voulu armer l’Ukraine pour faire tomber Poutine : « C’est nous qui voulions gagner du temps pour permettre à l’Ukraine de se rétablir, de renforcer ses moyens militaires. »

Mais l’affaire ne s’arrête pas là, car en France, aussi, un média a joyeusement alimenté la polémique. Sud Radio, a en effet diffusé une version tronquée de l’interview, dans l’émission d’André Bercof, qui a traduit, dans sa voix, les questions du faux Porochenko : «Quand nous avons signé les accords de Minsk, nous savions que la guerre était inévitable mais nous avons eu besoin de nous préparer pendant toutes ces années (…) et Angela Merkel l’a déclaré récemment. »

Interrogé, avant-hier, par nos confrères de Libération qui ont eu la bonne idée de publier l’intégralité du verbatim de l’interview, François Hollande a reconnu qu’il avait été floué, dans les grandes largeurs. Et il a expliqué que l’imitation, autant physique que vocale, était absolument parfaite, indétectable selon lui.

Alors, cette affaire pose, une nouvelle fois, le problème de la technologie et de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’information. Car au-delà du canulard, c’est bien sûr la question de la propagande qui est ici soulevée par cette séquence. En Russie, il n’y a pas de Check News, plus de médias indépendants pour aller vérifier les informations. Et sur Twitter, ce week-end, Elon Musk lui-même s’est ému des propos de François Hollande.

Les journalistes vont avoir de plus en plus de pain sur la planche, pour ne pas se laisser embobiner par un nouveau péril : Les fakes, rien que les fakes !