Mais que fait Thierry Henry avec la Belgique ? Cette question, nous nous l'étions posée le 18 juin dernier à l'occasion de l'entrée en lice des Diables rouges dans la Coupe du monde face au Panama. Trois semaines plus tard, et alors que la Belgique doit affronter les Bleus, mardi, en demi-finales, il nous a semblé utile de la reposer et donc, de republier l'article de l'époque, mis à jour avec les dernières informations et réactions.
Thierry Henry, meilleur buteur de l'histoire de l'équipe de France avec 51 réalisations, participe en Russie à sa sixième Coupe du monde. Il en a disputé quatre en tant que joueur (1998, 2002, 2006 et 2010) et une en tant que consultant, en 2014. En Russie, il officie en tant qu'entraîneur adjoint de la Belgique, opposée en demi-finales à la France, mardi, à Saint-Pétersbourg.
Vous ne le saviez peut-être pas si vous ne suivez pas de près l'actualité du football, mais l'ancien attaquant d'Arsenal met son expérience au service des Diables Rouges depuis déjà près de deux ans. Et vous êtes tout excusés si vous l'ignoriez car le principal intéressé parle très peu de son rôle. Et cela s'est confirmé depuis le début du tournoi, en Russie. L'an dernier, il avait tout juste déclaré à la chaîne de télévision belge RTBF : "Moi, je suis T3 (c'est-à-dire deuxième adjoint du sélectionneur), voilà où je suis à l'heure actuelle. Que vais-je faire plus tard... ? Je n'y pense pas. J'essaye d'avancer petit à petit."
"Lui, il l'a gagnée, la Coupe du monde".Venu fêter le 20ème anniversaire de la victoire des Bleus lors de la Coupe du monde 1998, le 12 juin dernier, à la U Arena de Nanterre, "Titi", interrogé sur ce nouveau rôle par Europe 1 (photo ci-dessus), ne s'était pas montré très disert : "Demandez à Roberto Martinez", le sélectionneur de la Belgique. "Il nous a amené un élément important, l'expérience", a expliqué le technicien espagnol en conférence de presse, la semaine dernière. "Il a fait partie d'une équipe qui a gagné la Coupe du monde (en 1998) et a également remporté la Ligue des champions (en 2009). Il sait ce que ressentent les joueurs à ce moment-là. La pression pour remporter des matches. Son apport est essentiel."
Dans l'émission Walk Talk Football sur YouTube, Roberto Martinez avait insisté sur l'apport psychologique de "Titi" Henry. "Le Diable Rouge embarqué dans l'aventure doit voir les choses autrement", avait expliqué le technicien, dans des propos repris par le site de la RTBF. "Il lui faut être conscient qu'il joue dans une très forte équipe, avec laquelle il lui est demandé d'aller le plus loin possible. Il s'agira donc de grandir dans ce tournoi, afin de résorber progressivement notre déficit en expérience. Avec heureusement l'aide de Thierry Henry. Lui, il l'a gagnée, la Coupe du monde (en 1998, ndlr), et aussi l'Euro (en 2000). Il a un impact phénoménal sur le groupe. Il lui révèle tout ce que doit savoir un joueur qui fait partie d'une génération à succès, comme ce fut autrefois son cas en France. Et ils sont tous à l'écoute..."
C'est ce qui ressort de tous les témoignages de joueurs lus ou entendus ces dernières semaines. "Je suis avec la légende, en chair et en os", s'extasiait récemment Romelu Lukaku sur la plateforme The Players' Tribune, comme l'a relevé Le Journal du dimanche. "Thierry est peut-être le seul gars qui regarde plus de foot que moi. On s'assied et on parle de D2 allemande. Pour moi, c'est la chose la plus cool au monde." "Il adore parler de son expérience", avait ajouté avant le Mondial l'ancien Marseillais Michy Batshuayi. "C'est un amoureux du foot, il aime beaucoup parler de ce qu'il a fait, de comment c'était avant, de sa première Coupe du monde et tout ça… Il m'a donné beaucoup de conseils pour m'améliorer."
"C'est une légende, un immense joueur et c'est une bonne chose d'avoir quelqu'un comme lui dans le groupe pour soigner les détails", avait estimé de son côté Adnan Januzaj. Lukaku, Batshuayi, Januzaj, tous ces joueurs ont marqué en Russie et fait de la Belgique la meilleure attaque du tournoi, avec 14 buts inscrits.
"Une expérience utile pour lui". Ses anciens coéquipiers de France 1998, rencontrés par Europe 1 le mois dernier à Nanterre, ne doutent pas de l'apport que "Titi" peut avoir sur cette sélection belge, qui avait été quart de finaliste du dernier Euro. "Je pense qu'il peut prodiguer des conseils dans le déplacement des attaquants mais aussi dans la gestion des émotions", insiste Emmanuel Petit. "Le fait d'avoir été très longtemps au plus haut niveau, ça lui permet d'avoir du recul et de la crédibilité auprès des joueurs, à l'image de ce que faisait aussi Zizou avec le Real Madrid. Quand ces joueurs-là vous parlent droit dans les yeux, même s'il y a de grands joueurs dans l'équipe belge, les gars vous écoutent avec beaucoup d'attention."
C'est ce que pense également Arsène Wenger, qui l'a eu pendant huit saisons sous ses ordres, à Arsenal, entre 1999 et 2007. "Il peut apporter des discours rassurants en dehors de sa connaissance technique du poste d'attaquant qui est parfaite", souligne le technicien alsacien au micro d'Europe 1. "C'est important parfois d'avoir un gars qui peut leur dire 'Tu doutes en ce moment, je suis passé par là', 'Moi aussi, j'ai loupé des occasions', et qui peut ouvrir des petites portes pour leur permettre de garder la confiance. Je crois qu'il va devenir entraîneur, donc c'est une expérience utile pour lui."
"Ce n'est pas une trahison". Une question se pose néanmoins, à quelques heures de cette demi-finale de Coupe du monde : pourquoi la Belgique et pas la France, par exemple ? "Au moment où l’offre est arrivée, il n’y avait pas de choix. Quand tu es un bon joueur, tu te dis 'Je vais aller là plutôt que là-bas', tu choisis. Mais quand tu aspires à devenir coach, il faut que ton téléphone sonne. Mon téléphone a sonné", avait raconté Henry à Canal+ l'an dernier, dans des propos repris par FranceTV Info. J’ai eu une offre de Roberto Martinez, difficile à refuser, je ne me suis pas dit 'on ne m’a pas appelé là ou là'."
Interrogé sur le choix de l'ancien attaquant des Bleus, le président de la Fédération française de football (FFF), Noël Le Graët, a répondu calmement. "C'est la vie qui est comme ça. Il est en Angleterre depuis longtemps, j'ai très peu de contact pour ma part", a-t-il avoué. "Il a choisi peut-être la bonne solution, être adjoint, comme l'a fait (Zinédine) Zidane (avec le Real) il y a quelques années. C'est sûrement mieux dans un premier temps d'être adjoint d'une équipe nationale, même s'il espérait Arsenal." Si on lui avait proposé les U17 ou les U19 (les moins de 17 et moins de 19 ans), il se serait moqué de moi", a même ajouté le président de la "3F" auprès du Figaro.
Les anciens de France 98 comprennent le choix de "Titi" Henry. "Il a passé ses diplômes dans un cursus anglo-saxon et il a eu cette opportunité d'aller en Belgique pour apprendre", soulignait Marcel Desailly le mois dernier. "Ce n'est pas une trahison, c'est une occasion pour lui d'apprendre le métier, dans la foulée d'un entraîneur", abonde Arsène Wenger. "Je pense que c'est très important au départ d'observer ce qui se passe sans être directement exposé à la lumière et ça permet d'apprendre sans avoir la pression."
Une fin d'histoire difficile avec les Bleus. C'est sûr qu'en étant adjoint en équipe de France, qu'il a servie à 123 reprises, soit le deuxième plus gros total derrière Lilian Thuram (142), Henry aurait débuté son expérience de coaching de manière moins anonyme. Il ne faut pas oublier, non plus, que l'histoire entre "Titi" et le pays a été émaillée d'affaires et d'incompréhensions : la main contre l'Irlande, fin 2009, Knysna et la grève de l'entraînement lors du Mondial 2010, les célébrations de but a minima, l'imbroglio autour de l'hommage qui devait lui être rendu à la fin de sa carrière chez les Bleus…
La Belgique, ses joueurs de talent qui parlent français et qui évoluent pour beaucoup dans le championnat d'Angleterre, ont tout pour plaire à Henry, grand amateur de football en général, mais resté attaché à la Premier League. "Ils ont beaucoup de joueurs de qualité, mais ils ne font pas encore une équipe. Et 'Titi', il est là pour les aiguiller", considère Marcel Desailly. Les aiguiller, les faire gagner, OK, mais pour les Bleus, on espère jusqu'à un certain point seulement…