1:24
  • Copié
Melina Facchin, avec AFP // Loïc Venance/AFP , modifié à
L'opératrice du Samu qui avait raillé fin 2017 au téléphone Naomi Musenga, jeune femme de 22 ans décédée peu après à l'hôpital, a été reconnue coupable de non assistance à personne en danger et condamnée à 12 mois de prison avec sursis jeudi par le tribunal correctionnel de Strasbourg.

Le tribunal est allé au-delà des réquisitions du parquet, qui avait demandé 10 mois avec sursis. Corinne M., l'opératrice âgée de 60 ans, est également condamnée à verser 15.000 euros à la famille de Naomi Musenga au titre des frais d'avocats. Elle avait dix jours pour faire appel, mais n'a pas souhaité le faire selon l'avocat de la famille Musenga. Sa condamnation est donc définitive.

Un "manque d'empathie total, du mépris même"

Quand on écoute la bande sonore de l'échange entre Naomi Musenga et l'opératrice du Samu, "on ne peut qu'être choqué du manque d'empathie total, du mépris même, de l'opératrice à l'égard de celle qui allait décéder quelques heures plus tard", avait déclaré la procureure, Agnès Robine, à l'entame de son réquisitoire.

Elle avait réclamé une "sanction de principe, claire, pour rappeler la loi et le devoir d'humanité de chacun des citoyens". Si cette affaire avait permis, selon elle, de "mettre en lumière le travail difficile" des assistants de régulation médicale et le "manque de moyens des services publics" de secours d'urgence, elle a souligné que les appels passés le 29 décembre 2017 par Naomi Musenga, 22 ans, puis par sa belle-soeur qui s'était rendue chez elle, ont fait l'objet d'une "prise en charge non conforme", comme l'avait déjà souligné un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) en 2018.

Déplorant un "comportement moralement et humainement inadapté", Agnès Robine a insisté sur les "graves négligences" commises par la régulatrice, qui disposait pourtant d'une "solide expérience" professionnelle depuis huit ans qu'elle exerçait à ce poste, après avoir été ambulancière.

"Froid dans le dos"

"A aucun moment elle n'essaie de savoir ce que Mme Musenga a comme symptômes, alors qu'elle lui dit qu'elle va mourir", a souligné la magistrate. "Je ne peux pas vous aider parce que je ne sais pas ce que vous avez", a-t-elle extrait de l'enregistrement de la conversation entre la jeune femme souffrante et l'opératrice. "Cette phrase fait froid dans le dos", a souligné la procureure. "C'était l'essence même de sa mission que de poser les questions aux appelants."

Corinne M. "n'a apporté aucune assistance alors qu'elle avait les moyens, et le devoir, de le faire. Dès les premiers instants elle avait décidé de ne pas intervenir, ni de transmettre l'appel à un médecin", a-t-elle affirmé. La procureure a écarté certaines circonstances atténuantes avancées par la prévenue, rappelant que le jour des faits les conditions d'exercice étaient "normales", et qu'aucun certificat médical ou démarche pour changer de service n'avait été présenté pour soutenir l'idée que Corinne M. n'était "pas en état de travailler".

"Conscience d'un péril"

"Une bande sonore comme celle-ci, j'ose espérer que de ma vie je n'en entendrai jamais plus", a appuyé l'avocat de la famille de la victime, Jean-Christophe Coubris. "À travers l'histoire de Naomi, on a mis en évidence la défaillance du Samu et d'autres décisions ont été prises, entre autres, cette obligation de formation des opératrices. Cela paraît évident, mais il a fallu passer par un drame pour que les choses changent deux ans plus tard", a-t-il souligné au micro d'Europe 1.

Thomas Callen, avocat de Corinne M., avait plaidé la relaxe, estimant que l'infraction n'était "pas caractérisée". Même si le conseil a estimé "inadmissible" "le manque d'empathie, le défaut d'humanité" de sa cliente, "l'infraction nécessite de démontrer la conscience d'un péril". Or justement, selon lui, la régulatrice du Samu n'avait pas conscience que Naomi Musenga était en danger de mort.

Corinne M. s'est excusée auprès de la famille de Naomi en ouverture des débats jeudi matin, des excuses accueillies avec bienveillance par la mère de Naomi, qui regrette qu'elles soient un peu "tardives". "Mais quand quelqu'un s'excuse, on est obligé d'accepter", a-t-elle répondu à notre micro. Pour sa part, sa sœur, Louange, ne retient pas ses larmes : "C'était assez éprouvant à vivre, c'est un soulagement d'avoir avancé dans notre combat. L'émotion vient de ces années de grosse fatigue et j'espère que l'on pourra dormir cette nuit."

Mère d'une enfant de 18 mois, Naomi Musenga est décédée le 29 décembre 2017 à l'hôpital de Strasbourg après avoir été prise en charge avec "un retard global de près de 02H20", selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Selon l'enquête, son décès n'est pas lié au retard de prise en charge, et les charges d"homicide involontaire" ont été abandonnées au cours de la procédure.