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EXCLU EUROPE 1 - Immigration : en immersion dans les locaux de la police aux frontières de Menton

Frédéric Michel - Mis à jour le . 8 min

Europe 1 a pu suivre le travail des hommes de la cellule "débriefing" de la police aux frontières. Un dispositif expérimental qui a pour but de repérer des individus potentiellement dangereux, d’identifier les filières d’immigrations illégales et d’éventuelles proximités avec la criminalité organisée.

C’est une cellule unique en France. À Menton depuis novembre 2023, dans les locaux de la police aux frontières, des enquêteurs se chargent de repérer et débriefer des individus étrangers interpellés après avoir tenté illégalement de rentrer sur le territoire. Un dispositif expérimental, voulu et défendu par le préfet des Alpes-Maritimes Hugues Moutouh, qui pourrait être étendue à d’autres frontières. Sept jours sur sept, 24 heures sur 24, une vingtaine de policiers réservistes, aguerries aux techniques d’interrogatoire, se relaient pour cibler et interroger des personnes, en provenance, notamment, de zones de guerre dans le monde ou laissant transparaître des signes de radicalisation.

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Police aux frontières de Menton.
Police aux frontières de Menton. © Frédéric Michel/Europe 1

1.500 personnes "débriefées" en 2024

En 2024, sur les 1.500 personnes entendues par la cellule débriefing, 15% ont fait l’objet d’un signalement auprès des différents services de renseignement français. Comme le prévoient les accords européens en vigueur, elles ont en grande majorité été renvoyées en Italie et confiées aux autorités du pays. Le préfet des Alpes-Maritimes précise que le dispositif a permis d’identifier formellement 12 individus radicalisés, tous ont été expulsés.

Habillés en civil, au milieu de leurs collègues en uniforme de la PAF, deux policiers réservistes s’apprêtent à prendre leurs services. Les deux anciens "flics" font partie de la cellule débriefing, un dispositif expérimenté depuis l’automne 2023 à Menton, dans les locaux de la police aux frontières. Le bâtiment jaune pâle, tout en longueur, est bien connu dans la région et au-delà. Il marque la frontière avec l’Italie, la fin de la mythique nationale 7 et a servi, du temps ou il était occupé par les douaniers, de cadre à une scène culte du Corniaud avec Louis de Funès. Aujourd’hui, des préfabriqués sont accolés à la bâtisse. Ces structures modulaires accueillent provisoirement les migrants en attente de renvoi vers l’Italie.

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Immersion avec les policiers de la cellule débriefing

Ce matin-là à l’entrée du poste, il y a déjà beaucoup de va-et-vient, de brouhaha. Le major Marc* commence la journée en s’intéressant aux interceptions de la nuit. Entre deux couloirs, ils échangent avec des collègues. Dotés d’une solide expérience, les hommes et femmes qui composent cette nouvelle unité ciblent et débriefent chaque jour plusieurs individus arrivés illégalement en France.

"Toutes les informations sont utiles pour se faire un avis", explique le major Marc au micro d'Europe 1. "Ça commence dès l’interpellation. Nos collègues sur le terrain et les agents de la PAF, chargés du placement en retenue administrative, des différentes vérifications sur l’identité et le droit au séjour des individus interceptés, sont sensibilisés à notre travail et nous préviennent lorsqu’ils remarquent des réactions anormales." Et le policer de donner quelques exemples : "Un individu qui s'isole et qui semble effacer des éléments sur son téléphone portable, une attitude de méfiance ou de rejet à l’égard du personnel féminin… Autant de signaux qui peuvent nous mettre en alerte. À nous ensuite de faire le tri", précise le major, au regard franc et à l’aspect jovial. "Ils ont le droit de refuser l’entretien mais dans la majorité des cas, ils acceptent."

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Depuis novembre 2023, le capitaine Delphine Dubos, chef adjointe de la PAF à Menton, encadre ce groupe de fins limiers. "Ils sont tous issus de la réserve opérationnelle. Ils ont été recrutés pour leurs compétences en matière d'investigation et leurs capacités à chercher du renseignement", et d’ajouter : "Ils ont souvent un passé dans la police judiciaire, les services de renseignement ou de coopération internationale." Pour mener les entretiens, détaille le capitaine Dubos, "on a toujours deux personnes présentes le matin et l'après-midi et les auditions se font en binôme."

Repérer des éléments potentiellement dangereux

Dès son arrivée dans le département des Alpes-Maritimes à l’automne 2023, le préfet Hugues Moutouh a été convaincu par l’utilité du dispositif. "On a discuté avec la PAF, avec la sécurité publique et on m'a proposé une expérimentation que j'ai trouvée tout à fait pertinente", affirme-t-il. Et le haut-fonctionnaire de donner quelques précisions sur les éléments ciblés : "Quand on sait qu’une personne provient d’une zone de conflit ou d’endroits où sévissent des groupes terroristes, si on remarque des allers-retours suspects, à ce moment-là, on l’isole et elle subit un interrogatoire assez poussé. On essaie de découvrir son cheminement personnel et d’évaluer le risque que l’individu représente pour la sécurité de nos concitoyens."

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Si la cellule débriefing a pour but de repérer des éléments potentiellement dangereux, le capitaine Delphine Dubos souligne : "Nous cherchons aussi à identifier les filières d’immigrations illégales, leurs éventuelles relations avec le crime organisé lié au narcotrafic et à la traite des êtres humains. On s’intéresse également aux nouveaux itinéraires empruntés par les migrants." Fière de porter à l’épaule l’écusson de la police aux frontières, l’officier expérimentée ajoute : "Tout le monde est motivé car les informations ne restent pas dans des cartons, elles sont transmises et exploitées par les différents services de renseignement français et parfois européens."

Dans les coulisses d'un débrief avec un jeune migrant

Chaque débriefing dure environ 1h30, et même si les policiers intégrés dans ce nouveau dispositif parlent plusieurs langues, l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien, parfois l’arabe, le recours à un traducteur est très souvent nécessaire. "Dès qu’il y a un doute sur la capacité de la personne à comprendre nos questions, un interprète est sollicité", insiste le major Marc qui s’apprête à débuter un entretien avec un jeune soudanais au parcours incohérent.

Nur** est suspecté d’avoir menti sur son âge et son identité. Un mensonge peut en cacher un autre, il est donc entré dans le viseur des débriefeurs. Avant d’être entendu, le jeune homme aux cheveux courts et soigneusement coiffé accepte d’être pris en photo et que l’on relève ses empreintes digitales. C’est le travail de Jérôme et Frédéric de l’identité judiciaire. "C’est de la biométrie, c’est imparable. Les empreintes parlent et on sait exactement qui est devant nous." En blouse blanche, gantés et masqués, les opérateurs de la PAF consultent quatre fichiers différents, mais RAS (Rien à signaler ndlr).

Nur est alors accompagné jusque dans un petit bureau austère où le major Marc et sa collègue, tous les deux assis derrière un bureau, l’invitent à prendre place sur une chaise face à eux. Le garçon impeccablement vêtu insiste dans un Français approximatif : "Moi, mineur, 17 ans, 18 dans trois mois." Sans perdre une minute, les enquêteurs composent le numéro de téléphone d’une société de traducteurs, sous contrat avec l’administration. "Nous ne pouvons pas faire venir physiquement un interprète à chaque audition", explique Marc, "le délai serait trop long et le temps est compté", confie-t-il.

Des raisons économiques

À partir de l’interception, il est en effet administrativement difficile de retenir la personne plus de quatre heures. Pour la renvoyer en Italie, pays par lequel elle est arrivée en France, il faut respecter un délai. À l’autre bout de la ligne, une hôtesse d’accueil demande des précisions sur la langue à traduire, avant de transférer rapidement la communication à un interprète. Dans la pièce aux murs blanc et impersonnels, l’entretien peut débuter.

Nur explique avoir quitté son pays pour des raisons économiques. Ses parents auraient payé 15.000 euros à des passeurs pour lui permettre de gagner Paris. Nur réaffirme être mineur, vivre en France depuis plus d’un an et apprendre dans un lycée de la région parisienne le métier de cuisinier. Il a été arrêté dans un train à Menton en provenance d’Italie. Les enquêteurs chargés du débrief cherchent à comprendre pourquoi, alors qu’il était sur le territoire français, avec le statut de mineur isolé, il s’est rendu à Gènes. Avec quelques mots de français et l’aide du traducteur, le garçon explique avoir eu rendez-vous avec "le passeur" pour récupérer des "documents administratifs".

Sous le feu des questions

Affable, le major Marc enchaîne les questions, anodines et plus précises. À ses côtés, sa collègue retranscrit l’échange sur un vieil ordinateur. Marc déroule son questionnaire : "Il y a deux ans, quand vous avez quitté le Soudan, quel est le parcours que vous avez emprunté pour venir en France ? Avez-vous effectué le service militaire ? Pratiquez-vous une religion ?" Pour préserver les techniques de travail de l’unité et ne pas donner d’informations qui pourraient s’avérer utiles à des personnes mal intentionnées, Europe 1 ne dévoilera pas la suite de l’échange et la nature des nombreuses questions posées aux individus débriefés. Nur, lui, ce jour-là, n’éveillera pas davantage les soupçons. Il accepte même de coopérer en donnant le numéro de téléphone de son passeur.

Débutée à midi, l’audition s’achève à 13h25. Les deux policiers sont satisfaits : "C’est un entretien tout simple qui nous permet peut-être de déboucher sur la découverte d'un réseau et de le localiser." Convaincu et habité par l’importance de cette mission, le major Marc conclut : "On recherche du renseignement. Si on en trouve, on le transmet. C'est notre rôle. Si, au travers d'un entretien réalisé dans ce bureau, nous pouvons déceler la présence d'un individu vraiment à risque et éviter que potentiellement il se retrouve un jour devant une école avec une kalachnikov, un couteau ou autre chose pour commettre un attentat, on aura gagné et grandement gagné. Heureusement, on ne tombe pas tous les jours sur des profils inquiétants."

12 personnes radicalisées expulsées

En 2024, explique le préfet des Alpes-Maritimes, "15.000 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés le long des 100 kilomètres de la frontière franco-italienne, qui est placée sous ma responsabilité. La cellule débriefing a réalisé près de 1.500 entretiens. 15% ont 'sonné', c'est-à-dire qu’ils ont éveillé le grand intérêt de nos services de renseignement. Douze personnes radicalisée ont été expulsées", souligne Hugues Moutouh.

"Ils sont interpellés et emprisonnés si, de façon immédiate, ils constituent une grave menace pour la sécurité de nos concitoyens. Sinon, ils sont ramenés de l'autre côté de la frontière et on les signale aux Italiens qui eux, font le même travail." Il y a quelques mois, le dispositif a été présenté au ministre de l’Intérieur. Bruno Retailleau pourrait, selon le préfet, décider de le généraliser à d'autres frontières.

* Pour des raisons de sécurité nous ne dévoilons pas l’identité des enquêteurs.

** La nationalité et l’identité ont été modifiées pour respecter l’anonymat du jeune garçon et sa sécurité.