Pitch. New York, 1841. Solomon Northup, un jeune musicien Afro-Américain libre et père de famille, est kidnappé et réduit à travailler comme esclave dans des champs de coton en Louisiane. Son calvaire durera près de 12 ans.
Découvrez la bande-annonce du film 12 Years a Slave:
Inspiré d'une histoire vraie, le film, particulièrement réaliste, est adapté des mémoires de Solomon Northup (incarné avec brio par Chiwetel Ejiofo). Au casting également : Brad Pitt qui apparaît sous les traits d’un visiteur canadien, avec barbe et chapeau, et Michael Fassbender qui incarne un esclavagiste alcoolique et violent. On découvre aussi Benedict Cumberbatch sous les traits d’un propriétaire plus humain mais impuissant.
>>> Nicole Bacharan*, spécialiste des Etats-Unis, décrypte le regard du réalisateur sur l’esclavage dans les champs de coton du Sud de l'Amérique pour Europe 1.fr :
Steve McQueen (II) a voulu filmer l’esclavage de manière extrêmement réaliste : le pari est réussi d’après vous ?
C’est le film le plus réaliste, le plus véridique que j’ai vu sur ce sujet. J’ai beaucoup travaillé sur la question de l’esclavage et je dois dire que les situations qu’on voit dans le film sont toutes historiquement plausibles. Rien n’est inventé. 12 Years a Slave montre un très large éventail de situations dans le Sud (notamment en Louisiane), pendant cette période. On est dans les années qui précèdent la guerre de Sécession, dans les années les plus dures de l’esclavage. La violence était d’autant plus présente qu’on pressentait que le système était en train de se fissurer. On voit dans 12 Years a Slave, le sort des maîtres (du plus humain au plus tortionnaire), des Noirs, des femmes blanches etc. L’importance de la hiérarchie est très palpable. On distingue bien le rôle des contremaîtres (qui parfois font de l’excès de zèle), des propriétaires, de la place de chacun. La peur de la révolte des esclaves est aussi très papable, et très réaliste. La terreur était constante. C’est un système fondé sur un équilibre très fragile.
Comment décrire la société esclavagiste, si bien dépeinte dans le film ?
Ce qui est très bien montré, c’est la folie de cette société esclavagiste : tout le monde a peur. Même les Blancs ont peurs ! Ceux qui se rebellaient contre le système risquaient gros. C’est un système totalitaire. Il y a tous ceux qui en abusent (comme Michael Fassbender dans le film, qui joue un maître alcoolique et cruel), et ceux qui sont plus humains, mais impuissants. Quoiqu’il en soit, il n’y a pas de garde-fous. Il faut savoir quand-même qu’on ne tuait pas si facilement un esclave à l’époque. Car il coûtait très cher. Pour établir une comparaison, un esclave coûtait aussi cher qu’une voiture de luxe.
La cruauté des propriétaires blancs dans le film, ou du marchand d’esclave dépasse l’entendement…
Et pourtant là encore, c’est tout à fait crédible. La scène de vente, c’était ça. Les esclaves, hommes et femmes, étaient nus au moment de la vente, dans une société pourtant très collet-monté. Les enfants arrachés à leur mère…Ces scènes horribles ont vraiment existé. Les esclaves étaient listés au même titre que le bétail, que le mobilier, ou les propriétés foncières. La violence de cette vie dans les plantations, c’est d’abord le fouet, c’est aussi la menace de mort, ou celle d’être vendu pour un sort encore pire. En Louisiane, ou dans le Mississippi c’est vraiment l’horreur. L’expression américaine est d’ailleurs restée dans le vocabulaire : on dit "To be sold down the river", c'est-à-dire littéralement "être vendu encore plus au sud."
J’ai visité des plantations en Louisiane, ou en Caroline du Nord. Ce qui est très frappant, c’est toujours l’isolement de ces plantations. Quand on visite ces lieux, on ressent à quel point le système ne pouvait survivre qu’avec cette extrême violence.
La condition des femmes dans les plantations était-elle pire que celle des hommes, comme le suggère le film ?
Oui. Elles n’avaient pas de liberté, elles travaillaient très dur, on leur enlevait leurs enfants, et puis elles pouvaient être violées à tour de bras, sans aucun recours. Les hommes, on les brisait aussi bien sûr, en les battant, en les humiliant, ou en les empêchant de protéger leurs femmes. C’est vraiment un régime totalitaire. On voit le personnage incarné par Fassbender abuser d’une jeune esclave dans le film. Il faut bien comprendre qu’à l’époque, une esclave ne pouvait pas être violée, ça n’existait tout simplement pas. Elle n’avait nulle part où se plaindre. La haine de l’épouse du propriétaire envers une esclave favorite dans le film, est tout à fait vraisemblable : l’un en fait son jouet, l’autre veut sa mort.
Pourquoi avoir choisi un homme libre pour incarner son histoire à votre avis ?
D’abord, le réalisateur avait une matière : l’autobiographie. Et puis je pense que ça rend très perceptible l’extrême fragilité de la liberté, particulièrement pour un homme noir, aux Etats-Unis, au 19e. Il suffisait de tomber sur une personne mal intentionnée pour qu’elle efface les traces. Privé de preuves écrites, un homme noir, à cause de la couleur de sa peau, pouvait immédiatement tomber dans l’esclavage. Le fait de choisir un homme libre au départ, rend aussi d’autant plus fort et poignant, la valeur de la liberté. Particulièrement aux Etats-Unis.
Après avoir recouvré sa liberté, Salomon ne sera plus jamais le même ?
Il a découvert les recoins les plus sombres de l’âme humaine. Le héros n’a sauvé personne sur place mais il s’est fait un devoir de témoigner et a consacré le reste de sa vie à la cause abolitionniste.
Meilleur acteur, meilleur scénario, meilleur réalisateur, meilleur film... Avec sept nominations aux Independant Spirit Awards, le drame de Steve Rodney McQueen est en tête de cette 29e cérémonie qui se tiendra à Santa Monica le 1er mars prochain. 12 Years A Slave avait déjà remporté le Prix du public au Festival de Toronto 2013.
12 Years A Slave, de Steve McQueen (II), avec Chiwetel Ejiofor, Brad Pitt, Michael Fassbender, sortie le 22 janvier 2014 avec Europe 1.
*Nicole Bacharan est l'auteure du livre Les Noirs-Américains, Des champs de coton à la Maison-Blanche, paru aux éditions PANAMA, en 2008.