Dix-sept kilomètres de couloir, quelque 2 000 salariés : le monument des Invalides est un mille-feuille institutionnel et un labyrinthe rempli de tableaux, ornements, et autres plaques commémoratives, autant de symboles du poids historique de l’édifice. A l’occasion du spectacleLa nuit aux Invalides, qui illuminera la cour d’honneur du 14 avril au 24 mai, Mickael Blasselle, du musée de l’armée de Paris, a ouvert à Europe1.fr les portes des Invalides, côté coulisses. Voici cinq histoires méconnues, qui ont toutes pour décor les Invalides.
La cérémonie perturbée du retour des cendres de l’Aiglon
En 1940, Hitler accède à une vieille requête française : le retour des cendres de l’Aiglon, fils de Napoléon Bonaparte et de Marie-Louise d’Autriche, mort en exil à Vienne en 1832. La cérémonie a lieu aux Invalides le 15 décembre 1940, 100 ans jour pour jour après le rapatriement de Napoléon Bonaparte, dont l’imposant tombeau est également installé dans l’édifice.
La veille de la cérémonie, de nombreuses croix gammées flottent à l’intérieur des Invalides, déjà aux couleurs de l’Allemagne nazie, qui a installé aux Invalides la Wehrmacht. Symbole de la collaboration, l’évènement doit être grandiose et symbolique. Mais comme le raconte Mickael Blasselle, du musée de l’armée de Paris, “c’était sans compter l’intervention des Morin”. En pleine nuit, cette famille de résistants, qui vivaient aux Invalides, retire un à un tous les symboles du troisième Reich. Lorsque les Allemands s’en aperçoivent le lendemain matin, il est déjà trop tard pour tout réinstaller. La cérémonie sera également gâchée par d'autres Parisiens. Sur les murs de la capitale, ils écrivent : “Ils nous prennent le charbon, et ils nous rendent les cendres”.
Le courage de Georges, Denis et Yvette Morin, famille de résistants
Pendant la Seconde guerre mondiale, les Invalides deviennent donc une fourmilière allemande avec la présence de la Wehrmacht. Mais l'édifice continue d’héberger des citoyens français. A l’image de Georges Morin, fonctionnaire de l’ONAC, l’organisme consacré aux anciens combattants, installé dans une aile du monument avec sa femme Denise et sa fille, Yvette. Et c'est au beau milieu de cet édifice, transformé en caserne par l’occupant, que Georges et Denise Morin décident d’héberger une quarantaine de pilotes alliés, principalement des Américains et Canadiens. Pour ne pas éveiller les soupçons, ces derniers sont présentés comme les cousins muets de la famille Morin.
Dans la plus grande discrétion, ces résistants se réunissent sur les hauteurs du dôme des Invalides. L’un des pilotes y a d'ailleurs laissé une trace de son passage, un graffiti “John, Royal Air Force 1944”. Pendant trois ans, Georges et Yvette Morin dupent les Allemands. Mais en 1944, le réseau est finalement dénoncé, vraisemblablement par un voisin. Tous les trois déportés en camp, Georges meurt en détention. Sur un pan de mur des Invalides un peu caché, une plaque commémorative rend aujourd’hui hommage à Georges Morin. Les noms de Denise et d’Yvette, eux, ne sont pas mentionnés.
La cathédrale aux drapeaux
Saviez-vous que Notre-Dame de Paris n’est pas la seule cathédrale de la capitale ? Les Invalides en sont une aussi ! Mais si Saint-Louis des Invalides, dépendante du vicariat aux armées, est bien une cathédrale, elle n’est en revanche pas une paroisse, rappelle Mickael Blasselle, du musée de l’armée de Paris. En clair : le lieu accueille des messes, mais pour s’y marier ou y être baptisé, il faut avoir un lien de parenté avec un membre de l’armée. C’est d’ailleurs aux Invalides que se tiennent les cérémonies - religieuses comme civiles - en hommage aux soldats français morts au combat.
Mais la cathédrale Saint-Louis a une autre particularité, plus insolite encore : celle d’arborer dans sa nef des dizaines de drapeaux d’adversaires, sorte de trophées pris à l’ennemi. A l’image du Vietnam, pendant la guerre d’Indochine, de l’Italie, pendant la Seconde guerre mondiale, ou bien de l’Allemagne. Au total, une soixantaine d’étendards flottent dans les hauteurs de la cathédrale. Et pendant un temps, rappelle Mickael Blasselle, figurait parmi eux une croix gammée. Un drapeau finalement retiré, “suite aux protestations”.
Rouget de Lisle et son tombeau provisoire depuis 100 ans
Sous le chœur de la cathédrale Saint-Louis, une porte permet de pénétrer dans le sous-sol de l’édifice, direction le caveau des gouverneurs, lieu de sépulture des anciens hommes forts des Invalides et de hautes personnalités militaires. Y reposent - entre autres - le maréchal Juin, le général Leclerc, ou encore le cœur du général Jean-Baptiste Kleber. Mais parmi ces hauts-gradés, la présence d’une dépouille intrigue. Celle de Claude Rouget de Lisle, compositeur de la Marseillaise, mort dans l’anonymat en 1936. Si ce dernier a servi dans l’armée - comme la très grande majorité des hommes de l’époque - rien n’autorise a priori la présence de ses cendres aux Invalides.
Mais en pleine guerre mondiale, la République française décide de faire de Rouget de Lisle un symbole national. Le 14 juillet 1915, la France ordonne le transfert des cendres du compositeur au Panthéon. Pour être effective, la décision doit être entérinée par un vote des deux chambres. Problème : à cause de la guerre, le Sénat et l’Assemblée nationale ne pourront se réunir. Ses cendres seront donc provisoirement transférées aux Invalides en 1915. Une situation “provisoire”, qui dure depuis bientôt 100 ans.
Saviez-vous que les célèbres taxis de la Marne étaient des "Taxis G7" ?
Ne vous étonnez pas de voir un taxi de la Marne au musée des Invalides. Et pour cause : pendant la Première guerre mondiale, le monument leur a servi de point de rencontre pour ravitailler le front. En septembre 1914, les troupes allemandes sont à quelques dizaines de kilomètres de Paris, en Seine et Marne. Afin de contenir leur progression, l’État-major français décide d’envoyer rapidement des milliers de soldats sur ce front.
Pour y parvenir, la France réquisitionne quelques 600 taxis de la “Compagnie française des automobiles de place”, dite “G7”, en raison de leur immatriculation attribuée par la préfecture. Dans la nuit du 6 septembre, 630 taxis rouges et noirs se réunissent devant les Invalides. Ils achemineront au total plus de 3.000 soldats sur le front. Une intervention vaine : l’épopée de ces Renault AG1 ne parviendra pas à contenir la percée allemande.
La nuit aux Invalides, un spectacle en partenariat avec Europe1, du 24 avril au 24 mai, dans la cour d’honneur des Invalides.