En grève depuis plus d’une semaine, les intermittents du spectacle appellent à amplifier le mouvement. La raison de leur colère : la réforme de leur régime d’assurance chômage, qui sera tranchée le 30 juin prochain. Les représentants des intermittents réclament au ministre du travail, François Rebsamen, de ne pas donner son agrément à l’accord du 22 mars, pourtant signé par trois syndicats sur cinq ainsi que par le patronat. Pour le faire plier, les manifestants perturbent donc de nombreux festivals. Plusieurs spectacles du Printemps des comédiens ont été annulés, le festival Rio Loco a aussi été perturbé et le Festival d’Avignon est désormais menacé. Un médiateur, Jean-Patrick Gille, député PS d’Indre-et-Loire, a aussi été nommé le 7 juin dans l’espoir de déminer le dossier.
LE MATCH - Samuel Churin, comédien, est le porte parole de la Coordination des intermittents et précaires. Jean-Luc Bernard, musicien, est le responsable national pour les musiciens Force Ouvrière. Pour ou contre la réforme ? Ils ont accepté d'en débattre pour Europe1.fr.
Que pensez-vous de l’accord du 22 mars ?
Samuel Churin : "Je ne suis pas du tout satisfait, parce que le 22 mars, les partenaires "dits" sociaux ont osé revalider l’accord de 2003, en l’aggravant. Pour l’image, ça veut dire qu’ils laissent la maison s’écrouler et qu’au dessus, ils rajoutent de la peinture toxique. Nous, on parle d’abord de l’architecture, qui est épouvantable du début à la fin. Cette architecture, ça fait onze ans qu’on démontre qu’elle n’est pas bonne. Tous les membres du gouvernement nous soutenaient jusqu’en 2012.
Le scandale de cet accord, ce n’est pas tellement l’argent qui est dépensé mais comment il est dépensé. Avant 2003, c’était un principe redistributif ou mutualiste, qui faisait qu’en plus de la solidarité interprofessionnelle, il y avait de la solidarité intraprofessionnelle (dans nos métiers). Il faut dire aussi que l’accord dans son ensemble est mauvais. Pour les intérimaires par exemple, c’est 50 à 300 euros de moins de pouvoir d’achat."
Jean-Luc Bernard : "Je ne suis pas satisfait, mais je crois qu’il faut prendre ses responsabilités : était-ce bien sage de refuser tout accord et de tout confier à l’Etat, au moment où le patronat veut revenir à l’équilibre sur l’Unedic dans trois ans ? Au moment où l’Etat n’a pas vraiment les moyens de gérer ? Pour moi, c’est un accord. Un accord, c’est un compromis, qui comprend évidemment des plus et des moins."
Le médiateur Jean-Patrick Gille a publié un dessin explicite sur Twitter, mardi 17 :
Dossier de l'intermittence : un conflit complexe à 3 personnages bipolaires #directAN#intermittentspic.twitter.com/V0eEdEcroO— Jean-Patrick Gille (@jp_gille) 17 Juin 2014
Une réforme du régime des intermittents est-elle alors nécessaire ?
Samuel Churin : "Mais vous plaisantez ! Ça fait onze ans qu’on travaille sur une réforme, onze ans qu’on avance des contre-propositions. Elles ont même été chiffrées. Nous voulons un accord juste, vertueux, redistributif, et qui fait 100 millions d’euros d’économie. Ces propositions n’ont même pas été regardées ! On nous parle de démocratie sociale, mais quelle démocratie sociale ? Il n’y a pas eu de négociations. C’est une oligarchie qui se réunit dans les bureaux du Medef et qui suit sa feuille de route."
Jean-Luc Bernard : "Je pense qu’un vrai financement du secteur est nécessaire, c'est-à-dire qu’il faut mettre l’argent qu’il faut pour produire et pour diffuser. Que l’Etat paye la production et la diffusion, participe et encourage la création en mettant l’argent là où il le faut pour développer les projets, ça, ça m’intéresse".
Que demandez-vous au gouvernement ?
Samuel Churin : "C’est très simple, de ne pas agréer cet accord et de faire de l’assurance chômage une grande cause nationale. Il faut que tout le monde soit autour de la table. Comment peut-on prendre des décisions sans consulter les premiers concernés ?"
Jean-Luc Bernard : "Ce que j’attends du gouvernement, c’est qu’il prenne en compte les problèmes du secteur non pas en remettant en cause l’accord du 22 mars, mais en finançant vraiment le secteur. Les artistes travaillent dans différents secteurs d’activité. Dans la culture bien sûr, la création, dans la socio-culture et dans le social. Ce sont trois lignes budgétaires bien différentes. Il ne faut pas toujours tirer sur la culture."
Que répondez-vous à ceux qui pensent que les intermittents sont des privilégiés ?
Samuel Churin : "On n’arrête pas de l’entendre. Je réponds que notre dossier est celui qui stigmatise le plus de fantasmes et de contre-vérités. Je demande à tous ceux qui osent dire une chose pareille, de revenir aux sources et de vérifier les faits. Je demande à ce qu’il y ait un minimum de déontologie journalistique. Parmi les bêtises, on entend par exemple que nous coûtons plus cher à l’assurance chômage. Ça, c’est simple, nous représentons 3,5% des chômeurs indemnisés, nous percevons 3,4% des dépenses. Donc, nous ne coûtons pas plus cher qu’un autre chômeur."
Jean-Luc Bernard : "Je réponds à ces gens : mais qu’ils viennent faire le boulot ! On a un secteur qui est 'pilote'. Grâce à la protection sociale, depuis 30 ans au moins, on a poussé la flexibilité à outrance. Tout le monde en rêve dans tous les secteurs. Avoir des salariés compétents en passant un coup de fil et en les voyant disponibles pour le lendemain, c’est ça les annexes 8 et 10. Qu’il y ait des gens à la marge, c’est le cas dans toutes les réglementations. Il y a toujours des abus. Mais les professionnels du secteur continuent à créer de la richesse. On peut regretter le manque de CDI dans le secteur. Mais malheureusement, ça n’a pas pris parce que les collectivités locales, qui financent largement la culture, comme les politiques, ont tous des responsabilités dans cette histoire."
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