C'est l'histoire d'un indispensable devenu… dispensable. Call of Duty, l'une des franchises les lus populaires de l'histoire du jeu vidéo (environ 300 millions d'exemplaires vendus depuis 2003), revient en force pour les fêtes avec un nouvel opus : Modern Warfare (disponible sur PC, PS4 et Xbox One). Après des années de jeux le plus souvent sans intérêt, Call of Duty s'offre un renouveau inattendu en s'intéressant, et c'est inédit, au sort des populations civiles, victimes collatérales des conflits.
Une licence prometteuse plombée par la paresse
Pour les enfants des années 90, Call of Duty, c'est une franchise aussi iconique que sulfureuse. Des jeux de guerre hyperréalistes avec leur vue à la première personne, jeux auxquels tous les ados cherchaient à jouer malgré l'interdiction aux moins de 18 ans qui frappe la licence depuis ses débuts en 2003. Il faut dire qu'il y avait quelque chose de troublant à se mettre dans l'uniforme d'un soldat s'apprêtant à débarquer sur les plages normandes en juin 1944.
Après de premiers jeux très réussis, Call of Duty a perdu de sa saveur. À force de se rapprocher dans le temps, l'action des jeux a fini, au tournant des années 2010, par se déplacer dans un futur toujours plus lointain. Guerre dans l’espace, armes qui envoient des boules d’énergie, exosquelettes… Ces expérimentations ont ôté l’aspect humain des conflits. Et les Call of Duty sont devenus des jeux abrutissants, sans histoire, avec des soldats sans âme, de simples machines à tirer dans des conflits sans enjeu. Mais les jeux ont continué de très bien se vendre, davantage pour le multijoueur que pour ses campagnes solo vides de sens.
Un renouveau inattendu
L'annonce du nouvel épisode annuel, le 16ème, n'a donc pas franchement soulevé les foules. D'autant qu'il était présenté comme un "reboot" de la série des Modern Warfare, entamée en 2007. Notre curiosité attisée par les premières bandes-annonces, nous nous sommes malgré tout lancés dans le mode campagne de ce Call of Duty : Modern Warfare. Et quelle ne fut pas notre surprise de découvrir un récit haletant, relativement réaliste et surtout… humain.
Comme son nom l'indique, ce Modern Warfare dépeint la guerre moderne, avec une inspiration clairement puisée du côté de la Syrie. Pour l'histoire, tout part d’un attentat qui a lieu en plein centre de Londres. Attaque revendiquée par une organisation terroriste fictive, Al-Qatala, qui se trouve être par ailleurs en possession d’armes chimiques. Face au risque majeur, la CIA et le SAS, les forces spéciales britanniques, montent une opération conjointe pour débusquer les leaders de l’organisation en Urzikstan, pays fictif lui aussi, occupé en partie par les troupes russes. Troupes russes qui tuent et oppriment les habitants soupçonnés de collaborer avec les terroristes et combattues par une faction de rebelles.
Un scénario complexe donc, aux enjeux bien plus subtils que ceux des précédents volets. Call of Duty : Modern Warfare dépeint très justement la zone grise dans laquelle se déroulent les conflits de nos jours. Tout le monde est sur place mais, officiellement, personne n’est impliqué dans rien. Dans le jeu, les Russes ne prennent pas de gants mais personne n’ose les attaquer diplomatiquement car ils visent les terroristes d'Al-Qatala. En face, les Américains se servent des rebelles en échange d’un soutien qui ne dépasse pas le statut de promesse. "Le terroriste de l’un est le combattant de la liberté de l’autre", comme le formule Taylor Kurosaki, le scénariste principal de la campagne solo.
Points de vue multiples et missions variées
Le récit est d'autant plus intéressant qu'il est vécu par le joueur à travers le regard de trois personnages bien différents. Il y a Alex, agent de la CIA expérimenté mais de moins en moins à l'aise avec les retournements de veste diplomatiques de son pays. Se joint à lui le sergent du SAS Kyle Garrick, qui découvre l’atrocité de la guerre une fois sur le terrain. Enfin, on incarne à plusieurs reprises une femme, une première dans Call of Duty : Farah Karim, commandante des rebelles de l'Urzikstan, dont le point de vue est sans hésitation le plus intéressant. Tous trois sont chapeautés par le capitaine Price, vétéran roublard et fin stratège, un personnage récurrent de la franchise Call of Duty.
De l'assaut d'une maison londonienne servant de base aux terroristes jusque dans les tunnels de leurs repères en Urzikstan, en passant par des complexes militaires russes, les missions de la campagne de Call of Duty : Modern Warfare sont suffisamment variées pour compenser sa faible durée (7 ou 8 heures). En un mot, les graphismes du jeu sont très réussis, que ce soit au niveau du design des personnages que de la richesse des décors.
Reste la question de l'ultra-réalisme de Modern Warfare : plusieurs séquences comme l'attentat en plein Londres et certaines scènes d'interrogatoires "musclés" sont tellement réalistes qu'elles peuvent choquer, notamment les jeunes joueurs. Elles sont généralement mises en perspective par des cinématiques dans lesquelles les personnages principaux font part de leurs questionnements moraux. Et il est impossible de tuer des civils ou des alliés, même par erreur, sous peine de recommencer la mission. Mais cela suffit-il ? La question mérite d'être posée.
On regrettera par ailleurs quelques errements scénaristiques, faute de savoir sur quel pied danser : en mélangeant pays réels et fictifs et organisations existantes et inventées, le jeu se prend parfois les pieds dans le tapis, comme l'a relevé Le Monde. Ainsi, la mission de la "Route de la mort" fait explicitement référence au bombardement par les États-Unis, le Canada, la France et le Royaume-Uni, des troupes irakiennes qui battaient en retraite, lors de la guerre du Golfe, en février 1991. Sauf que, dans le jeu, ce sont les Russes qui ont ordonné ces bombardements. Un rajout grossier qui force l'aspect "anti-russe" du jeu.
Les victimes civiles mises en avant
Ce genre de largesse historique aurait pu être rédhibitoire pour ce Call of Duty. Mais le jeu est rattrapé par ses excellentes intentions en matière de traitement de la guerre. On a souvent reproché à Call of Duty de proposer une image trop alléchante de la guerre, avec son quota de héros sans failles et de violence gratuite. Une vision problématique quand on sait que, malgré l'interdiction aux moins de 18 ans, la série est très prisée des adolescents, forcément plus influençable que des joueurs plus matures.
Avec Modern Warfare, Call of Duty semble avoir enfin pris ses responsabilités. Le scénario aborde ainsi frontalement la question des crimes de guerre et donne une place non négligeable, et inédite, au sort dramatique des populations civiles victimes de ces guerres par procuration. "Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent" : la citation de Sartre, affichée parmi d'autres quand l'on meurt dans le jeu, n'aura jamais été aussi bien appliquée que dans ce Call of Duty : Modern Warfare.
Les atrocités de la guerre sont notamment évoquées à travers le personnage de Farah Karim, la commandante des rebelles, hommage évident aux unités de combattantes kurdes en Syrie. Grâce à des flash-back, on apprend que les Russes ont tué la famille de Farah dans un bombardement, avant de gazer la ville. Mais, idée extrêmement forte : ce n'est pas raconté dans une cinématique, il s'agit d'une séquence jouable. Exit les soldats, le temps d'une mission mémorable, on incarne une petite fille, d’abord coincée sous les débris de sa maison, puis contrainte de fuir la ville dévastée en évitant les soldats russes et le gaz. Dans un jeu de guerre, c’est un point de vue inédit et vraiment bienvenu.
Pour raconter la guerre du point de vue des victimes civiles, les développeurs ont travaillé avec différents consultants, en plus des traditionnels Marines pour l’aspect militaire. En l'occurrence, des spécialistes des conflits au Moyen-Orient et des correspondants de guerre capables de relater la vie quotidienne des populations d’un pays occupé. La guerre n'a rien d'un jeu et Call of Duty semble enfin l'avoir compris.
Notre avis :
Tout n'est pas parfait dans ce Call of Duty : Modern Warfare mais Activision repart cette fois avec les encouragements. L'élève paresseux du fond de la classe s'est remis à faire des efforts et le potentiel entrevu à ses débuts est toujours là. Très prenante, la campagne solo du jeu nous a excité comme rarement un Call of Duty avait réussi à le faire. Si ce n'était les quelques arrangements étonnants pris avec la réalité historique et une durée de vie un peu courte, on serait pleinement satisfait. Mais il faut vraiment applaudir les progrès qui ont été faits pour rendre compte de l’horreur de la guerre.
À noter que le multijoueur, que nous n'avons pas évoqué ici, reste fidèle aux précédents volets : des affrontements entre joueurs sur des terrains limités avec des objectifs variables. Rien de très original à souligner mais les amateurs du genre y trouveront leur compte.