Le 75e Festival de Cannes a fait le choix de l'éclat de rire corrosif et politique en offrant une deuxième Palme d'Or au Suédois Ruben Östlund, pour sa satire acide des ultra-riches et des rapports de classe dans les sociétés occidentales. Après Titane de la Française Julia Ducournau, c'est un autre genre de punk, bien moins sanglant, mais tout aussi décoiffant et volontiers scato, qui remporte le plus prestigieux prix du cinéma mondial. Au-delà de la Palme d'Or, le jury où siégeaient notamment Rebecca Hall (Vicky Cristina Barcelona), l'Indienne Deepika Padukone, et les réalisateurs Asghar Farhadi et Ladj Ly, a donné sa deuxième distinction la plus prestigieuse (Grand Prix) ex aequo à la Française Claire Denis, 76 ans, (Stars at Noon) mais surtout à un jeune talent à suivre, Lukas Dhont, 31 ans.
La Belgique est l'une des gagnantes du Festival : outre Lukas Dhont, les frères Dardenne, chantres du cinéma social, ont reçu un Prix spécial de cette 75 édition-anniversaire, pour Tori et Lokita, drame social sur de jeunes exilés, et le couple flamand Charlotte Vandermeersch et Felix van Groeningen (Les Huit Montagnes) reçoit le prix du Jury, ex aequo avec l'ovni de la compétition, EO (Hi Han), manifeste animaliste sur un âne, réalisé par une figure du cinéma polonais, Jerzy Skolimowski.
Hors compétition, le Festival a aussi voulu faire rêver le public en invitant la méga-star Tom Cruise, venue présenter le nouveau Top Gun, et la nouvelle coqueluche d'Hollywood, Austin Butler, dans le rôle d'Elvis pour le biopic-évènement du King. Deux films sur lesquels l'industrie du cinéma compte pour ramener les foules en salles, après deux ans de crise sanitaire.
Palme d'or : Ruben Östlund rafle une 2e Palme d'or pour son hilarant Sans filtre
Cinq ans après The Square, le Suédois Ruben Östlund a raflé samedi une deuxième Palme d'or au 75e Festival de Cannes avec Sans filtre, satire jouissive des super-riches et du luxe, sans conteste le film le plus divertissant de la compétition. Euphorique sur la scène du Grand théâtre Lumière, le Suédois à l'humour grinçant rejoint, à 48 ans, le club très fermé des doubles palmés, parmi lesquels les frères Dardenne et Ken Loach. "Tout le jury a été extrêmement choqué par ce film", a annoncé Vincent Lindon, le président du jury. "Lorsque nous avons commencé ce film, nous n'avions qu'un but : essayer de faire un film qui intéresse le public et qui le fasse réfléchir avec provocation", a déclaré le Suédois, en recevant son prix.
Sans filtre suit l'aventure de Yaya et Carl, un couple de mannequins et influenceurs en vacances sur une croisière de luxe. Un voyage qui tourne à la catastrophe. Dans une sorte de Titanic inversé, où les plus faibles ne sont pas forcément les perdants, le film décortique les ressorts de classe de fond en comble : les riches contre les pauvres, mais aussi les hommes contre les femmes, et les Blancs contre les Noirs. Le réalisateur livre une critique sans concession du capitalisme et de ses excès.
Élevé par une mère communiste, se définissant lui-même comme "socialiste", le Suédois n'a pas cédé à la facilité de "décrire les riches comme méchants" mais plutôt à "comprendre leurs comportements", dit-il. Après Play (2011), Snow therapy (2014) et The Square (2017), Ruben Östlund continue de disséquer les conventions sociales, les petites lâchetés et les dilemmes moraux.
Dans Sans filtre, le casting est anglophone : Östlund a mélangé nouveaux venus (la mannequin sud-africaine Charlbi Dean, notamment) et acteurs confirmés, comme l'Américain Woody Harrelson. Ce dernier excelle comme capitaine en roue libre, laissant son bateau chavirer pendant qu'il boit.
Prix d'interprétation féminine : l'Iranienne Zar Amir Ebrahimi
L'actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi, qui a dû quitter l'Iran pour la France en 2008 à la suite d'un scandale sexuel, a été couronnée samedi du prix d'interprétation féminine pour son rôle dans le thriller d'Ali Abbasi Les nuits de Mashhad. L'actrice s'est exprimée d'abord en farsi en recevant son prix. "Ce soir, j'ai le sentiment d'avoir eu un parcours très long avant d'arriver ici sur cette scène (...) un parcours marqué par des humiliations", a-t-elle dit, remerciant la France de l'avoir accueillie.
Dans ce thriller à la sauce David Fincher au pays des mollahs qui raconte l'assassinat de prostituées par un fou de Dieu, elle incarne une journaliste en quête de vérité, mais confrontée au machisme d'une société iranienne patriarcale. "Ce film parle des femmes, de leur corps, ce film est rempli de haine, de mains, de seins, tout ce qu'on ne peut montrer en Iran. Merci Ali Abassi d'avoir été si fou, si généreux. Merci de cet art si puissant", a-t-elle déclaré, visiblement émue.
Née à Téhéran où elle a grandi, elle s'est produite au théâtre et a tenu des rôles importants dans des téléfilms et des séries. Sa carrière a été brutalement interrompue en 2006 à cause d'un scandale sexuel. Scandale qui la force à quitter son pays pour la France en 2008. "Je suis condamnée à la liberté en France, je voudrais que ma famille soit fière de moi ce soir comme je suis fière de mes parents", a-t-elle encore dit.
Prix d'interprétation masculine : le Sud-coréen Song Kang-ho
La star sud-coréenne Song Kang-ho, 55 ans, a remporté samedi soir le prix d'interprétation masculine à Cannes pour son rôle dans Les bonnes étoiles du Japonais Hirokazu Kore-Eda. Acteur fétiche de son compatriote Bong Joon-ho, et star de son film Parasite, Palme d'Or 2019, il joue dans ce film de Kore-eda un homme impliqué dans un trafic de bébés, qui va former une petite famille de bric et de broc autour de lui. "Je suis très heureux pour toute ma famille", a-t-il sobrement déclaré en recevant son prix à Cannes.
Dans le film, son personnage criblé de dettes découvre un bébé abandonné et se porte volontaire pour lui trouver une nouvelle famille, en échange d'argent. Autour de lui, gravitent un autre homme qui l'aide dans la "transaction" et la jeune mère, dont les motivations restent longtemps opaques. La vente du bébé va se transformer en voyage entre Busan et Séoul, dans un van décati.
Song Kang-ho s'attendait à une direction d'acteurs "méticuleuse et calculée" de Kore-eda. "Mais il nous a vraiment respectés et a fait ressortir nos émotions d'une manière qui soit vraiment libre, bienveillante et inépuisable", a-t-il raconté début mai à Séoul. En 25 ans de carrière, Song Kang-ho a tourné avec nombre de réalisateurs sud-coréens dont Park Chan-wook (Thirst, ceci est mon sang, 2009, Sympathy for Mr. Vengeance 2003) et Bong Joon-ho (Memories of a Murder 2004, The Host 2006, avant Parasite).
Le palmarès complet du 75e Festival de Cannes
Palme d'Or
Sans filtre de Ruben Östlund
Grand Prix
Remporté ex aequo par Close de Lukas Dhont et Stars at noon de Claire Denis
Prix de la mise en scène
Decision to leave de Park Chan-wook
Prix du scénario
Boy from heaven de Tarik Saleh
Prix du Jury
Remporté ex aequo par Hi-Han de Jerzy Skolimowski et Les Huit Montagnes de Charlotte Vandermeersch et Felix van Groeningen.
Prix du 75e Festival
Tori et Lokita de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Prix d'interprétation féminine
Zar Amir Ebrahimi pour son rôle dans Les nuits de Mashhad, d'Ali Abbasi.
Prix d'interprétation masculine
Song Kang-Ho pour son rôle dans Les bonnes étoiles de Hirokazu Kore-Eda.
Caméra d'Or
War Pony de Riley Keough et Gina Gammell
Palme d'Or du court métrage
The water murmurs de Jianying Chen
Palmes d'Or d'honneur
Tom Cruise et Forest Whitaker