C'était il y a plus de vingt ans. En 2001, les téléspectateurs français zappaient sur M6 et tombaient sur Loft Story, la toute première émission de télé-réalité diffusée dans l'Hexagone. Une vraie révolution médiatique, culturelle et sociétale. En filmant 24 heures sur 24 une bande de jeunes préférant parler fête plutôt que politique, le Loft Story a déchaîné les passions et divisé la France en deux : celle qui estimait que le programme était en phase avec son époque et celle qui considérait le Loft comme une "émission poubelle". Quoi qu'il en soit, Loana, Jean-Edouard, la piscine et le confessionnal ont marqué toute une génération, et Loft Story lancé une nouvelle ère à la télévision. Le programme est aujourd'hui considéré comme culte. C'est donc tout naturellement que Prime Video a décidé d'utiliser cet adjectif comme titre pour sa nouvelle série Culte qui explore les coulisses de Loft Story, de sa création jusqu'à la diffusion de la finale de la première saison.
Le succès du Loft décortiqué
Contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, les six épisodes de Culte ne sont pas une reconstitution de la saison 1 du Loft. C'est bien l'envers du décor que nous montre la série, avec comme protagonistes non pas les lofteurs mais les créateurs de l'émission, ceux qui n'ont jamais été filmés : Isabelle de Rochechouart (Anaïde Rozam), personnage inspiré d'Alexia Laroche-Joubert, la créatrice du Loft qui produit d'ailleurs Culte, et ses acolytes Raphaël (César Domboy) et Philippe (Nicolas Briançon).
Tous les trois sont prêts à tout pour faire exister le Loft. Leur soif d'y arriver est le moteur de la série, qui se dévore comme un bon thriller. Le suspense monte crescendo à mesure que les obstacles se multiplient face aux producteurs. Comment vont-ils arriver à leurs fins ? Et par quels moyens ? Isabelle, Raphaël et Philippe se retrouvent en plein milieu de la guerre médiatique que se livrent TF1 et M6, une guerre où tous les coups sont permis.
Les deux chaînes concurrentes nouent dans un premier temps un pacte secret assurant que ni l'une ni l'autre ne diffusera de la télé-réalité. Une promesse brisée par M6 qui commande finalement le Loft. La pression monte alors d'un cran pour Isabelle et son équipe, sur qui repose l'entière responsabilité de la réussite de l'émission. "Les gens vont venir pour le concept mais vont rester pour le casting", leur lance le bras droit du patron d'M6.
Ici réside la force de Culte : la série ne raconte pas seulement un phénomène mais étudie son anatomie à travers le regard de ses artisans. Une manière audacieuse de faire comprendre aux spectateurs que rien n'était gagné. "Il fallait mettre tout le poids de cette émission de télé-réalité sur les producteurs", nous explique Louis Farge, le réalisateur de Culte. "On retrouve dans Culte cette logique d'oppression à la caméra, propre au thriller. La musique joue aussi beaucoup, avec de nombreuses nappes de tension. Sans oublier le montage qui permet d'obtenir un rythme effréné", poursuit-il.
Louis Farge s'est notamment inspiré de la série Succession pour trouver la "bonne distance" avec les producteurs et les lofteurs : "Comme dans Succession, j'ai utilisé des longues focales pour faire, de loin, des gros plans sur les personnages. Ce procédé permet de ressentir de l'empathie pour eux tout en conservant une certaine distance".
Des personnages extrêmement touchants
Les six épisodes se "binge-watchent" aussi très facilement car les personnages nous touchent en plein cœur, y compris celui d'Isabelle de Rochechouart, de prime abord assez froid et antipathique. Derrière cette carapace se cache une femme pétrie de doutes et de frustrations, qui aimerait trouver grâce aux yeux de son père, intellectuel qui méprise le Loft. "Elle ne s'autorise pas vraiment à être sensible et c'est ça qui la rend touchante", analyse son interprète Anaïde Rozam lors de notre rencontre. "Moi, je trouve toujours que c'est plus émouvant des larmes qu'on retient plutôt qu'une explosion de larmes", ajoute-t-elle.
L'actrice de 27 ans, qui a explosé sur Instagram pendant le confinement grâce à des saynètes humoristiques, est ultra crédible dans le rôle de l'alter ego d'Alexis Laroche-Joubert, dont elle reproduit parfaitement les mimiques et tics de langage. Anaïde Rozam l'assure, interpréter Isabelle lui a donné confiance en elle : "Elle a cette énergie de 'fake it until you make it' (faire semblant jusqu'à ce que ça marche). Il y a une prise de risque qui est énorme, qui plus est pour une femme dans un milieu essentiellement masculin. Mais elle y croit tellement qu'on finit par y croire avec elle", argumente-t-elle.
Dans l'univers post #MeToo, Isabelle a le vent en poupe, et Loana n'est pas uniquement une belle blonde abîmée et jetée en pâture. Culte la dépeint comme une jeune femme intelligente au QI très élevé, extrêmement gentille et sensible. Des qualités occultées par l'époque, obnubilée par son physique de bimbo. Sous les traits de la talentueuse Marie Colomb, Loana retrouve sa splendeur. "Je me suis beaucoup documentée avant de jouer son rôle et ce qui m'a le plus aidée est son livre Elle m'appellait... Miette car c'est elle qui se raconte. Plus j'ai appris à la connaître, plus mon amour pour elle a grandi et plus c'était important pour moi de la représenter", nous confie l'actrice.
C'est aussi à travers le personnage de Karim, journaliste de l'équipe d'Isabelle interprété par Sami Outalbali (vu dans Sex Education), que nous redécouvrons Loana. "Il voit une forme d'innocence et de pureté chez elle", souligne-t-il. Mais, au fil des épisodes, Karim, sain et équilibré au début de la série, se perd dans son adoration pour Loana. "Il représente une partie des spectateurs avec tous les excès et les déviances que cela comporte", nous explique Sami Outalbali. Tout ce qui se passe dans Culte s'est-il réellement passé il y a 20 ans ? Peu importe, ce qui compte est qu'on y croit, répondrait une certaine Isabelle...