La 36ème édition des Victoires de la musique se tient vendredi soir, et il y a fort à parier que les artistes les plus sollicités sur les plateformes comme Spotify, Deezer ou encore Apple Music occupent une place de choix parmi les différents lauréats. L'écoute en streaming est en croissance de 20% par an, mais est-elle vraiment rentable pour les artistes qui ne toucheraient que quelques centimes par clic ? En septembre dernier, en France, 15.000 artistes ont interpellé la ministre de la Culture dans une tribune réclamant une juste rémunération du streaming, et la mise en place d'un modèle plus équitable. Cette question est au cœur d’une étude dévoilée par le Centre national de la musique, qui propose notamment de repenser la logique de rémunération de ces géants de l'écoute en ligne.
Pourquoi le système de rémunération des plateformes privilégie certains artistes ?
Les dix euros dépensés chaque mois pour un abonnement à Spotify ou Deezer vont dans un pot commun, puis la plateforme répartit cet argent entre les artistes et les labels en fonction des succès de leur titre, de leur volume d’écoute. Plus un titre est écouté, plus l’artiste gagne d’argent. Ainsi, l'argent dépensé par chaque abonné ne finit pas forcément dans la poche des artistes qu'il a personnellement écoutés. Le système favorise donc les artistes les plus écoutés de la plateforme, qui sont souvent des rappeurs, très plébiscités par les jeunes auditeurs, comme l'explique à Europe 1 Louis-Alexis de Gemini, le directeur général de Deezer. "Un jeune de 15 à 25 ans écoute jusqu’à 1.000/1.500 fois des chansons par mois, tandis qu’un profil plus âgé écoute plutôt 400 à 600 streams par mois. Mécaniquement, les artistes les plus écoutés par les plus jeunes sont favorisés car leur part de marché augmente grâce aux écoutes de leurs fans."
Ajoutons également que sur chaque abonnement, la plateforme prélève 30% pour ses coûts de fonctionnements.
En moyenne, combien touchent les artistes grâce aux plateformes ?
La somme véritablement touchée via les plateformes par chaque artiste est difficile à estimer, elle dépend également des contrats qu'ils ont signés avec leur label. Mais 90% d’entre eux reçoivent moins de 1.000 euros par an, même s’ils ont été écoutés des centaines de milliers de fois. Jean-Noël Scherrer, leader du groupe de rock lyonnais Last Train, qui a rencontré un vrai succès sur les plateformes d'écoute, avoue que celles-ci sont loin d'être au cœur de leur modèle économique. "Sur un groupe comme le nôtre, l’économie se situe dans le live. La vente de disques rapporte peu, le streaming encore moins", résume-t-il. "Ça a un poids infime par rapport à une vente de disques en merchandising, après un concert par exemple. Il faut un nombre de streams vraiment considérable avant de pouvoir estimer ce nombre-là comme une vente de disques."
Quelles sont les pistes pour rééquilibrer le modèle économique des plateformes ?
Une solution à cette situation, et qui commence à intéresser sérieusement artistes et plateformes, s'appelle le user centric : un abonnement qui paye seulement les artistes écoutés par l'abonné. Une fois le coût de fonctionnement déduit par la plateforme, l'argent est partagé entre les artistes sur lesquels l'utilisateur a cliqué. Selon les projections, ce modèle permettrait aux groupes de rock de voir leurs revenus augmenter de 13%, et ceux qui font de la musique classique de 26%. En revanche, les rappeurs perdraient environ quatre millions d’euros par an. Cette piste d’étude reste toutefois soutenue par Deezer et par le ministère de la Culture, ce qui lui laisse donc de bonnes chances d’aboutir.