Il est peut-être l'archétype même du super-héros, à la limite du cliché : Captain America fête en cette fin d'année 2020 ses 80 ans. Aujourd'hui connu dans le monde entier, le Super Soldat est apparu pour la toute première fois aux États-Unis le 20 décembre 1940. Personnage fondateur du genre, il rejoint à présent Batman et Superman dans le club des super-héros octogénaires. Ce n'était pas gagné car malgré le succès de la première heure, le parcours de Captain America n'a pas toujours été glorieux. Retour sur la carrière d'un mythe.
Un super-héros ancré dans son époque
Pour qui a découvert le personnage récemment, il est frappant de voir à quel point Captain America a peu changé depuis sa première apparition dans le numéro #1 de Captain America Comics. Bouclier bleu-blanc-rouge, costume en lycra bleu bardé d'une étoile, un demi-masque qui cache une tête de gendre idéal : tout est déjà là le 20 décembre 1940. "Cap" est né de l'imagination de Joe Simon et Jack Kirby. Juifs tous les deux, ils sont particulièrement touchés par le drame qui se joue en Europe et décident de créer un super-héros capable de galvaniser les Américains, un porte-étendard des valeurs des États-Unis.
Ainsi naît Steve Rogers, un étudiant en art idéaliste, originaire de Brooklyn, qui rêve de s’engager dans l’armée pour combattre les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Trop maigre, il est recalé lors des tests physiques. Mais il se fait remarquer pour sa bravoure et l’armée l'intègre au "Projet Renaissance" qui vise à créer des "super soldats". Elle lui injecte pour cela un sérum expérimental qui lui confère une force et une vitesse surhumaines. Steve Rogers devient alors Captain America, transformation racontée au cinéma en 2011 dans Captain America : First Avenger.
Dès le début, "Cap" occupe une place à part dans le monde des super-héros puisque ses aventures sont ancrées dans le réel. Dans les comics, il part ainsi au front, en Europe. Il est érigé en modèle pour les troupes, à l’image de la couverture du tout premier numéro, où l’on voit le super-héros envoyer un coup de poing à Adolf Hitler. L'objectif est de mobiliser les jeunes américains pour soutenir l'US Army, mais Captain America reste un personnage de divertissement qui combat également des ennemis fantastiques, comme Crâne Rouge. Ce mélange des genres rencontre un succès massif : les comics sont tirés à des millions d'exemplaires.
Fin de la guerre, trou d'air et renaissance
Mais si Captain America triomphe des nazis, il ne survit malheureusement pas à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sans guerre à mener, le soldat intéresse de moins en moins les Américains, bien moins enthousiasmés par le concept après cinq ans de conflit. La série vivote quelques temps avant de s’arrêter en 1949. Quatre ans plus tard, elle est relancée et cette fois, on envoie Steve Rogers combattre les communistes, Guerre Froide oblige... Mais la propagande ne prend pas, c’est un nouvel échec.
Il faut attendre 1963 pour que Captain America ressuscite grâce au légendaire scénariste de Marvel, Stan Lee. Fan du personnage, l'auteur trouve une astuce pour le ramener : après la Seconde Guerre mondiale, l’avion de Captain America s’était crashé dans la glace. Il est donc retrouvé 20 ans plus tard en état d’hibernation et sans avoir vieilli. Sorte de voyageur temporel, Steve Rogers découvre alors un nouveau monde auquel il doit s’adapter. Cette fois, c’est un succès, Captain America retrouve sa gloire et devient même le leader des Avengers.
Soixante ans plus tard, "Cap" est toujours une star, avec sa tenue toujours aussi identifiable et son bouclier rond qui reste sa seule arme. Côté caractère, droiture et honnêteté lui font toujours office de boussole morale. Mais une chose a changé, et pas des moindres. Même s'il a gardé le nom, Captain America n'est plus le héros patriotique qu'il a longtemps été. Après quelques conflits avec son gouvernement dans les années 1980-90, Steve Rogers entre en "guerre" contre les autorités américaines dans Civil War, un comics qui marque un tournant pour son image.
Un héros moins lisse qu'il n'y paraît
Dans cet arc narratif, scénarisé par Mark Millar et publié en 2006, à la suite d'un accident grave entre super-héros et super-vilains, le gouvernement américain décide de contrôler tous les surhommes pour limiter les dégâts qu’ils causent. Chacun doit s'enregistrer auprès de l'administration, révéler publiquement son identité et agir uniquement sous mandat officiel. Cette loi divise les super-héros : il y a ceux qui acceptent, au nom de la responsabilité, comme Iron Man et Spider-Man ; et ceux qui refusent, au nom de la liberté d’action et d’opinion, menés par… Captain America, rebelle inattendu.
L'affrontement idéologique se transforme rapidement en un combat titanesque entre les deux factions de super-héros. Menacé, traqué et déclaré hors-la-loi, Captain America est présenté ici sous un jour nouveau, n'hésitant pas à défier le système en place, à combattre ses amis masqués de toujours et même à affronter les soldats dont il fut un temps le porte-étendard. Un tournant étonnant qui éclaire sous un jour nouveau ce super-héros parfois considéré, à tort, comme trop lisse.
Cette évolution a d'ailleurs été très bien restituée au cinéma dans l'univers cinématographique Marvel. Après les débuts dans First Avenger, Steve Rogers a été réuni avec ses camarades dans Avengers. Il endosse alors le costume de "patron" des super-héros et brille, seul, dans Le Soldat de l'Hiver, film le plus abouti de la saga Marvel. En 2016, l'adaptation de Civil War fait là aussi basculer le héros dans une autre phase, plus sombre et plus mâture.
Et c'est loin d'être la fin de l'histoire pour Captain America. Dans les comics, il est désormais afro-américain : depuis 2014, Sam Wilson, anciennement le Faucon, a repris le costume de Steve Rogers. Le cinéma n'a pas encore entamé ce virage. Mais dans Avengers : Infinity War, suite de Civil War, on a pu voir un "Cap" qui a abandonné sa tenue et son bouclier et s'est même laissé poussé barbe et cheveux. En 80 ans, le gendre idéal a pris un sacré coup... mais il a bien vieilli.