Elle a aujourd’hui un peu plus d’un an, et revient de loin. Mercy est un bébé, mais aussi une rescapée, une miraculée. Son premier cri, elle l’a poussé à bord de l’Aquarius, le bateau de l’ONG SOS Méditerranée, qui secoure les migrants qui tentent de rejoindre les côtes européennes à bord d’embarcations de fortune.
Son histoire, à la fois tragique et heureuse, est aujourd’hui portée à la connaissance de l’Europe entière grâce au duo Madame Monsieur, qui représente la France au concours de l’Eurovision, le 12 mai à Lisbonne, au Portugal. Europe 1 vous la raconte.
Enceinte de huit mois, seule et épuisée. Le 20 mars 2017, un canot pneumatique bondé est aperçu au large des côtes italiennes par les volontaires de SOS Méditerranée. Il menace de chavirer. L'Aquarius, qui enchaîne les sauvetages à une cadence folle depuis plusieurs jours, parvient à nouveau à venir en aide à plusieurs centaines de migrants. Parmi eux se trouve Taiwo Youssif, une Nigériane de 37 ans. Elle est enceinte de huit mois et demi, épuisée, et n'est accompagnée que de son frère, son mari l'ayant quittée pour une autre femme au cours de leur dangereux périple vers l'Europe.
Une naissance miraculeuse. Le lendemain matin, alors que l'Aquarius regagne le port de Catane, en Sicile, Taiwo est prise de contractions. Le travail a commencé. La mère de famille est prise en charge par les bénévoles de Médecins sans frontières (MSF). Quelques instants plus tard, Mercy pointe le bout de son nez. 3,7 kilos, et en pleine santé. Sa mère, bien qu'éprouvée, se porte bien. C'est un journaliste de Nice-Matin, Grégory Leclerc, qui avait embarqué à bord de l'Aquarius pour quinze jours de reportage, qui rapporte sur Twitter la naissance. L'espoir, enfin, après avoir assisté à tant de drames humains en Méditerranée. À Franceinfo, le reporter confie : "Les bénévoles de MSF sont tombés dans les bras les uns des autres, tout le monde a applaudi. On a même chanté One Love, de Bob Marley, sur le pont du bateau. C'était un moment unique".
Mercy est née sur l'Aquarius, à l'instant où nous entrions dans le port de Catane. Quel symbole ! pic.twitter.com/zZhMoCbalW
— Grégory Leclerc (@GregLeclerc) 21 mars 2017
Sa maman Taiwo, nigerianne, et Mercy (3,7 kg), se portent bien. Sur cette photo avec son oncle. pic.twitter.com/B1FpqlP37M
— Grégory Leclerc (@GregLeclerc) 21 mars 2017
Mercy ouvre les yeux à la vie à bord de l'Aquarius. Émotion pour tout l'équipage pic.twitter.com/Sb3ROWiqat
— Grégory Leclerc (@GregLeclerc) 21 mars 2017
Une actualité qui frappe Madame Monsieur. Ce même jour, le 21 mars 2017, le groupe Madame Monsieur se perd sur Internet à la recherche d'inspiration pour une nouvelle chanson. Emilie Satt, la chanteuse, et le musicien Jean-Karl Lucas ont pour habitude de puiser dans les sujets d'actualité pour écrire leurs textes. C'est là qu'ils voient passer les tweets de Grégory Leclerc. Les deux artistes sont frappés au cœur, et tout va très vite. "Nous avons commencé à écrire le texte l'après-midi même et l'avons fini le lendemain", expliquent-ils à Nice-Matin. "Je suis née ce matin, Je m'appelle Mercy. Au milieu de la mer, entre deux pays, Mercy. C'était un long chemin et Maman l'a pris. Elle m'avait dans la peau, huit mois et demi. Oh oui, huit mois et demi...", chante Emilie Satt.
Quelques mois plus tard, le groupe participe aux sélections françaises pour l'Eurovision. Et c'est pour sensibiliser l'opinion publique et donner un écho plus fort à la cause que Madame Monsieur a choisi de se défendre avec Mercy. Car le texte ne manque pas de rappeler, dans la bouche de la fillette : "On m’a tendu la main. Et je suis en vie. Je suis tous ces enfants que la mer a pris."
Le rêve de s'installer en France. Et si les deux artistes n'ont, pour l'heure, pas encore pu rencontrer Mercy, deux journalistes de France Inter sont parvenus - non sans mal - à retrouver l'enfant et sa mère, dans le plus grand camp de réfugiés d'Europe, en Sicile, près du port de Catane où leur nouvelle vie a démarré. Là, deux à trois mille personnes sont concentrées, non pas dans des tentes, mais dans des baraquements en dur, vestiges d'une ancienne base de l'Otan où vivaient les familles américaines, rapportent les journalistes. Taiwo et sa fille y reçoivent des soins réguliers. La mère, qui a obtenu un permis de séjour de deux ans en Italie, rêve toutefois de quitter le pays pour gagner la France. Une association et un avocat l'aident dans ses démarches administratives.
Bien sûr, Taiwo n'avait jamais entendu parler de la chanson inspirée de la naissance de sa fille. Si le titre venait à remporter l'Eurovision, peut-être y verrait-elle un nouveau signe du destin, présage d'un avenir meilleur.