Quelques semaines avant la 90e cérémonie des Oscars, La Forme de l'eau, de Guillermo del Toro, s'avance comme un mastodonte, prêt à écraser la concurrence avec ses 13 nominations. L'histoire d'Elisa, femme muette, employée dans un laboratoire aux expériences top secrètes, qui se lie de passion pour une créature sous-marine, pourrait bien faire le plein de statuettes, notamment côté technique. Déjà fort d'un Lion d'or, remporté lors de la dernière Mostra de Venise, le film a aussi été primé lors des Golden Globes (meilleur réalisateur et meilleure musique). En attendant le verdict de la profession, voici le nôtre.
Un voyage fantastique. Le cinéaste mexicain, auteur d'Hellboy (2004) ou encore du Labyrinthe de Pan (2006), nous convie à un voyage fantastique. À l'image de sa séquence d'ouverture féerique, dans laquelle la caméra avance dans un appartement sous l'eau, avec des meubles oscillant au gré du courant, La forme de l'eau se présente comme un territoire fantastique à explorer. La question n'est pas de savoir si ce qui se déroule devant nos yeux pourrait être réel, mais bien de savoir si le spectateur sera capable d'y adhérer. Et c'est justement sur ce point précis que le film va et vient, tangue, entre le bon et le moins bon.
Un film rempli de charmantes étrangetés. Le bon d'abord. Il y a rapidement un côté très attrayant dans cet univers, bercé par la musique d'Alexandre Desplat. La Forme de l'eau est ainsi rempli de charmantes étrangetés. On pense notamment aux premiers contacts entre Elisa et la créature, qui révèlent sur le corps de cette dernière des luminescences. Il y a aussi, tout simplement, l'appartement d'Elisa. Un vieil abri défraîchi, situé au-dessus d'un cinéma, dont les échos des dialogues de films viennent envelopper l'intérieur du logement pendant la routine quotidienne de la jeune femme. Dans ces séquences, La Forme de l'eau prend des allures de cabinet de curiosités séduisant, dans lequel on se plaît à déambuler.
Des archétypes classiques. Pour autant, l'autre fondation sur laquelle repose le film, à savoir l'histoire d'amour entre la créature et Elisa, est loin d'être aussi merveilleuse. Les fils qui tirent l'histoire n’atteignent jamais la même dimension que l'ensorcelant ensemble qui les maintient. Sans doute trop évidente, trop vite, l'intrigue de La Forme de l'eau avance sur des archétypes classiques, grâce à des personnages secondaires finalement assez conventionnels : Michael Shannon en méchant détraqué manichéen, Richard Jenkins en gentil voisin compréhensif, Michael Stuhlbarg en agent double sans grand mystère. Parmi les personnages, les seules rescapées semblent être Elisa, interprétée par l'excellente Sally Hawkins, ainsi que Zelda, jouée par Octavia Spencer. Deux figures féminines qui ont le mérite d'offrir un peu plus de contraste, de subtilité et de finesse que leurs homologues.
On aimerait retrouver l'euphorie, qui nous gagne lors d'instants poétiques ici et là, au moment de certaines séquences clés. Mais trop de fois la petite musique du récit suit une partition commune. La Forme de l'eau perd là de son pouvoir de fascination. Et alors, au lieu de plonger au plus profond du film du cinéaste mexicain, on reste ainsi parfois un peu à la surface.