L'écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, décédée dans la nuit de lundi à mardi à l'âge de 90 ans, était l'une des grandes voix de la littérature francophone, qui a abordé dans une trentaine de livres l'Afrique, l'esclavage et les multiples identités noires. Jusqu'à la fin de son adolescence, Maryse Condé disait ne pas réaliser qu'elle était noire. Elle n'avait jamais entendu parler de l'esclavage ni de l'Afrique.
"Je comprends que je ne suis ni Française, ni Européenne"
Sa mère, institutrice, interdisait le créole, au profit du français, dans la maison familiale de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, où Maryse Boucolon naît le 11 février 1934, benjamine d'une fratrie de huit. Ce n'est qu'à Paris, où elle arrive à 19 ans comme élève au lycée Fénelon, qu'elle comprend que la couleur a un sens. Ce sont les années 50 : les colonies s'émancipent, les intellectuels noirs sont en pleine effervescence.
Elle rencontre l'écrivain martiniquais et homme politique Aimé Césaire qui lui ouvre les yeux : "Je comprends que je ne suis ni Française, ni Européenne. Que j'appartiens à un autre monde et qu'il me faut apprendre à déchirer les mensonges et à découvrir la vérité de ma société et de moi-même", se remémore-t-elle dans un documentaire, "Une voix singulière", qui lui est consacré en 2011.
Jeune adulte, elle rencontre un journaliste haïtien qui la quitte en apprenant sa grossesse. Mère célibataire d'un petit garçon, elle doit renoncer à Normale Supérieure. En quête de respectabilité, elle épouse trois ans plus tard, Mamadou Condé, un apprenti comédien guinéen.
La quête de ses origines
L'Afrique devient la destination impérative dans cette quête de ses origines. Avec leur première fille et son garçon, ils s'installent dans la Guinée tout juste indépendante de Sékou Touré. Elle vit une nouvelle passion avec un autre Haïtien à Paris, puis retourne en Guinée auprès de son mari, alcoolique, où elle attend une deuxième puis une troisième fille. A Conakry, la vie est dure : "Quatre enfants à nourrir et à protéger dans une ville où il n'y a rien, c'était pas facile".
Dans "La Vie sans fards", autobiographie publiée en 2012, elle confie qu'"elle n'arrive pas à devenir Africaine". Parle d'un "fossé entre les Antillais et les Africains". Meurtrie d'être restée "l'étrangère" malgré sa peau noire, elle commence à comprendre Frantz Fanon, un des fondateurs du tiers-mondisme, et sa thèse sur le mythe de la négritude.
Son mariage est un échec, elle fuit au Ghana avec ses enfants puis au Sénégal, où elle se marie au début des années 80 avec un professeur britannique blanc. Richard Philcox sera son traducteur. Ce n'est qu'à l'âge de 42 ans, après douze années d'épreuves en Afrique et grâce à son nouveau compagnon, qui lui apporte "calme et sérénité", qu'elle se met à écrire.
En 1976, elle publie Hérémakhonon, puis Ségou (1984-1985), un best-seller sur l'empire bambara au XIXe siècle au Mali. De sa volonté de "réhabiliter l'image bafouée des Noirs" et de retrouver ses origines naissent Moi, Tituba, sorcière noire de Salem (1986) et La vie Scélérate (1987). Puis elle abandonne les reconstitutions historiques avec Traversée de la mangrove (1989), Célanire cou-coupé (2000) ou Histoire de la femme cannibale (2005).
Présidente du comité pour la mémoire de l'esclavage en France
À New York, où elle vit 20 ans, elle ouvre à Columbia University un centre d'études francophones. Elle y enseigne une "littérature en français qui ne parle pas de la France". Elle est très connue aux États-Unis. Cette femme massive aux cheveux coupés courts refuse alors tout sentiment de fierté régionale, raciale ou communautaire. "Il est grand temps de dire que l'endroit dont nous venons n'a pas tellement d'importance. Pour nous, Antillais, ce qui compte, c'est le peuple que nous sommes devenus, ce que nous avons comme culture à présenter au reste du monde".
Après la reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crimes contre l'humanité en 2001, elle préside en France le comité pour la mémoire de l'esclavage. Atteinte d'une maladie neurodégénérative, elle choisit à 80 ans de se retirer en Provence où elle a dicté son dernier livre à une amie L'Evangile du nouveau monde, sa réecriture du Nouveau Testament, en Guadeloupe.
Plusieurs fois citée pour le Nobel de Littérature, elle avait remporté à Stockholm en 2018 - année où la suprême récompense avait été reportée - le "nouveau prix de littérature", un substitut institué par la "Nouvelle académie". Son œuvre n'avait jusque-là jamais été distinguée.