On le croyait presque éternel, tant sa longue silhouette charpentée, sa moustache frétillante, sa voix chaude et son regard rieur ont faire vivre le cinéma français. Jean Rochefort est mort dans la nuit de dimanche à lundi à l’âge de 87 ans, laissant derrière lui bien plus qu’une filmographie.
Une enfance bourgeoise. Né le 29 avril 1930 dans le 20ème arrondissement à Paris, Jean Rochefort passe son enfance à Dinan, dans les Côtes d’Armor, au sein d’une famille aisée. Son père, autodidacte et cadre dans l’industrie pétrolière, voit d’un mauvais œil les fantaisies de son fils cadet, bien peu passionné par les études.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, sa famille s’installe à Vichy. Jusqu’à la fin de sa vie, Jean Rochefort restera profondément marqué par ces années sombres. Il en gardera une vision sans fard de l’espèce humaine, "la seule sur terre capable de tuer ses congénères". "Je sais que dans certaines circonstances, nous pouvons devenir des monstres. Je l’ai vu", confiera-t-il.
L’évidence du cinéma. C’est lors d’un été agité, en 1948, que le virage cinématographique va s’amorcer. Le climat entre ses parents se refroidit et Jean et sa mère vivent alors seuls dans la maison familiale de Saint-Lunaire, en Ille-et-Vilaine. Si l’ambiance n’est pas à la fête, le jeune Jean Rochefort à l’époque va faire une rencontre anodine et pourtant déterminante. Un copain de vacances, le fils d’une marchande, le persuade de faire du théâtre. L’idée est lumineuse, évidente. Le timide dadet monte à Paris l’année suivante et entre au Conservatoire national d’art dramatique. Il a comme camarades de promo Jean-Paul Belmondo, Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Bruno Cremer, Pierre Vernier et Michel Beaune.
De ses premiers pas au théâtre à la fin des années 40 - Alceste dans Le Misanthrope – Jean Rochefort gardera un atout précieux : sa moustache. Sans elle, il se trouve un air d’hypocrite, "un air de traître". Cette moustache fournie, travaillée, impeccable, l’a même aidé à gagner en confiance.
Rochefort enchaîne avec des rôles de moyenne importance, jusqu’au début des années 70 où le grand public découvre un acteur ample, aussi bien à l’aise dans la comédie que dans un registre plus grave. Il est à l’affiche des Feux de la Chandeleur, des "cultissimes" Le Grand Blond avec une chaussure noire (1972) et Un éléphant ça trompe énormément (1976). La même année, il obtient le César du Meilleur acteur dans un second rôle pour Que la fête commence. En 1978, Jean Rochefort décroche le César du Meilleur acteur dans Le Crabe tambour, de Pierre Schoendoerffer.
Après plus de 150 films et téléfilms, Jean Rochefort annonce en juin 2015 sur Europe 1 la fin de sa carrière au cinéma.
Amoureux des chevaux. La passion du septième art a rapidement été dépassée par une autre, plus dévorante encore et pourtant tardive. À 32 ans, Jean Rochefort tourne Cartouche aux côtés de Claudia Cardinale et du copain Belmondo. Lui, le petit-fils de cocher à qui l’on interdisait d’approcher des écuries familiales, doit alors monter à cheval. Si les débuts sont laborieux, il s’accroche, piqué, déjà amoureux. En 2010, il confiait sur Europe 1 : "Les chevaux, je les aime passionnément. Ce sont des animaux si mystérieux, bien plus complexes que les hommes".
Si parfois l’acteur accepte de jouer dans des navets, qu’il appelle affectueusement "des films avoine-foin", c’est avant tout pour financer sa passion. L’équitation n’est plus un violon d’Ingres pour Jean Rochefort, qui devient un éleveur reconnu dans le monde hippique.
Et s’il a eu plusieurs femmes dans sa vie, c’est sans doute et de son propre aveu à cause de son trop "grand amour pour les chevaux". En 1960, Jean Rochefort épouse Alexandra Moscwa, dont il a deux enfants : Marie (1962) et Julien (1965). Après 20 ans de mariage, il divorce et vit pendant sept ans avec l’actrice Nicole Garcia dont il a un fils, Pierre (1981). C’est auprès de l’architecte Françoise Vidal, cavalière comme lui, qu’il s'épanouit jusqu’à la fin de sa vie. De leur union naîtront deux filles : Louise (1990) et Clémence (1992).
En 2000, Jean Rochefort connaîtra l’une des grandes douleurs de sa vie. Sur le tournage du film L’Homme qui a tué Don Quichotte de Terry Gilliam, l’acteur est victime d’une violente hernie qui le contraint à l’alitement pendant sept longs mois. Le verdict tombe : Jean Rochefort ne montera plus jamais à cheval. Le film, lui, sera finalement abandonné.
Dans son "Haras de Villequoy" à Auffargis dans les Yvelines, Jean Rochefort trouve du réconfort parmi ses chevaux qu’il continue à voir grandir, s’épanouir et progresser. Au cours de sa vie, il fera naître une centaine de poulains, qu’il baptisera par des noms de films. Le cinéma n’est jamais loin.
Homme de lettres, homme d’humour. Monument du septième art français pour les plus anciens, Jean Rochefort est devenu dans les dernières années de sa vie une figure décalée pour les plus jeunes. Dans le programme court Les Boloss des Belles Lettres, l’octogénaire pitche avec génie les classiques de la littérature dans un langage très, très actuel. Jean Rochefort aura été capable de rendre la noblesse familière et la trivialité raffinée.
Un brin fantasque, il était adoré des jeunes générations qui voyaient en lui un grand-père, admiré, respecté et que l’on aime tendrement. "Je suis en train de vivre un hommage posthume de mon vivant", disait-il sur le plateau de Thierry Ardisson en 2003.
La mort, celle qui l’effrayait tant quand il avait 40 ans, est finalement venue cueillir cette icône française, délicieuse et touchante, une nuit d'octobre.