Dans les rues de San Miguel, une ville au sud de la frontière américano-mexicaine, un étranger vêtu d'un poncho vert débarque à dos de mulet. Il y a du vent. Il y a de la poussière. Il n'a pas l’air commode. C'est alors que trois hommes s'amusent à tirer dans les pattes de sa monture. Le son de son colt 1851 Navy résonne. L'arme à barillet mythique apparaît dans de nombreux westerns spaghettis. On le retrouve dans Pour une poignée de dollars de Sergio Leone aux mains de Clint Eastwodd, dans Le Bon, la Brute et le Truand, dans Mon nom est personne, ou encore On l'appelle Trinita.
Plus qu'une arme, le colt est un symbole de l'Amérique, de la conquête du Far West, de ses cow-boys bourrus et sans peur. Tout cela grâce au flair d'un seul homme, bien décidé à armer l'Amérique : le colonel Samuel Colt. L'inventeur du célèbre revolver est un grand industriel et marketeur de génie. Mais pas colonel pour un sou.
16 ans, l'âge de la révélation
Colt s'est inventé un titre, mais n'a jamais mis les pieds sur un champ de bataille. Son objectif était de forger une légende autour de son nom, de sa marque et de ses produits. Et ça a marché ! Le colonel Samuel Colt donc est un self-made-man, en somme, comme l'Amérique en raffole, mais dont la vie n'a pas été ni rose, ni reluisante
Son enfance est globalement malheureuse. Samuel naît le 19 juillet 1814 à Hartford, dans le Connecticut, sur la côte Est des États-Unis. Sa mère, Sarah Colt, est une riche héritière de Hartford. Elle meurt alors qu'il n'a que 7 ans. Finie l'enfance dorée. Son père est d’origine plus modeste. Et sa belle-famille n'a pas l’intention de l'aider.
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Le jeune Samuel Colt s'habitue donc aux tâches pénibles. Il travaille à la ferme, puis à l'usine. Très jeune déjà, il est fasciné par les inventeurs et par ceux ayant accompli quelque chose que les autres pensaient impossible. Il veut faire pareil. Et puisqu'il s'intéresse aux armes, il jette son dévolu sur une idée : celle d'un pistolet capable de tirer plusieurs coups sans être rechargé.
L'idée fait son chemin. Jusqu'en 1830. Selon la légende, le futur faux colonel Colt a une révélation à bord d’un navire de commerce sur lequel il vient de s'engager. Il a 16 ans. Et la roue du bateau sur lequel il voyage, que l'on peut bloquer avec un système de taquet, lui inspire une idée : celle d'un pistolet à barillet. Ce qu'on appellera bientôt un revolver.
Des échecs en série
Cette histoire est-elle vraie ? Peut-être. Mais Colt n'a pas inventé l'idée du cylindre rotatif. Il ne l'a d'ailleurs jamais prétendu. De fait, les Anglais utilisaient déjà à l’époque (et ce depuis quelques années) une arme à feu relativement semblable : un revolver à silex inventé par un certain Elisha Collier, et breveté en 1818.
Samuel Colt s'en est-il inspiré ? Possible… Ce qui est sûr, c'est qu'il en a amélioré le principe. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas son invention en elle-même qui rendra Samuel Colt riche. Son prototype ne convainc pas tout de suite. Mais l'homme est déterminé et les échecs ne lui font pas peur. Tant mieux, car il en essuiera beaucoup durant 15 ans, de 1931 à 1846.
Sa première usine, ouverte en 1836, la Patents Arms Manufacturing Company, fait faillite 5 ans après sa création. À la même époque, alors qu'il présente son revolver aux autorités militaires en espérant décrocher des contrats publics, son prototype explose. On imagine l'humiliation. Mais l'incident ne le décourage pas. Au contraire. Colt se diversifie, se tourne vers les explosifs, et conçoit un système de mines et de batteries sous-marines. Si la Navy semble cette fois mordre à l’hameçon, l'affaire ne se fait pas.
Mais cette série de malchances est sur le point de prendre fin. Nous sommes maintenant en 1846, Samuel Colt a 32 ans. Sans le savoir, il a ferré un gros poisson : un Texas Ranger du nom de Samuel Walker. Ce héros de guerre, qui a ses entrées au gouvernement, a vu les premiers revolvers de Colt en action. Les trouvant prometteurs, il veut en commander pour équiper ses rangers, à condition d'y apporter quelques améliorations.
Le boom de la guerre de Sécession
Le marché se fait. Colt décroche une très grosse commande pour son nouveau revolver, le Colt Walker. La machine est lancée. En 1847, à Hartford, sa ville natale, il recrée une manufacture. Cette fois-ci, l'entreprise prospère. Les modèles de revolver qu'elle produit deviennent peu à peu si populaires que les Américains ne disent plus revolvers, mais "colts". Les contrats s'enchaînent, les modèles iconiques aussi : le Dragoon, le Baby Dragoon, ou encore le fameux 1851 Navy
Puis c'est la Guerre de Sécession. Les commandes affluent. Colt est le principal fournisseur des Nordistes. Mais il vend aussi ses armes aux États confédérés du Sud. Entre-temps, Colt est devenu le colonel Colt. Il s'est forgé une image de marque. Il a compris que pour vendre son produit, il faut s'inventer une histoire. Lui insuffler toute une symbolique. Le colt, c'est l'Amérique. Le colt, c'est le Far West. C'est l'idée qu'il veut véhiculer auprès du public.
Samuel Colt y parvient notamment à grands renforts de publicités, d'encart dans les journaux, dans lesquelles on peut notamment apercevoir le célèbre chasseur de bisons Buffalo Bill qui a accepté de poser, pour une poignée de dollars, un colt à la main. Ce revolver nouvelle génération séduit tout le monde, jusque dans les plus hautes fonctions. Abraham Lincoln, lui-même, fait cadeau de colts aux chefs d'État.
15 ans après leur ouverture, les usines Colt sont devenues un véritable complexe industriel. On le surnomme désormais "Coltsville", tant l'entreprise s'étend sur un large territoire. Samuel Colt est immensément riche et respecté. Sur le plan personnel aussi, il est comblé. En 1856, il s'est marié avec Elizabeth Hart, une jeune femme de 13 ans sa cadette.
Il la gâte sans retenue, lui fait construire une villa gigantesque et extraordinaire dans les beaux quartiers de Hartford, là où il avait vécu avant la mort de sa mère. Une belle revanche sur la vie. Malheureusement pour lui, il n’en profitera pas longtemps : il meurt subitement quelques années après, en 1862, des suites de la goutte.