Douze ans après La Marche de l'Empereur, pourquoi avoir voulu vous replonger dans l'univers des manchots empereurs ?
Cela vient de plusieurs choses. La frustration, d'abord, de ne pas avoir pu montrer l'univers sous-marin des manchots empereurs lors du premier film. L'empereur est vraiment beau dans son élément. C'est une torpille sublime quand il est dans l'eau, un plongeur extraordinaire. Là, on est partis avec cinq plongeurs qui ont pu tourner des images inédites. Chaque plongée était un exploit en tant que tel, à la fois une performance d'explorateur et d'artiste.
Il y avait aussi l'envie de me confronter à nouveau à ce sujet, avec les technologies d'aujourd'hui. Le manchot empereur est l'animal qui se conforme le mieux à la grammaire du cinéma, par sa silhouette érigée, sa démarche humaine… Je me demandais si j'étais capable de suivre l'histoire d'un individu. A la fin de La Marche de l'Empereur, je n'étais pas pleinement satisfait. D'ailleurs, je ne supporte pas de regarder mes films. On travaille dessus jusqu'à la nausée, mais jamais on arrive à saisir la vérité des émotions qui nous viennent sur le terrain.
" La lutte pour la vie ne peut supporter aucune tricherie. "
Les manchots empereurs vous fascinent-ils toujours autant, après des années d'observation et d'analyse ?
Oui, car il y a avec les manchots empereurs cette familiarité. Il n'a pas peur de nous, ils ne nous fuient pas. Et il est d'une beauté absolue. Mais c'est aussi le décor dans lequel il vit qui me fascine. Il est à la limite du vivable. Le mode de vie des manchots est une histoire universelle. Pour tenir dans ces conditions extrêmement rudes, chaque particule d'énergie doit être utilisée à bon escient. Pour survivre, ils font preuve d'une incroyable solidarité, d'une absence totale de rivalité et de territorialité. Ce sont des valeurs nobles pour les êtres humains. La lutte pour la vie ne peut supporter aucune tricherie.
Dans quelles conditions s'est passé le tournage en Antarctique ? Plongez-nous dans le décor…
N'imaginez pas un camp de tentes au beau milieu de la glace. Nous sommes rattachés à la base Dumont d'Urville, une sorte de campus, et travaillions dans des conditions idéales. Nous pouvions prendre des douches chaudes et des repas chauds. Sans cela, ce film n'est pas possible. On partait avec des luges qui transportaient le matériel, pendant plusieurs kilomètres. Les journées de travail duraient 10, 12 voire 14 heures. Et quand les manchots ne faisaient rien, on attend sur la glace, on prend un bouquin, on se met dans un duvet…
" Quelque chose en eux leur dit qu'il faut partir "
Quel est votre plus beau moment lors du tournage ?
Indubitablement, quand j'ai vu les petits manchots partir à l'eau. C'était ma sixième expédition en Antarctique et je n'avais encore jamais vu ça. Vous les voyez se métamorphoser sous vos yeux. Quelque chose en eux leur dit qu'il faut partir. Alors ils entament leur marche vers l'océan, en groupe. Ils hésitent deux ou trois jours avant de se jeter à l'eau. Et puis soudain, l'un d'eux se lance et tous les autres le suivent. En un instant, ils ont tous disparu. Et là, vous vous dites "Est-ce que je les reverrais un jour ?" Moi, je n'ai pas pu m'empêcher de céder à cette émotion.
Espérez-vous que, par ce nouveau film, les spectateurs se saisissent davantage de la question des dangers du réchauffement climatique ?
Oui, très clairement, bien que ce ne soit pas une problématique directement évoquée dans ce film. J'ai privilégié l'émerveillement. Mais en quinze ans, j'ai constaté des changements frappants chez les manchots. Certains biologistes estiment que dans 50 ans, il n'y en aura plus. Je ne peux pas imaginer pour mes enfants un monde sans manchots empereurs. On ne peut pas être les huissiers d'une fin effective, on doit être plus que ça.
>> La bande-annonce du film L'Empereur