Le film avait été salué par une standing ovation à Cannes lors de sa projection à la Quinzaine des Réalisateurs. C’est un euphémisme de dire que l’accueil n’a pas été le même dans son pays d’origine. Much loved du réalisateur Nabil Ayouch a soulevé une très vive controverse au Maroc. En cause : le sujet du film, la prostitution féminine dans le Maroc d’aujourd’hui, qui a mis le feu aux poudres.
Les fuites sur Internet, l’interdiction de diffusion. Quatre extraits du film ont d’abord fuité sur Internet au moment de sa diffusion à Cannes. Bien sûr, ce sont les scènes les plus dérangeantes aux yeux des conservateurs marocains qui se sont retrouvées en libre accès sur Youtube : scènes de nu où l’alcool est présent. Une association marocaine dépose alors plainte contre le réalisateur Nabil Ayouch mais c’est surtout la réponse du ministère de la communication marocaine, le 25 mai dernier, qui prend de court les partisans du film. Le long-métrage est tout simplement interdit de diffusion dans le pays au titre qu’il "comporte un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume".
La pression, les menaces de mort. Mais l’interdiction du film ne semble pas avoir calmé la colère des adversaires du film. Bien au contraire. Le réalisateur et ses actrices font l’objet d’une campagne très violente sur les réseaux sociaux. Nabil Ayouch ne sort désormais plus de chez lui à Rabbat sans ses gardes du corps et ses actrices ont été mises à l’abri dans un appartement. "Je ne m’attendais certainement pas à un tel déchaînement autour du film et à des mots aussi violents" , a réagi Nabil Ayouch au Figaro, évoquant "une campagne de dénigrement". Ce dernier explique néanmoins qu’il "se bat" pour que le film sorte "pour maintenir un débat", "sinon ce serait un vrai recul pour la liberté d’expression".
Les partisans du film se mobilisent. Du côté de ses partisans, on essaye tant bien que mal de se mobiliser pour soutenir le film. Un message de soutien au film de production franco-marocaine a ainsi été signé par plus de quatre-vingt cinéastes et producteurs travaillant dans le cinéma français. Parmi eux, Costa-Gavras, les frères Dardennes, Agnès Varda ou Stéphane Brizé. Les signataires dénoncent "l’obscurantisme et les violentes atteintes à la liberté que cette interdiction constitue : atteinte à la liberté d’expression, atteinte à la liberté du metteur en scène d’exposer son travail, atteinte à la liberté des spectateurs qui ne peuvent avoir accès au film dans les salles de cinéma marocaines".
"Un tabou de la société marocaine". Mais comment expliquer ce déferlement de haine pour un film ? Pour l’historien spécialiste du Maroc, Pierre Vermeren, interrogé par Europe 1, il est trop simple de renvoyer le Maroc à ses forces les plus rétrogrades. Certes, le Maroc reste une société conservatrice mais "il y a aussi cette société pauvre et humiliée de devoir vendre ses filles à la prostitution" car "le film met le doigt sur un tabou de la société marocaine : la prostitution liée aux touristes qu’ils viennent des monarchies du golfe ou d’Europe". "Le film choque les conservateurs, les tartufes et les autorités", poursuit l’historien, "mais aussi toute cette frange de la société qui, sans être islamiste, voudrait que l’on ne parle jamais de cette humiliation nationale".
Selon Pierre Vermeren, la prostitution marocaine est un vrai fléau national qui se concentre dans les régions centre et sud du pays, dans le moyen Atlas et les grandes villes du pays. Mais les prostituées marocaines sont aussi très "prisées" à l’étranger, en France, notamment à Paris et sur la Côte d’Azur, mais aussi chez les arabes du golfe. Or, l’économie marocaine est très soutenue par les monarchies du golfe, "une dépendance très douloureuse" révèle le spécialiste avant de conclure : "le fait de montrer à l’écran tout cela c’est comme si l’on révélait un secret de famille". En France, Much Loved devrait sortir à la rentrée.