Il se distingue une nouvelle fois. Habitué à questionner l'hégémonie américaine et sa place dans le monde, il semblait presque logique qu'Oliver Stone se tourne un jour vers le Kremlin et son président Vladimir Poutine, aujourd'hui opposant principal des Etats-Unis sur la scène politique internationale.
Le cinéaste américain a rencontré douze fois le président russe entre 2015 et 2017, filmant ces entretiens. Conversation avec monsieur Poutine - quatre épisodes dont les deux premiers sont diffusés lundi soir sur France 3 - fait la synthèse de cette rencontre où il est notamment question de l'accession au pouvoir de Vladimir Poutine, de sa politique intérieure ou encore de ses relations avec les Etats-Unis. Une nouvelle étape de plus dans le parcours d'Oliver Stone, dont la trajectoire artistique a toujours été celle du contre-pied.
Oliver Stone : "J'ai fait ce film sur Vladimir...par Europe1fr
Le déclic du Vietnam. Oliver Stone a 21 ans lorsqu'il est envoyé au Vietnam. Volontaire, ce jeune homme, issu d'une famille aisée, sortira traumatisé de cette expérience. "J'ai vu une guerre plus méchante que je ne pensais. Après la guerre, j’étais torturé, silencieux", confie-t-il à Libération en 2012. Dès lors, rien ne sera plus pareil et son regard sur les Etats-Unis s'en trouvera modifié pour toujours. Mais avant de faire part de son ressenti derrière la caméra, Oliver Stone agit, stylo en main. Il signe les scénarios de trois films remarqués Midnight Express (1978 - Oscar du meilleur scénario adapté), Scarface (1983), ou encore L'année du dragon (1985).
Il a quarante ans lorsqu'il réalise deux films qui marqueront immédiatement les esprits. D'abord Salvador (1986), dans lequel il critique la politique étrangère américaine en Amérique Centrale. Puis Platoon (1986), charge ouverte du cinéaste contre ce qu'il estime être une violence d'Etat au Vietnam. Le long-métrage rafle quatre Oscars, dont celui de meilleur réalisateur et meilleur film, et peut se targuer de faire partie des grands films sur le sujet comme Apocalypse Now (1979), Voyage au bout de l'enfer (1978) et Full Metal Jacket (1987).
Si cette guerre guide en filigranes toutes ses œuvres, deux autres films y feront encore directement référence, formant ainsi avec Platoon une trilogie : Né un 4 juillet (1989) et Entre ciel et terre (1993).
Une autre Histoire des Etats-Unis. Dès lors, Oliver Stone n'aura de cesse de construire une "autre Histoire" et de dénoncer les pratiques politiques de son pays. Remise en cause par excellence de l'Histoire officielle, le film JFK. Le cinéaste s'attaque au sujet de l'assassinat du président John F. Kennedy et de la version officielle, s'orientant vers la thèse du complot en reprenant les éléments d'enquête du procureur de la Nouvelle-Orléans, Jim Garrison.
Cette fascination pour la politique et ses dérives ponctuent sans cesse l'oeuvre du cinéaste. On la retrouve aussi en 1995 dans Nixon, dans W : l'improbable Président (2008) et très récemment dans Snowden (2016), qui revient sur le scandale de la NSA.
Vers le documentaire. Chez Oliver Stone, tout y passe. La politique, l'armée mais aussi les yuppies des années 1980, égratignés dans Wall Street (1987), ou encore le sport et le côté sombre du dopage dans L'enfer du dimanche (1999). L'actualité est remplie de conflits, de zones d'ombres et de leaders contestés. Autant de territoires à explorer pour le réalisateur américain. Au point, parfois, de quitter le domaine de la fiction pour mieux s’emparer de son sujet. Et c'est justement lorsqu'il se tourne vers le documentaire que les critiques sont les plus virulentes.
Ses documentaires sur Fidel Castro - Commandante (2003) et Looking for Fidel (2004) - font à ce titre figure d'exemple. Le premier cité n'est tout simplement pas sorti aux Etats-Unis et n'est pas disponible en DVD. En 2013, il réalise également une série qui parle d'elle-même, intitulée Une autre histoire de l'Amérique, en s'intéressant à la période qui couvre 1945 à nos jours.
La diffusion de ses entretiens avec Vladimir Poutine lundi soir sur France 3 est également âprement commentée, notamment en France dans Libération ou dans L'Obs. L'hebdomadaire n'hésite à pas à évoquer un documentaire "scandaleux". Considéré comme un cinéaste engagé dans les années 1980, Oliver Stone est aujourd'hui critiqué pour des prises de positions jugées trop partisanes. Lui justifie ses démarches par la curiosité : aller à la rencontre de l'ennemi et vers celui que l'on montre du doigt pour au moins entendre ce qu'il a à dire. Après avoir critiqué les Etats-Unis de l'intérieur, Oliver Stone est allé s'intéresser aux ennemis désignés de son pays en dehors des frontières (Castro, Snowden, Poutine) ; un autre chapitre de son histoire cinématographique.