"On parle de démocratie en Amérique, mais c'est des conneries. On doit se réveiller, ne pas rester silencieux. J'espère avant tout éveiller les consciences. L'extrême droite sévit partout dans le monde et on croule sous les mensonges présentés comme des vérités. Mon film parle de ça." Ces mots, prononcés par Spike Lee au Festival de Cannes 2018, lorsqu'il était venu y présenter BlackKklansman, donnent le ton. Le réalisateur afro-américain, connu pour son militantisme contre les discriminations et ses films engagés, aura probablement l'occasion de réitérer ses propos le 25 février prochain, pour la cérémonie des Oscars. Avec six nominations, dont celles dans les catégories meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur second rôle masculin, BlackKklansman a de bonnes chances de repartir avec au moins une statuette. Signe, parmi d'autres, d'une sélection très symbolique dans l'Amérique de Donald Trump.
Brûlot anti-Trump… Car si BlackKklansman raconte l'histoire d'un policier noir du Colorado qui a infiltré le Klu Klux Klan dans les années 1970, c'est d'abord et avant tout un brûlot anti-Trump. Multipliant les parallèles entre l'Amérique raciste de la seconde moitié du 20e siècle et celle d'aujourd'hui, Spike Lee trace une continuité directe entre les deux. Son long-métrage s'achève d'ailleurs avec les images originales, glaçantes, de l'attaque de Charlottesville d'août 2017. Un suprématiste blanc avait foncé en voiture dans la foule de militants antiracistes, tuant la jeune Heather Heyer, auquel le film est dédié. Et Donald Trump s'était contenté, pour toute réaction, de renvoyer suprématistes et antiracistes dos à dos.
…et critique sauvage de la politique américaine. Mais BlackKklansman n'est pas le seul film ouvertement politique à s'être fait une place aux Oscars cette année. Nommé dans huit catégories, dont meilleur film et meilleur réalisateur, Vice, d'Adam McKay, s'intéresse au parcours de Dick Cheney, ancien vice-président de George W. Bush entre 2001 et 2009. Et comme son titre l'indique, il ne s'agit pas vraiment d'une hagiographie. Usant du même procédé que pour son long-métrage précédent, The Big Short, qui traitait de la crise immobilière et boursière de 2008, le réalisateur s'attache à décortiquer de complexes histoires de pouvoir avec humour, sarcasme et pédagogie. En résulte le portrait caustique d'une classe politique américaine où la médiocrité le dispute à la bassesse, et où le pouvoir monte à la tête. Toute ressemblance avec une situation existante serait-elle vraiment fortuite ? Difficile à croire, surtout quand on remonte plus loin encore dans la filmographie d'Adam McKay, qui s'était aussi intéressé dans Légendes Vivantes aux affres de la télévision.
La communauté afro-américaine à l'honneur. S'ils n'ont pas de propos aussi directement politiques que BlackKklansman, d'autres nommés gardent une portée particulière dans un pays dirigé par Donald Trump. On pourrait, avec un peu de mauvais esprit, citer le Cold War du Polonais Jawel Pawlikowski, et ses amants séparés dans les années 1950 lorsque l'un des deux choisit de franchir le mur de Berlin. Ou les mémoires de l'enfance mexicaine d'Alfonso Cuaron dans Roma. Les réminiscences d'une Europe coupée en deux ou du Mexique voisin ne seront que plus amères à l'heure où l'érection d'un mur, que l'on croyait définitivement passée de mode, est de nouveau d'actualité.
Mais inutile d'aller si loin. Il suffit de se pencher sur If Beale Street Could Talk, de Barry Jenkins, adaptation d'un roman social de James Baldwin. L'auteur afro-américain y raconte l'histoire d'un jeune homme noir accusé à tort de viol dans les années 1970, et il est là encore difficile de ne pas voir dans son parcours fait d'impasses et d'injustices le sort toujours réservé à une grande partie de la communauté noire-américaine aux Etats-Unis. Barry Jenkins ne s'en cache d'ailleurs pas : "James Baldwin est un auteur important parce qu'il disait la vérité", a déclaré le réalisateur, déjà oscarisé pour Moonlight, autre film consacré à la communauté afro-américaine. Quant à Green Book, nommé dans la catégorie du meilleur film, il s'agit de l'histoire d'un pianiste noir (Mahershala Ali, déjà vu dans… Moonlight justement) qui décide de faire une tournée dans le sud des États-Unis à l'époque de la ségrégation.
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Le symbole Black Panther. La diversité qui transparaît dans cette sélection trouve probablement son point d'orgue avec Black Panther, le film tiré de Ryan Coogler tiré de l'univers Marvel. Et ce, à double titre. D'abord donc, parce que Black Panther est un film de super-héros avec un casting quasi intégralement noir, et une équipe technique elle aussi largement afro-américaine. Un ovni (et, pour l'instant, encore une exception) au pays des blockbusters.
Mais cette diversité est aussi celle du genre cinématographique : Black Panther concourt ainsi dans la catégorie du meilleur film, et c'est la première fois que l'Académie des Oscars, que l'on a connue bien moins audacieuse, pioche dans les aventures de super-héros pour les nominations majeures. Si l'on ajoute à cela le record de nominations (10) pour Roma, réalisé par le Mexicain Alfonso Cuaron mais surtout distribué par la plateforme Netflix, on peut légitimement estimer que les Oscars ont entrepris une opération de dépoussiérage.
Sélection très queer. La diversité est aussi celle des orientations sexuelles. À ce titre, la sélection des Oscars est l'une des plus queer de tous les temps. La Favorite, de Yorgos Lanthimos, qui égale le record de 10 nominations de Roma, met en scène un trio de femmes aux attirances lesbiennes, au sein duquel Rachel Weisz et Emma Stone se disputent l'attention d'Olivia Colman (les trois étant nommées dans les catégories meilleure actrice et meilleure actrice dans un second rôle). Le biopic de Freddy Mercury, leader du groupe Queen homosexuel, Bohemian Rhapsody, arrache cinq nominations, dont meilleur film et meilleur acteur. On pourrait également mentionner la présence de Lady Gaga, chanteuse ouvertement engagée pour les droits des minorités LGBTQ dans son pays, et nommée dans la catégorie meilleure actrice pour sa performance dans A Star is born.
Où sont les femmes ? Reste une catégorie de population, pourtant pas minoritaire, qui ne trouve encore que difficilement sa place aux Oscars, signe qu'elle la trouve surtout difficilement dans l'ensemble de l'industrie cinématographique : les femmes. Celles-ci sont au cœur des films proposés, de Roma à La Favorite en passant par The Wife. Pourtant, aucune réalisatrice ne concourt dans les catégories du meilleur film et du meilleur réalisateur.