Les fourmis ont fait de lui l'auteur français le plus lu dans le monde. Mais le petit insecte a failli ôter la vie de Bernard Werber avant qu'il n'ait écrit sa première ligne. L'écrivain n'était encore qu'un jeune étudiant en journalisme lorsqu'il est parti en Côte d'Ivoire à la rencontre des dangereuses fourmis magnan, en compagnie d'une équipe du CNRS. Une expérience folle sur laquelle il revient samedi au micro d'Isabelle Morizet dans l'émission Il n'y a pas qu'une vie dans la vie, sur Europe 1. C'est en remportant un concours d'idées de reportage, financé par une marque de cigarettes, que Bernard Werber entame son voyage.
L'étudiant promet alors un reportage sur les fourmis magnan, que l'on trouve en Afrique centrale et en Afrique orientale, et qui avancent en groupe immense qui dévore absolument tout sur son passage, jusqu'aux très jeunes enfants. Au micro d'Isabelle Morizet, Bernard Werber tient tout de même, dans un premier temps, à nuancer leur danger. "C'est une sorte de ruisseau avec des millions de fourmis qui avancent à peu près à la vitesse de cinq kilomètres heure. On n'est pas poursuivi par un fleuve de fourmis", précise-t-il au sujet de ces insectes aux mandibules si acérées qu'elles servent parfois d'agrafes de suture.
"Ces fourmis avancent comme un liquide"
"Mais si quelqu'un se retrouve sur le chemin de ces fourmis et qu'il ne peut pas se dégager, parce qu'il est enlisé par exemple, il peut être en danger", ajoute tout de même l'écrivain. "Il y a très peu de gens qui sont tués par ces fourmis. Même si elles passent dans les villages, elles font plutôt du nettoyage de tout ce qu'il y a comme morceaux de nourriture. Ce qui est impressionnant, c'est leur nombre. C'est vraiment comme un liquide."
Un liquide avec lequel il vaut mieux garder ses distances. Mais le jeune Bernard Werber, à la recherche de la photo la plus spectaculaire pour illustrer son reportage, décide de s'y plonger. "Je suis rentré dans ce qu'on appelle un bivouac, c'est-à-dire la sorte de nid temporaire que ces fourmis fabriquent quand elles s'arrêtent", explique-t-il avec flegme. L'étudiant en journalisme en protégé d'une combinaison étanche. Ou presque. "Je n'avais pas les bonnes chaussures, car il n'y avait pas de bottes à ma taille. Les fourmis pouvaient passer", sourit-il.
La photo que veut obtenir Bernard Werber, c'est celle de la fourmi reine, la seule de cette espèce. Protégée dans sa loge royale située au milieu de la marée noire de fourmi, la fourmi pondeuse grosse comme un doigt règne sur pas moins de 50 millions de sujets de son espèce. Soit presque deux fois la population humaine de la Côte d'Ivoire. "J'étais jeune, je considérais qu'il fallait la photo à tout prix. Les personnes m'ont dégagé à temps, parce que je commençais vraiment à être submergé. C'est une expérience forte", se souvient avec pudeur Bernard Werber.
"Je crois que j'étais inconscient"
Mais il n'est pas encore sorti d'affaire. Les fourmis aux redoutables mandibules sont passées sous la combinaison. Quand elles attaquent leurs proies, elles ont pour habitude de commencer par grignoter et pénétrer yeux, bouche, oreilles, et chaque muqueuse ou orifice à leur portée. "J'ai pris une machette et je les ai enlevées comme si j'avais un rasoir", raconte Bernard Werber. "Il y en avait vraiment beaucoup. Mais elles étaient en légitime défense, parce que j'attaquais leur reine."
L'étudiant déterminé ne comprend pas tout de suite qu'il a failli y laisser sa vie. "Je crois que j'étais inconscient. Mais c'est nécessaire, par moments, de l'être. Il ne faut pas se poser de questions, il ne faut pas réfléchir", estime-t-il aujourd'hui. "C'est après, quand j'ai vu les images, que j'ai compris qu'il y avait réellement un danger. Si c'était à refaire, je réfléchirais peut-être deux fois. En tout cas, j'attendrai d'avoir des bottes avec répulsif à ma taille."