Lors de sa carrière riche en coups d’éclat et en provocations, Serge Gainsbourg a rarement autant créé la polémique qu’en 1979. Cette année-là, alors que son album Aux armes et caetera lui apporte son plus grand succès public en s’écoulant à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, l’artiste se retrouve au cœur d’une immense controverse causée par sa reprise reggae de La Marseillaise. À l’occasion des 30 ans de sa mort, Europe 1 revient sur cet épisode et son point d'orgue, un concert annulé sous haute tension à Strasbourg.
En 1979, Serge Gainsbourg traverse une période compliquée de sa déjà longue carrière. Lors de la décennie 70, ses ambitieux albums Histoire de Melody Nelson (1971) et L’homme à la tête de chou (1976) sont des échecs commerciaux. Et l’énorme succès en 1978 du tube Sea, sex and Sun, qu’il juge bâclé, est loin de le consoler.
Le plus grand succès de sa carrière
Pour son 14e album, Gainsbourg décide alors de partir aux Caraïbes. Accompagné de célèbres musiciens jamaïcains, il y enregistre en quelques jours Aux armes et caetera, un album aux sonorités reggae, et ce alors que ce genre musical n’est encore que peu connu du grand public dans l’Hexagone. Pour "Gainsbarre", le pari est plus que payant. L’album est un triomphe, se vendant à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires et devient le plus grand succès d’une carrière démarrée à la fin des années 50.
Mais sur l’album de 12 pistes, se trouve l’objet du scandale à venir. Pour le deuxième titre, Serge Gainsbourg propose en effet une relecture reggae de La Marseillaise, qui, très vite, va faire polémique, certains observateurs y voyant une insulte à l’hymne national écrit par Rouget de Lisle. L’artiste est alors visé par de nombreuse menaces et attaques aux relents antisémites.
Poing levé devant les militaires
L’agitation provoquée par le morceau va connaître son apogée le 4 juillet 1980. Alors qu’un concert est prévu au Hall Rhénus de Strasbourg, une alerte à la bombe est signalée à l’hôtel où logent les musiciens jamaïcains accompagnant Gainsbourg. Loin de se démonter, ce dernier va tout de même monter sur scène pour annoncer au public l’annulation du concert, et fait face à une centaine de militaires parachutistes furieux s'étant mêlés à la foule. Quelques jours plus tôt, indiquait à l’époque Le Monde, le colonel Jacques Romain-Desfossé, président de la section alsacienne de l’Union nationale des anciens parachutistes (UNAP), avait demandé au maire de la ville de faire en sorte que la chanson du scandale ne soit pas chantée. Et avait prévenu : "Faute de quoi nous nous verrions dans l’obligation d’intervenir physiquement et moralement, et ce avec toutes les forces dont nous disposons."
Livide, le chanteur fait face à ses détracteurs et les défie. "Je suis un insoumis ! Qui a redonné à La Marseillaise son sens initial, s’exclame-t-il. Je vous demanderai de la chanter avec moi." Et d’entonner à cappella, le poing levé, l’hymne national, forçant les "paras" piégés à se mettre au garde-à-vous. Il quittera ensuite la scène en ponctuant sa prise de parole par un bras d’honneur. Près de deux ans plus tard, invité de l’émission Droit de réponse, il dira avoir "mis les paras au pas".
La brouille avec les militaires finira toutefois par s’estomper. L’artiste, très meurtri par les attaques dont il fut l’objet, aura d'ailleurs l’occasion de rappeler une nouvelle fois son attachement à La Marseillaise, en achetant aux enchères, le 14 décembre 1981, un des manuscrits originaux de Rouget de Lisle. Et en 2015 sur Europe 1, Jane Birkin, regrettant la "confusion" régnant autour de la chanson à l'époque, assurait que son ancien compagnon était "terriblement patriote".