Rudolf Noureev, le danseur qui "avait soif de liberté"
Sur Europe 1, Christophe Hondelatte revient sur la vie du danseur classique russe, depuis son enfance jusqu'à son arrivée en France.
Il est sans doute le danseur classique le plus célèbre du 20ème siècle. Rudolf Noureev a marqué de son empreinte cet art, d'abord comme danseur, puis comme chorégraphe et directeur de ballet. Mercredi, Christophe Hondelatte revient sur son enfance et ses débuts jusqu'à son arrivée en France, en 1961, où il demande l'asile politique.
La musique comme échappatoire. "Il a un souvenir atroce de son enfance", annonce en préambule Ariane Dollfus, journaliste et traductrice de l'autobiographie du danseur, au micro d'Europe 1. Les premières années de Rudolf Noureev furent en effet très difficiles. Il a 3 ans, en 1941, lorsque son père est mobilisé pour la Seconde Guerre mondiale. Sa mère se retrouve seule, très pauvre, avec trois enfants sur les bras.
Le jeune Rudolf va passer une grande partie de son enfance à Oufa, dans le Bachkirie, à l'ouest de la Russie. Il habite chez son oncle, avec sa mère et ses sœurs. Au total, ils sont trois familles dans 9 mètres carrés. Sa mère vend bretelles et bottes pour permettre à ses enfants de manger. La radio est son seul échappatoire. Avec la musique comme unique amie pour s'évader un peu de la tristesse quotidienne.
Danseur contre son père. Le déclic a lieu à 7 ans, lorsque sa maîtresse lui apprend à danser. Cela lui plaît tout de suite. Alors quand pour le Nouvel an, sa mère achète une place pour l'Opéra national d'Oufa et qu'il entre dans ce palais doré sublime, il en est convaincu : la danse sera sa vie.
La rencontre qui va tout faire basculer, il la doit toutefois aux Pionners (Jeunesses communistes), avec qui il pratique de la danse folklorique dans des groupes amateurs. C'est par cet intermédiaire qu'il rencontre Anna Oudeltsova. Quelques notes de piano, quelques pas effectués... Elle le sait : Rudolf Noureev a un don et il se doit de l'exploiter, selon elle. Le jeune garçon va alors travailler. D'abord avec elle, puis avec Elena Vaïtovitch. Noureev a 11 ans.
Mais du côté de la famille, cela coince. Son père refuse "d'avoir une ballerine à la maison". Il veut que Rudolf soit militaire, médecin ou ingénieur. "Le père de Noureev voulait que son fils s'élève socialement et ait une 'profession rassurante'", explique Ariane Dollfus. Rudolf Noureev est donc obligé de se cacher pour s'entraîner et danser.
Il a 17 ans lorsqu'il finit par intégrer l'Académie de ballet Vaganova, à Saint-Pétersbourg (Leningrad à l'époque). Il sait qu'il doit travailler dur, qu'il a du retard. Ses camarades ne manquent d'ailleurs pas de lui rappeler, se moquant de son manque de technique. Rudolf Noureev travaille. Encore. Inlassablement. Et finit par attirer l'attention de son professeur, Alexandre Pouchkine. Tout va ensuite assez vite. Rudolf Noureev commence à enchaîner les rôles principaux dans Le lac des cygnes, Casse-Noisette ou encore Giselle. Dans la foulée, alors qu'il a 20 ans, on lui propose deux places de soliste : une à Moscou, une à Leningrad. Il choisit la deuxième option : le Kirov de Leningrad est moins rigide, plus sophistiqué, moins contrôlé que le ballet de Moscou.
"Le mouton noir du ballet Kirov". Au Kirov, il enchaîne là aussi les premiers rôles, dans les plus grandes représentations de ballet. En même temps que son talent grandit, son caractère s'endurcit. Rudolf Noureev est très individualiste, et ne s'en cache pas. "Il était odieux car il ne pensait qu’à sa seule réussite, par volonté de perfection", confie la journaliste Ariane Dollfus. S'il se dispute avec ses professeurs et ses camarades, ne participe pas aux activités de groupe, il n'a pas d'amis, Rudolf Noureev s'en contrefiche.
En 1961, le Kirov a prévu une tournée en Europe, avec un passage par Paris. Il s'envole avec l'ensemble de ses camarades, mais lui est étroitement surveillé. Sur place, ses heures passées au Louvre, à Montmartre, ses sorties nocturnes, agacent au plus au point les autorités russes. Si bien que le couperet tombe après un mois dans la capitale française : Noureev n'ira pas à Londres avec le reste du ballet. Lui doit rentrer à Moscou. Mais Rudolf Noureev n'a pas envie de rentrer. Pire, il craint pour son avenir et n'est pas sûr que les autorités le laisseront un jour danser de nouveau, lui "le mouton noir du ballet Kirov". "Noureev avait soif de vivre, d'apprendre. (...) Dans son enfance, il avait vécu avec un manque permanent", analyse Ariane Dollfus.
Alors, quand il doit partir vers la Russie, à l'aéroport du Bourget, il se présente aux autorités françaises et fait une demande d'asile politique à la France, après avoir échappé aux gardes du KGB qui le surveillaient. Rudolf Noureev passe officiellement à l'Ouest. Une nouvelle vie. Une autre histoire.
>> Retrouvez ci-dessous l'intégrale d'Hondelatte Raconte, "Rudolf Noureev" avec Ariane Dollfus :