Dimanche soir, M6 diffuse à 21 heures Vice-Versa de Pete Docter. Succès critique et public, le film a fait l'unanimité à sa sortie en 2015. Si bien qu'après trois longs-métrages relativement moyens - Cars 2 (2011), Rebelle (2012) et Monstres Academy (2013) - Pixar semblait enfin revenir à l'esprit qui avait fait sa force dès ses débuts, en nous plongeant dans le cerveau d'une adolescente, en plein "Quartier Générale des Émotions".
"Le grand génie de Pixar est d'avoir complètement réinventé l'anthropomorphisme". "Après Toy Story 3 (2010), un très grand film, c'est vrai qu'il y a eu le sentiment d'une 'Disney-isation' de Pixar", explique Hervé Aubron, auteur de Génie de Pixar (éditions Capricci) et rédacteur en chef adjoint du Nouveau Magazine Littéraire, interrogé par Europe 1. "Disney-isation" d'autant plus marquée que The Walt Disney Company avait racheté le studio d'animation quelques années plus tôt, en 2006. Si pendant plusieurs années, Pixar enchaîne encore des grands films sous le giron Disney, Cars 2, Rebelle et Monstres Academy donneront le sentiment que Pixar a perdu de sa folie et de son originalité.
Vice-Versa vient donc à point nommé pour rassurer les fans de la première heure, les amoureux de Toy Story, Wall-E ou encore des Indestructibles. "Avec Vice-Versa, on a tout à coup les retrouvailles avec l'intelligence particulière de Pixar", indique Hervé Aubron. Selon le journaliste, ancien critique aux Cahiers du Cinéma, "le grand génie de Pixar est d'avoir complètement réinventé l'anthropomorphisme. Cette opération que Disney avait pasteurisé".
Hervé Aubron poursuit : "Chez le géant du dessin-animé, on fait parler les animaux comme des marionnettes que l'on ventriloque. Chez Disney, en 1994, on a Le Roi Lion qui est vraiment l'anthropomorphisme à la papa : les animaux parlent dans la savane et ils ne s'en étonnent pas". Chez Pixar, au contraire, dès le premier film du studio, on réinvente cette notion fondamentale. "Dans Toy Story, vous avez Buzz l'Éclair qui tombe en dépression lorsqu'il se rend compte qu'il n'est pas un astronaute, mais un jouet", relève le journaliste. Pixar renoue avec le trouble premier lié à l’anthropomorphisme : le studio questionne, interpelle et surprend.
"La machine qui est en nous". En 2015, avec Vice-Versa, Pixar va presque plus loin encore. L'histoire nous plonge dans le cerveau d'une adolescente de onze ans, Riley, comme si le studio américain se demandait à présent comment l'humain fonctionne. "Dans Vice-Versa, il y a l'idée assez incroyable que nous sommes, nous-mêmes, des ordinateurs préhistoriques un peu archaïques. Dans Wall-E (2008), il y avait de l'humanité qui rentrait dans la machine et là, dans Vice-Versa, c'est presque l'inverse : on cherche à révéler la machine qui est en nous et c'est ça qui est troublant", analyse Hervé Aubron.
Capable de soulever des questions à la fois très profondes - "qui je suis ?", "comment je fonctionne ?" - tout en livrant des récits compréhensibles par les plus jeunes, le studio a su imposer une identité artistique forte. "Pixar a réconcilié la critique de cinéma traditionnelle et l'animation. Ils ont cette capacité à parler à tous les publics", constate Hervé Aubron. "Dans l'absolu, Vice-Versa est un film assez abstrait et théorique. Et pourtant, lorsque je le montre à mon enfant de quatre ans, il est capable de tout suivre, du début à la fin."